To Michael Faraday   10 juillet 1822

[142] Paris 10 juillet 1822
Monsieur,

Je suis vraiment si confus de n'avoir pas répondu de suite aux différentes lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, que je ne sais comment vous en faire agréer mes excuses. La correspondance que vous avez la bonté d'entretenir avec moi est cependant bien précieuse pour moi. Vos découvertes, en enrichissant la physique de faits nouveaux, sont la principale cause de ce que j'ai pu ajouter à ce que j'avais fait il y a deux ans sur les phénomènes électro-dynamiques. Mon silence forcé est venu surtout de ce que les occupations journalières que j'ai à l'école Polytechnique et dans l'Université, non seulement ne me laissent presque pas un moment à consacrer[143] à d'autres occupations, mais encore me laissent dans un état de fatigue où je deviens incapable d'écrire. Je m'étais malheureusement proposé de vous faire une longue lettre où j'aurais exposé toutes les preuves qui me paraissent augmenter tous les jours en faveur de la manière dont j'ai ramené les phénomènes de l'aimant à ceux que j'ai découverts et annoncés à l'Institut dans ses séances du 18 et du 25 septembre 1820, relativement à l'action mutuelle de deux conducteurs voltaïques et dans la séance du 30 octobre 1820, relativement à celle que la terre exerce sur un conducteur mobile. Je n'ai jamais eu le temps nécessaire pour rédiger cette lettre, et je me sens d'autant plus coupable envers vous à cet égard que vous m'avez constamment répondu aussitôt mes lettres reçues, ce dont je vous ai une obligation infinie et ce qui me fait regretter encore plus vivement de ne vous avoir pas pu montrer de mon côté la même exactitude.

[144]Je n'ai point pu tirer au clair ce qu'était devenue ma lettre à la Société royale d'Édimbourg, M. Hachette m'assure qu'elle a dû parvenir à M. Brewster. N'ayant pas eu le temps de lui écrire, je n'ai pu en acquérir la certitude.

J'ai remis à M. Underwood, un ami de Sir H. Davy qui retournait en Angleterre, deux exemplaires de mon mémoire avec plusieurs additions et suppléments qui ne se trouvaient pas dans l'exemplaire que vous aviez de ce mémoire. L'un des deux exemplaires que j'ai confiés à M. Underwood était pour vous, Monsieur ; l'autre pour Sir Humphry. J'y ai ajouté depuis de nouveaux suppléments que je vous ai adressés ainsi qu'à Sir Humphry par M. Dorckray de Manchester, qui se trouvait dernièrement à Paris avec M. Dalton. Je dis à Paris, car quoique j'aie commencé cette lettre à Paris, c'est de la ville de Clermont en Auvergne que je vous écris aujourd'hui 25 juillet, ayant été obligé de quitter Paris pour une inspection des collèges royaux lorsque je ne vous avais encore écrit qu'une page.

[145]J'espère que ces différents articles vous auront été remis chacun dans son temps. Je désirerais beaucoup en être sûr et savoir si Sir H. Davy a reçu aussi ce qui lui était destiné.

J'ai encore fait un mémoire sur les lois de l'action électro-dynamique que je regarde comme fort important, et que j'ai lu à l'Institut dans les séances du 10 et du 24 juin dernier ; mais il n'est pas encore imprimé.

La question au sujet des phénomènes dont nous nous occupons me semble consister uniquement à savoir si j'ai eu raison de supposer les courants en long dans les fils conducteurs et en travers dans les aimants, ou s'il faut admettre, comme M. Wollaston, qu'ils sont au contraire en long dans les aimants et en travers dans les fils conducteurs. Quand même les phénomènes s'expliqueraient également bien dans les deux cas, la mienne serait préférable comme s'accordant avec la théorie de Volta sur l'instrument qui porte son nom : théorie qui montre[146] comment les deux électricités doivent se porter en sens opposés le long du conducteur d'une extrémité de la pile à l'autre, tandis que, dans tout ce que nous savons de la nature de la pile, rien n'indique comment les fluides électriques pourraient tourner autour du conducteur, ni pourquoi ils tourneraient autour de ce conducteur plutôt dans le sens où l'on suppose qu'ils tournent en effet que dans le sens opposé.

Cette objection n'a pas lieu dans ma manière d'expliquer les phénomènes, parce que j'admets d'abord que les courants préexistants autour de chaque particule de fer ou de l'acier y sont dirigés dans toutes sortes de sens avant l'aimantation : d'où il suit que leur action totale sur un point situé à l'extérieur est nécessairement nulle. J'attribue, comme une chose probable, de semblables courants aux particules de tous les corps ; mais j'admets qu'ils y restent invinciblement dans cette situation où ils ne peuvent agir au dehors lorsque ces corps ne sont pas susceptibles[147] d'aimantation. Au contraire, dans le fer, le nickel et le cobalt, cette situation peut être changée, et ce changement a lieu par l'action, soit d'un fil conducteur, soit de la terre, soit d'un aimant, qui dirige ces courants particuliers précisément comme elle dirige dans mes expériences un conducteur plié de manière à faire un circuit presque fermé. Elle tend donc à les diriger tous dans le même sens, et alors ils agissent au dehors, et je montre, tant par le raisonnement que par les expériences faites avec des hélices, qu'ils doivent alors, d'après les lois de l'action mutuelle de deux courants électriques, agir précisément comme le font en effet les aimants.

Des deux différences que vous avez remarquées entre la manière d'agir des aimants et des hélices, l'une qui est relative à l'action d'une hélice sur un aimant placé dans son intérieur, ne peut être objectée à ce que je viens[148] de dire, puisque les courants d'un aimant existant autour de chacune de ses particules ne peuvent jamais se trouver dans le cas d'agir que sur des points situés hors des circuits voltaïques qu'ils forment. L'autre différence relative à la situation des points connus sous le nom de pôles, que j'avais d'abord expliquée par une plus grande intensité de l'électrisation dynamique au milieu de l'aimant, l'est plus naturellement et plus complètement d'après un travail que je n'ai pas encore publié, mais qui est indiqué dans l'Analyse des travaux de l'Académie royale des Sciences pendant l'année 1821, partie mathématique, page 22. Cette analyse a été publiée au mois d'avril dernier. Quant aux résultats de ce travail, il me faudrait plus de temps que je n'en ai pour les exposer en détail. Ils sont fondés sur ce que l'action mutuelle des courants d'un même aimant, d'après les lois de cette action, ne peut manquer d'incliner sur son axe ceux qui existent dans des particules situées hors de son axe,[149] et cela d'autant plus qu'elles sont plus loin de cet axe et du milieu de l'aimant, en leur donnant la situation représentée dans la figure 25 de la planche VI du recueil de mes mémoires que vous a porté M. Underwood.

Cette inclinaison des courants des particules des aimants ne me sert pas seulement à rendre raison de la différence que vous avez remarquée entre la situation des pôles d'un aimant et ceux d'une hélice, mais encore à expliquer plusieurs phénomènes qu'offrent les aimants et, entre autres, la disposition que prend de la limaille de fer, soit autour, soit sur la surface d'un aimant et, en particulier, sur les arêtes de ses bases : disposition qui n'a jamais été expliquée dans la théorie ordinaire de l'aimant, fondée sur la supposition de deux fluides magnétiques, et que je crois avoir le premier fait rentrer dans les lois des autres phénomènes magnétiques, en en rendant raison par l'inclinaison des courants des particules des aimants relativement aux axes de ces aimants. Il est vrai que, depuis, un professeur[150] de physique plein de mérite et qui prépare dans ce moment un ouvrage sur les phénomènes électro-dynamiques, a remarqué que cette disposition pouvait aussi être expliquée dans la théorie des deux fluides magnétiques, en concevant que, chaque particule contenant un excès de fluide austral à une de ses extrémités et un excès de fluide boréal à l'autre, l'axe magnétique de cette particule n'était pas, comme on le suppose ordinairement, parallèle à l'axe de l'aimant, mais qu'il lui était incliné de manière à se trouver perpendiculaire au plan dans lequel je montre que le courant électrique de la même particule doit se trouver dirigé par la combinaison de la cause extérieure qui a aimanté le barreau avec l'action qu'exercent, sur le courant, ceux de toutes les autres particules de même barreau dès qu'il a reçu l'aimantation. D'après la remarque de cet habile physicien, je ne peux plus donner cette disposition de[151] la limaille de fer autour d'un aimant et sur sa surface, comme une preuve absolument sans réplique de la préférence que je crois due à ma théorie ; mais n'est-ce point cependant un motif puissant en sa faveur, qu'après qu'elle m'a fourni la première explication satisfaisante des circonstances si remarquables que présente cette disposition de la limaille, on soit en quelque sorte obligé de traduire mon explication dans le langage de l'ancienne théorie pour pouvoir y rendre raison des mêmes circonstances.

Voilà quelques-unes des raisons que je pourrais faire valoir dans la supposition où les hypothèses qu'on a opposées à ma manière de concevoir les phénomènes électro-dynamiques, pourraient y satisfaire aussi bien que la théorie que j'en ai donnée. Il ne me serait pas difficile d'en trouver beaucoup d'autres de ce genre ; mais j'aime mieux me borner à ce qui me paraît présenter des preuves directes et précises de ma théorie.

[152] Comme je l'ai dit dans la Notice lue à la séance publique de l'Académie des Sciences le 8 avril dernier, une de ces preuves résulte de la différence totale qui se trouve à l'égard du mouvement continu, toujours dans le même sens, entre les conducteurs mobiles qui forment des circuits presque fermés et ceux qui n'en forment pas. Le mémoire que j'ai lu à la séance du 10 juin et qui paraîtra incessamment dans les Annales de Chimie et de Physique a surtout pour objet ce point important de la physique électro-dynamique. J'y ai d'abord établi, d'après des expériences très précises, ce fait nouveau qu'un conducteur mobile qui ne peut tourner autour d'un axe vertical passant par le centre d'un conducteur fixe circulaire et horizontal, n'éprouve, par l'action de ce dernier conducteur, aucune tendance à tourner toujours dans le même sens autour de[153] l'axe vertical, quand il a ses deux extrémités dans cet axe ; en sorte que, pour avoir, par l'action mutuelle de deux conducteurs, l'un fixe et l'autre mobile, le mouvement toujours dans le même sens, il faut que le premier forme un circuit presque fermé et que le second au contraire ne fasse pas même la moitié du cercle depuis un point de l'axe jusqu'à un autre, et à plus forte raison qu'il ne forme pas un circuit fermé.

Comme, d'après ma théorie, un aimant n'agit que comme un assemblage de circuits voltaïques fermés, on peut remplacer le conducteur fixe par un aimant, et l'on a le mouvement toujours dans le même sens, comme vous l'avez obtenu de cette manière : mais le conducteur mobile ne peut jamais l'être par un aimant, en sorte que le mouvement continu, toujours dans le même sens, ne peut jamais être produit par l'action d'un aimant sur un autre aimant. D'après ces faits, j'ai déterminé un[156] principe fondamental et évident en physique, c'est que, l'action étant toujours égale à la réaction, il est impossible qu'un corps solide soit mû en aucune manière par une action mutuelle entre deux de ses particules, parce que cette action produit sur les deux particules deux forces égales qui tendent à mouvoir le corps en sens opposés. D'où il suit que, quand les particules d'un aimant, traversées par un courant électrique qui les met dans le même état que le fil conducteur, agissent sur le pôle ou sur toute autre partie de l'aimant, il ne peut en résulter aucun mouvement dans ce corps, pas plus que l'assemblage d'un aimant et d'un fil conducteur ne peut se mouvoir quand ils sont invariablement liés ensemble.

D'après cette observation la rotation autour de son axe d'un aimant flottant ne peut plus guère être expliquée que comme je l'ai fait dans le mémoire inséré dans le cahier de mai des Annales de Chimie et de[157] Physique et que je vous ai envoyé dernièrement par M. Dorckray de Manchester. Ce mémoire contient les expériences nouvelles que j'ai faites à la fin de l'année dernière avec l'explication des phénomènes que j'ai observés à cette époque, ou qui l'ont été par d'autres physiciens, et dont une partie vous appartient. Je crois que les autres théories ne peuvent en fournir des explications si simples et si directes  : ces divers phénomènes pouvant tous être annoncés d'après ma théorie dont ils sont mie conséquence nécessaire. Il y a quelque temps que M. de La Rive m'écrivit les détails d'une nouvelle expérience qu'il crut d'abord opposée à ma théorie ; mais c'était faute de déduire convenablement les conséquences de cette théorie. Cette belle expérience, relative à l'action du globe terrestre sur les conducteurs voltaïques, suit au contraire nécessairement de la manière dont j'explique cette action, comme vous le verrez aisément par les considérations suivantes.

[154]La valeur numérique du coefficient du second terme de la formule que j'ai donnée en 1820 pour exprimer l'action mutuelle de deux portions infiniment petites de courants électriques, cette formule se trouve ainsi complètement déterminée. J'en ai fait déjà plusieurs applications et je travaille tous les jours à en faire de nouvelles. J'espère arriver à en déduire les valeurs des forces, non seulement quand il s'agit de calculer les phénomènes qu'elles produisent lorsqu'un conducteur voltaïque agit sur un autre, dans toutes les circonstances que présentent les diverses formes et les diverses situations qu'on peut donner à ces conducteurs, mais encore celles des forces qui s'exercent, soit entre un fil conducteur et un aimant, soit entre deux aimants. C'est alors que toutes les difficultés qui peuvent rester encore dans l'explication des phénomènes d'après ma théorie, disparaîtront entièrement ; mais ce que j'ai déjà déduit de cette formule ainsi déterminée suffit pour appuyer cette théorie sur une preuve directe. Dans les autres théories, on devrait pouvoir imiter, avec des assemblages[155] d'aimants disposés convenablement, tous les phénomènes que présentent les fils conducteurs ; on pourrait donc, en faisant agir un de ces assemblages sur un autre, produire dans celui-ci le mouvement continu toujours dans le même sens ; ce que dément l'expérience.

Dans ma théorie au contraire, le mouvement continu toujours dans le même sens ne peut avoir lieu que quand un des circuits n'est pas fermé et, comme j'ai toujours admis que les courants électriques des particules des aimants étaient complètement fermés, cette théorie explique parfaitement la différence si remarquable que l'expérience établit, entre les aimants et les conducteurs voltaïques, à l'égard du mouvement continu, toujours dans le même sens, que j'ai obtenu en faisant agir un conducteur voltaïque sur un autre conducteur voltaïque et qu'on ne peut absolument produire en faisant agir des aimants les uns sur les autres. Je ne crois pas qu'aucune des théories qu'on m'a opposées puisse rendre aussi simplement raison de cette différence, qui est, comme vous voyez, une suite nécessaire de la mienne.

[158]

Conformément à mes expériences de 1820, page 35 de mon Recueil *, un courant mobile rectiligne horizontal, allant de l'Est à l'Ouest, est attiré en masse vers le Midi, par la partie supérieure de l'équateur magnétique. La partie inférieure de cet équateur est pour nous du côté du Nord : elle repousse en masse le même courant, mais avec une force moindre à cause qu'elle est beaucoup plus loin. Ces deux forces s'ajoutent pour porter le courant mobile au Midi, où il se porte en effet.

La résultante passant par le milieu de ce courant, si ce milieu repose sur un pivot, il ne peut y avoir aucune action directrice de la terre sur le courant horizontal mobile autour de son milieu, la grande distance faisant que les actions contraires sur ses deux moitiés sont égales.

Tout courant dans une[159] branche descendante 1 tend à se mouvoir en rétrogradant de l'Ouest à l'Est, comme on le voit dans le mémoire inséré dans le cahier de mai des Annales et, dans une branche ascendante, il tend à se mouvoir de l'Est à l'Ouest dans le sens du courant terrestre.

Cette action, à cause de la proximité plus grande de la partie supérieure de l'équateur magnétique, est à son maximum quand la branche est au Midi de l'axe de rotation, à son minimum quand elle est au Nord.

Les deux branches verticales de l'appareil de M. de La Rive tendent évidemment à le faire tourner en sens contraire. Il tourne avec la différence de deux moments, et c'est en effet le sens où il tourne dans son expérience. Il ne petit s'arrêter que quand les deux moments sont égaux ; ce qui exige qu'une des branches étant à l'Est de l'axe de rotation, l'autre soit à l'Ouest.

De là, deux situations d'équilibre qui ont lieu toutes deux, quand le plan du rectangle est perpendiculaire au méridien magnétique. Dans l'une, l'équilibre est stable, et le rectangle y reste immobile ; dans l'autre, l'équilibre est instable, et le[160] rectangle tourne.

Pour les distinguer, déplaçons un peu l'appareil de la situation d'équilibre ! Si le courant est ascendant à l'Est et descendant à l'Ouest, on voit sur-le-champ que, quelle que soit celle des deux branches qui se sera avancée au Midi, son action deviendra prépondérante, et, comme cette action est évidemment dans le sens du déplacement, dans les deux cas il croîtra indéfiniment par cette prépondérance ; l'équilibre sera instable, en sorte que ce sera pour nous comme s'il n'y avait pas d'équilibre par l'impossibilité de le réaliser.

Au contraire, si la branche est descendante à l'Est et ascendante à l'Ouest, celle des deux qui, dans le déplacement, se sera rapprochée du Midi tendra évidemment à retourner sur ses pas ; comme c'est son action qui est prépondérante, l'appareil se remettra dans sa première situation et il y restera en équilibre stable, Or, pour que le courant monte à l'Ouest et descende à[161] l'Est, il faut bien qu'il aille de l'Ouest à l'Est dans la partie supérieure ; c'est alors seulement que l'appareil de M. de La Rive reste en repos... Son expérience est donc, dans toutes ses circonstances, une suite nécessaire de ma théorie et pouvait être prévue d'après cette théorie.

Je suppose que vous connaissez l'expérience due à M. de La Rive. Si cela n'était pas, j'aurais l'honneur de vous envoyer la description qu'il m'en a donnée.

Je vous prie d'agréer l'hommage de mon admiration pour vos travaux, et de ma reconnaissance pour les précieuses communications que vous m'avez faites de leurs principaux résultats. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Ampère

à l'Institution royale, à Londres
(2) J'indique sous ce nom, pour abréger, la branche du conducteur où le courant électrique va en s'approchant du globe terrestre ; j'appellerai de même branche ascendante celle où le même courant va en s'en éloignant

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