To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   23 août 1822

[299] Lyon 23 août 1822

J'ai reçu avant-hier ta lettre et celle que ma sœur et Albine m'ont écrite. Je te prie de les bien remercier de cette dernière et de leur faire mille amitiés, car je prévois que je n'aurais pas le temps de leur écrire avant de quitter Lyon ; je leur écrirai de Genève, où je dois aller passer trois ou quatre jours. Je partirai d'ici dans quatre ou cinq jours ; ainsi je ne pourrais recevoir une lettre de Paris adressée ici ; mais, si tu veux m'écrire quand tu auras reçu celle-ci, tu me feras bien plaisir, et je la recevrai sûrement à Genève pourvu que tu l'adresses ainsi : A Messieurs de La Rive, professeur de chimie, à l'Académie de Genève, pour remettre s.l.p. à M. Ampère, à Genève (Suisse), Confédération helvétique, et en affranchissant ta lettre, car tu sais bien que cela est nécessaire pour les lettres envoyées à Genève et que, sans cette précaution, elle serait mise au rebut à Paris.

[300] Par ce moyen, j'aurai encore des nouvelles de toute la famille, en y comprenant ma petite fille. Je suis charmé de ce que tu m'en dis. Déjà deux scènes du cinquième acte, c'est un bon espoir pour que j'aie bientôt le plaisir de la voir tout entière ; car, jusqu'à présent, c'est une bien jolie personne, mais dont la tête est enveloppée du voile impénétrable de l'avenir ; je ne doute pas que, quand elle aura soulevé ce voile, cette tête n'apparaisse aussi belle que tout le reste. J'ai lu ce que j'ai d'elle à Bellerive dimanche passé, et je dois la lire à Mme Lambert et à son mari. Il y en a eu une lecture à M. d'Ambérieux, où les sentiments qu'elle doit inspirer se sont manifestés bien vivement, tout le long de la pièce. A Bellerive, ce sont surtout le troisième et le quatrième actes qui ont été bien sentis. La nouvelle cousine, comme tu dis, était surtout tout oreilles.

Je n'ai pas lu ces deux fois-là les deux derniers vers que dit Himélide à la fin du troisième acte, parce qu'aux deux autres lectures je crois qu'ils avaient fait[301] un effet de refroidissement en portant sans transition l'esprit sur une idée toute différente de celles qu'exprime la scène de ses malheurs, de ses inquiétudes, de sa prière à Dieu pour qu'Almagis redevienne tranquille et, sous-entendu, soit son époux, avec l'idée qu'après sa mort il soit un des bienheureux. Elle n'a pas, ce me semble, l'idée qu'il va mourir ; ce serait alors seulement que cette idée serait naturelle et nécessaire. Autrement elle refroidit, parce qu'on la voit trop disposée à compter pour peu de chose les biens d'ici-bas, à les voir en philosophe chrétien et non en jeune fille dont le cœur est plein d'amour, quoiqu'elle le sache à peine.

Surtout de toi pour lui que je puisse obtenir... est d'ailleurs un vers qui me semble peu poétique et roulant mal ; je n'en ai remarqué que deux ou trois autres dans le même cas. Ils sont presque tous d'une poésie si simple mais si belle et si vraie ! Tu ne te joueras pas de moi par ton adresse est un de ces deux ou trois vers qui, seuls, ne plaisent pas à mon oreille ; je crois toujours que[302] tout à l'heure et soudain n'aillent pas très bien ensemble dans le même vers : Tout à l'heure en priant soudain j'ai tressailli. J'aurai encore à faire une autre observation qui n'est pas du même genre. L'histoire met la scène à Vérone. Il faut qu'elle y soit pour que les vaisseaux de l'Ambassadeur puissent offrir asile à Rosemonde ; mais je crois que c'est la prise de Pavie qui fut le grand événement digne d'être célébré par des jeux anniversaires. Dès lors, Alboin ne peut pas dire : Dans les murs... quand j'entrais en vainqueur ? Il faut, puisqu'il est à Vérone, qu'il dise : Dans Pavie... quand j'entrais en vainqueur, Quand les Romains pleuraient et que (2) nos cris de joie...

Almagis disait : Dans les murs de Pavie assurer ta puissance. Et là il faut au contraire Vérone. J'y ai écrit Vérone qui ne change rien au vers. Adieu, mon bien-aimé fils, embrasse bien tendrement pour moi ma sœur et mon petit chat ; qu'elle ne néglige point la géographie ! Je t'embrasse comme je t'aime ; toute la maison Périsse te comble d'amitiés ; Bredin aussi. A. Ampère

Please cite as “L625,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L625