To Gaspard de La Rive   25 septembre 1822

Paris 25 septembre 1822
Monsieur,

je dois d'abord vous demander pardon de ne vous avoir pas écrit dès mon arrivée à Paris, après toutes les preuves que vous m'avez données à Genève d'une véritable amitié, preuves dont je me souviendrai toute ma vie avec la plus vive reconnaissance. Je n'aurais point dû laisser passer autant de temps pour vous en faire tous les remerciements que je vous dois ; mais vous comprendrez facilement la foule d'occupations qui accablent celui qui se retrouve dans son pays après une absence de deux mois.

J'ai remis à M. Paschoud les 140 francs que vous aviez eu la bonté de me prêter. Il n'avait point de nouvelles du paquet des 300 exemplaires que j'espérais trouver ce matin chez lui et que j'attends avec d'autant plus d'impatience que j'ai eu l'étourderie d'oublier à Genève une quinzaine de ces exemplaires que nous avions tirés du paquet, et sur lesquels M. votre fils m'avait dit qu'il en prendrait autant qu'il y aurait à Genève d'exemplaires de mon Recueil à compléter, et que j'apporterais le reste à Paris avec moi. Je restai encore deux jours à Genève, mais j'oubliai de m'occuper de cette quinzaine d'exemplaires, en sorte qu'en arrivant ici j'en ai inutilement cherché dans mon paquet. Cette étourderie de ma part m'a fait d'autant plus de chagrin que, depuis mon retour, j'ai donné plus de 10 exemplaires de mon Recueil à diverses personnes, entre autres à MM. Young et Van der Heyden qui sont actuellement à Paris et que ces exemplaires manquent de ce morceau. Je viens d'en retrouver trois derniers où il ne manque que cela ; je vous les envoie : l'un pour vous, Monsieur, les autres pour M. Maurice et M. Pictet. M. Maurice m'a écrit pour en avoir un ; je mets la plus grande importance à ce qu'il le reçoive, soit qu'il soit à Genève ou qu'on le lui fasse passer dans le pays où il se trouverait actuellement.

J'attends toujours la note que m'avait promise M. votre fils des pages qui manquent dans les exemplaires qui sont à Genève pour que je lui envoie de quoi les compléter. Quand ils seront tous complets, il y en aura deux de plus à cause de celui que je vous envoie avec cette lettre, et de celui qui y est joint pour M. Pictet. L'un d'eux sera pour M. votre fils. L'autre, vous ou M. Pictet le donneront à leur choix à quelques-uns des savants qui s'intéressent à Genève aux sciences physiques.

Je joins ici l'extrait que j'ai lu avant-hier à l'Institut d'un mémoire dont je n'avais lu qu'une portion dans la séance du 16 septembre dernier. Cette portion contenait les détails des trois nouveaux faits que M. votre fils m'a aidé à constater. Le reste aurait été difficilement compris à la lecture parce qu'il avait besoin du secours de la figure : ce qui me détermina, dans l'intervalle des deux séances, de faire l'extrait ci-joint, où je ne fais qu'énoncer les résultats des considérations contenues dans cette seconde partie de mon mémoire. Vous la connaissez déjà, car j'en ai exposé toute la substance à Genève le jour que j'ai répété mes expériences avec l'instrument de M. Tabareau.

M. votre fils, outre la note qu'il m'avait promise sur les feuilles de mon Recueil qui manquent dans les exemplaires qui sont à Genève, m'en avait promis une plus importante encore pour moi. Voici ce dont il s'agit.

Il m'avait[dit] qu'il allait insérer son mémoire dans la Bibliothèque universelle avec un petit mot de la façon dont ses expériences s'accordent avec la manière dont j'ai montré que l'action électro-dynamique de la terre était identique avec celle qu'exerceraient des circuits voltaïques dirigés de l'Est à l'Ouest dans des parallèles à l'équateur magnétique ou à peu près. Je lui offris alors de placer son mémoire dans mon Recueil comme j'y avais placé celui de M. Faraday pour que ce Recueil contient tout ce qui s'est fait de plus important sur ce sujet. Il me parut goûter cette proposition et me promit en conséquence qu'on m'en tirerait 300 exemplaires à mon compte dont la pagination suivrait celle de la lettre dont les 300 exemplaires que j'ai vus à Genève ne m'arrivent point, mais qui, je l'espère, finiront par arriver. (A ce sujet je vous prierai bien de vous informer d'où vient ce retard et de les faire expédier tout de suite s'ils ne sont pas encore partis.) Il fallait alors que je susse jusqu'à quelle page irait le mémoire de M. votre fils pour faire enfin tirer mon mémoire du 10 juin dont on ne peut tirer les exemplaires à part que quand j'aurai le numéro de la dernière page du mémoire de M. votre fils. C'est la note de ce numéro qu'il m'avait promise avec l'autre et que je n'ai pas encore reçue.

Il y a deux jours que cette lettre est commencée et je n'avais pas eu le temps de l'achever pour la faire partir. J'en reçois à l'instant une de M. Tabareau qui me demande des nouvelles de son instrument. Sa lettre est du 22 septembre. Je suis vraiment confus, après tout ce que votre amitié pour moi vous a déjà porté à faire, de vous importuner de tous les soins que vous avez la bonté de prendre.

Voici ce que je vous prie de m'écrire pour me tirer d'inquiétude sur ces divers points : Si M. votre fils a eu la bonté de s'en occuper, la note des feuilles qui manquent dans les exemplaires de mon recueil qui sont à Genève pour que je puisse envoyer de quoi les compléter. Dans le cas où les 300 exemplaires que j'ai vus à Genève ne seraient pas encore partis pour Paris, les faire expédier tout de suite. Si l'appareil de M. Tabareau est encore à Genève, le lui envoyer le plus vite possible ; m'écrire en même temps une petite note de frais de transports pour que je les rembourse à M. Paschoud. Je vous prie surtout de me tirer de l'embarras où je suis relativement aux numéros que doivent porter les pages des exemplaires de mon mémoire du 10 juin dernier inséré dans les Annales de Chimie. Si M. votre fils peut savoir tout de suite le numéro que porterait la dernière page des exemplaires de son mémoire tirés par mon Recueil, faites-le-moi savoir tout de suite pour que les numéros des miens suivent. S'il ne peut pas le savoir encore, avertissez-m'en de même ; alors je mettrai aux exemplaires du mémoire du 10 juin les numéros qui suivent ceux de la lettre tirée à Genève. J'écrirai à M. votre fils le numéro de la dernière page que portera ce mémoire et il mettrait aux exemplaires du sien les numéros qui viendraient ensuite pour les 300 exemplaires destinés au Recueil. Comme ceux du mémoire du 10 juin sont tout prêts à tirer, ce parti serait le plus convenable pourvu que les exemplaires du mémoire de M. votre fils ne soient pas encore tirés. Alors il faudrait qu'on attendît à Genève avant de les tirer que j'aie envoyé le dernier numéro du mien. Un mot d'éclaircissement, je vous prie, sur tout cela !

Dans tous les cas, je vous prie de communiquer l'extrait ci-joint à M. votre fils. Après le bonheur d'avoir formé une liaison plus intime avec vous, Monsieur, c'en a été un bien grand pour moi de faire connaissance avec lui. Je ne doute nullement qu'il n'acquière bientôt un rang distingué parmi ceux qui travaillent avec le plus de succès à l'avancement des sciences. Il réunit, à tous les genres de connaissances qui peuvent y contribuer, cette sagacité si rare qui est la mère des grandes découvertes. Le mémoire qu'il a lu à la société d'Histoire naturelle et l'art des expériences qu'il possède à un si haut degré en sont de sûrs garants. Combien ne vous dois-je pas à tous deux pour tout ce que vous avez été l'un et l'autre pour moi pendant que j'étais à Genève ! Tandis que vous me combliez des preuves continuelles d'une amitié qui m'est si précieuse, M. votre fils mettait tout son temps à m'aider à faire des expériences que je n'avais pu faire seul ou que j'avais essayées sans succès, comme celle de la production des courants par influence, qui est une chose si importante quand on veut remonter aux causes physiques des phénomènes dont je me suis borné en général à constater l'existence et à calculer les forces qui les produisent.

Je fais construire un instrument avec lequel je pourrai mettre en évidence l'action du conducteur sensiblement rectiligne supposé indéfini pour faire tourner toujours dans le même sens une portion de conducteur comprise dans son plan ou dans un plan qui lui soit parallèle et pour amener dans une position fixe une portion rectiligne perpendiculaire à son plan, tournant autour d'un axe aussi perpendiculaire à ce plan. Je ferai par là imiter à ce conducteur indéfini tout ce que fait le faisceau des courants terrestres dans nos expériences et celles de M. Auguste de La Rive. Le succès ne peut être douteux d'après les lois d'attraction et de répulsion dont j'ai constaté tant de fois l'exactitude. Alors l'expérience répondra à votre objection comme l'ont déjà fait de simples déductions immédiates de ces lois.

Je vous renouvelle tous les remerciements de la plus vive reconnaissance, je vous prie d'en offrir de pareils et l'hommage de mon profond respect à Mme de La Rive. Mille tendres amitiés à M. votre fils et mille empressés compliments à vos savants collègues qui m'ont montré un intérêt que je n'oublierai jamais. Votre tout dévoué, A. Ampère

Please cite as “L630,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L630