To Auguste de La Rive   11 octobre 1822

[6] Paris 11 [14, ou 31] 8bre [octobre] 1822
Monsieur,

J'ai mille remerciements à vous faire de l'exemplaire de votre mémoire que vous avez eu la bonté de m'envoyer et que j'ai reçu hier 1. Sa lecture m'a fait le plus grand plaisir, et, comme vous avez bien voulu m'autoriser à le faire entrer dans mon Recueil * et me promettre d'en faire tirer 300 exemplaires à mon compte dans cette vue, j'espère que cela est déjà fait, que les 300 exemplaires portent des numéros de page faisant suite à ceux de ma lettre à M. votre père dont j'ai vu les exemplaires à Genève, et que je recevrai le tout incessamment pour compléter mes exemplaires du Recueil. Si le ballot où cela sera ne contenait pas la note de ce que je dois à l'imprimeur de la Bibliothèque universelle pour le papier et le tirage de ces 300 exemplaires, je vous prie de me l'envoyer le plus tôt possible, afin que j'en remette le montant à M. Paschoud. Ce que vous avez ajouté à votre mémoire me dispensera de publier celui que j'ai lu à l'Académie en arrivant ici 2, et dont j'ai envoyé dernièrement l'extrait à M. votre père.

[7]M. Gay-Lussac m'est venu voir ce matin. Il avait reçu de vous un exemplaire pareil et m'a demandé s'il ne serait pas à propos d'imprimer votre mémoire dans les Annales de Chimie et de Physique. Je me suis hâté de lui dire qu'il ne pouvait avoir une meilleure idée, pensant d'une part que cela ne pouvait que vous être agréable et, de l'autre, qu'on ne pouvait, dans l'intérêt de la Science, donner trop de publicité à ce travail, sans lequel j'aurais peut-être été bien longtemps avant de réfléchir assez sur la manière dont une ceinture de courants parallèles à l'équateur magnétique doit agir d'après les lois de l'action électro-dynamique que j'avais données en 1820, pour voir ce qui devait résulter de l'action de cette ceinture, tant sur les portions verticales des conducteurs mobiles pour leur donner une position fixe, que sur les portions horizontales pour les faire tourner toujours dans le même sens. C'est la vue de vos expériences qui m'a fait analyser ces phénomènes, et reconnaître que[8] la comparaison que je faisais entre les courants terrestres et ceux des lames horizontales de mon appareil n'était pas exacte en tous points. Je savais bien cependant qu'un appareil disposé comme celui qui est représenté figure 7 3 devait être dirigé par l'action de la terre, de manière, comme je m'exprimais alors, que la face du plan où il se trouvait, qui était à la gauche du courant, regardât le Nord et la face opposée le Sud : ce qui résulte en effet de l'action qui porte la branche verticale, et à l'Est quand le courant la parcourt en descendant, à l'Ouest quand il la parcourt en montant. C'est pourquoi, toutes les fois que je voulais que la terre n'agît pas sur un circuit de cette forme, j'y joignais un circuit symétrique pour détruire son action.

J'en avais fait expressément la remarque dans le mémoire lu le 10 juin à l'Institut, comme vous pouvez le voir en bas de la page 414 du cahier du mois d'août des Annales de Chimie et de Physique. Mais j'avoue que ce n'est qu'après avoir vu vos belles expériences que j'ai songé à me[9] faire des idées bien nettes sur ce sujet. Je m'étais borné à voir d'une manière générale que les aimants et les conducteurs prennent, par l'action de la terre, les mouvements que tendraient à leur donner des courants électriques dirigés dans le sens du mouvement apparent du Soleil, perpendiculairement aux méridiens magnétiques et d'autant plus intenses qu'ils seraient plus près de l'équateur ; sans entrer dans les détails nécessaires pour que cette assertion fût aussi complètement prouvée qu'elle l'est aujourd'hui grâce aux expériences de M. votre père et à celles que vous y avez jointes aux siennes.

Du 14 octobre La lettre que vous m'avez écrite et que j'ai reçue hier m'a empêché de fermer celle-ci. Je vous remercie de cette lettre qui m'annonce l'arrivée de mes exemplaires. J'irai demain les chercher chez Bossange. Je commence à répondre à quelques autres articles. La manière dont M. Faraday, qui a tant étendu le champ des expériences électro-dynamiques par sa grande découverte du premier mouvement de rotation toujours dans le même sens qu'on ait observé, rend compte de l'action mutuelle d'un conducteur et d'un aimant, donne les mêmes résultats que la mienne et, à cet égard, le grand motif de préférence est dans la complication de ce qu'il prend pour le fait primitif et dans la supposition d'une action regardée comme simple et n'étant pas dirigée cependant suivant la ligne qui joint les deux points entre lesquels elle s'exerce. Mais ce qui décide la question à cet égard, c'est l'action mutuelle de deux conducteurs quand il n'y a pas d'aimant, ce sont toutes les[10] circonstances de cette action, que les lois que j'ai données représentent exactement et de la manière la plus simple. N'est-il pas évident que c'est dans l'action de deux choses de même nature comme les deux conducteurs et non dans celle de deux choses hétérogènes comme un conducteur et un aimant qu'il faut chercher le fait primitif ? Si l'on avait d'abord observé l'action que j'ai reconnue entre deux fils conducteurs, et qu'à mesure qu'on eût vu l'action exercée par le globe, celle des aimants sur les fils conducteurs et sur d'autres aimants, on eût expliqué tout cela comme je le fais en suivant l'ordre que j'établis entre ces phénomènes, pensez-vous que quelqu'un imaginât les hypothèses qu'on m'oppose ? Et, dans le cas où on le ferait, comment cette innovation, qui n'aurait pour but que d'obscurcir ce qui serait clair et de compliquer ce qui serait simple, serait-elle reçue ?

[11]C'est la difficulté qu'on éprouve à changer des idées auxquelles on s'est accoutumé, pour d'autres même bien plus simples, qui est la cause des obstacles que rencontre ma théorie, puisqu'elle ne consiste réellement que dans l'exposition des faits et dans les rapprochements qui se présentent quand on les compare.

Tant qu'il n'est question que de l'action qu'exerce sur un fil conducteur la terre ou un aimant, le fait d'où part M. Faraday suffit pour tout expliquer, puisqu'étant un de ceux qui résultent de ma théorie, il ne peut se trouver en contradiction avec elle. Mais :

En partant de ce fait on ne peut rien en tirer pour l'action mutuelle de deux aimants ; elle reste une chose à part, sans liaison avec le reste et pour laquelle il faut continuer de multiplier les agents sans nécessité, en imaginant deux[12] fluides magnétiques tout différents des deux fluides électriques.

On ne peut rien en tirer non plus relativement à l'action mutuelle de deux fils conducteurs. Il faudrait, quoiqu'on en dise, considérer aussi cette action comme un fait indépendant de celui qu'a découvert M. Œrsted ; car, pour la ramener à la loi de M. Faraday telle que l'expérience la donne entre un conducteur et un aimant, il faudrait nécessairement supposer, dans l'un des deux fils, quelque chose analogue à un aimant. Il faudrait assimiler les conducteurs voltaïques à des fils d'acier aimantés transversalement, comme on a voulu le faire en Allemagne, tandis que cette assimilation est démentie par les faits, puisqu'un conducteur mobile peut toujours tourner dans le même sens par l'action[13] d'un autre conducteur, et qu'on ne peut obtenir le même résultat en faisant agir l'un sur l'autre deux fils d'acier aimantés de quelque manière qu'ils le soient.

Cette différence entre les fils d'acier aimantés transversalement et les conducteurs voltaïques est une suite nécessaire de ma théorie, elle est contradictoire avec toutes celles qu'on a voulu lui opposer.

J'ai remarqué en relisant l'exposition si claire et si précise que vous avez eu la bonté de faire des idées que je développai à Genève le jour où j'y fis mes expériences, une inexactitude que vous ne pouviez éviter parce que vous n'aviez pas sous les yeux la Note du Journal de Physique, cahier de septembre 1820, et que vous ne connaissiez que par ce que je vous en avais dit le mémoire que j'avais lu à l'Académie des Sciences le 10 juin dernier.

Cette inexactitude consiste dans ce que vous dites en parlant des petites portions de courants mnpq (fig. 8),[14] qu'après qu'on les a remplacées, la première par mk et kn et la seconde par pl et lq, il n'y a d'action qu'entre mk et pl, tandis que l'action entre mn et pq, qui, d'après le principe de la décomposition des courants, comme je l'ai expliqué dans le temps, doit être égale à la somme des quatre actions 4 de mk sur pl, de mk sur lq, de kn sur pl et de kn sur lq, se réduit ici à la somme des deux actions de mk sur pl et de kn sur lq parce que les deux autres sont nécessairement nulles, ce que je me suis appliqué à démontrer dans la première Note sur l'exposé sommaire des nouvelles expériences électrodynamiques lue à la séance publique du 8 avril 1822, note que vous trouverez dans mon Recueil et où cette démonstration est fort développée. Quant aux deux autres actions, elles forment les deux[15] termes de ma formule. Je n'ai pu regarder celle qui a lieu entre kn et lq comme nulle que quand j'ai cru que le coefficient désigné par m/n dans le cahier de septembre 1820 du Journal de Physique et par k dans ce que j'ai lu à l'Académie des Sciences au mois de juin dernier était nul. Or, ce travail a précisément pour but de montrer que k n'est pas nul mais négatif, c'est-à-dire que l'action mutuelle de kn et de lq dirigés suivant une même droite n'est pas nulle mais attractive quand les courants y vont en sens contraire, comme cela arrive nécessairement quand l'angle BAC est droit, tandis qu'elle doit, toujours à cause qu'on trouve pour k une valeur négative, être répulsive quand deux courants dirigés suivant une même droite la parcourent dans le même sens : ce qui a précisément été confirmé par l'expérience représentée figure 12.

[16]Il est clair que, si l'on désigne, comme je l'ai toujours fait, par ds et ds' les longueurs des deux petites portions mn, pq, par et les angles qu'elles forment avec la droite qui joint leurs milieux en prenant ces angles de manière que leurs ouvertures soient tournées du même côté et qu'ainsi, dans la situation où les deux petites portions mn, pq sont dans la figure 8, l'un de ces angles soit aigu et l'autre obtus, et qu'enfin on nomme l'angle des deux plans nmp, mpq, s'ils ne se confondent pas en un seul, on aura, abstraction faite des signes, mk = ds sin , kn = ds cos , pl = ds' sin , lq = ds' cos . D'où il suit que, pour une même distance entre les points m et p, l'action entre mk et pl sera en général proportionnelle à ds ds' sin sin cos , qui se réduit à ds ds' sin sin , quand toutes les lignes sont dans le même plan, parce qu'alors = o, que l'action[17] entre mk et lq, à l'égard desquels l'angle y ne peut rien faire, sera toujours proportionnelle à ds ds' cos cos et qu'ainsi la somme de ces deux actions, c'est-à-dire l'action totale entre mn, pq le sera nécessairement à (sin sin cos + k cos cos ) ds ds' k étant un coefficient constant. Voilà comme je suis parvenu en 1820 à cette formule 5. Il en résulte nécessairement que, cos cos étant négatif quand les courants sont situés comme dans la figure 8, puisqu'un des angles est obtus et l'autre aigu, k ds ds' cos cos , qui représente l'action entre kn et lq sera positif et indiquera une attraction quand k sera négatif, comme j'ai trouvé qu'il l'était effectivement.

[18]Si l'action de mn et de pq, dans le cas représenté (fig. 8), est toujours attractive, c'est donc parce qu'elle est la somme de deux actions de mk sur pl et de kn sur ql qui le sont toutes les deux. Comme il était uniquement question, dans cet endroit de votre excellent mémoire, de faire l'exposition de mes idées, j'ai cru que vous me permettriez, en lisant les épreuves de la réimpression qui s'en est faite dans les Annales de Chimie et de Physique, pendant les deux ou trois jours que j'ai mis à écrire ce qui précède, de modifier ce passage de manière qu'il rendît plus exactement ma pensée ; mais, étant obligé de le faire en peu de mots, ce que j'y ai écrit a besoin de l'espèce de commentaire que vous venez de lire. C'est ce qui me fait désirer vivement que Monsieur votre père, dont les bontés pour moi resteront toujours gravées dans mon souvenir, jugeât cette lettre digne d'être insérée dans la Bibliothèque universelle. Dans ce cas, j'en retiendrais toujours 300 exemplaires à mon compte dont je vous écrirai la pagination dès[19] que mes 300 exemplaires du mémoire du 10 juin, auquel je fais actuellement une addition, seront imprimés. Je vous préviens aussi, dans ce cas, d'en supprimer purement les passages relatifs à l'envoi de mes exemplaires et autres qui ne signifieraient rien dans une lettre imprimée. A propos j'ai passé avant hier 15 octobre chez Bossange père ; j'y ai vu des numéros de la Bibliothèque universelle arrivés depuis quelques jours, mais point de paquet pour moi. On m'a promis de le chercher et de me l'envoyer de suite si on le trouvait ou s'il arrivait. Nous voici déjà arrivés au 17 octobre et point de nouvelles de ce paquet ! Je retournerai demain ou après-demain chez Bossange. Je reçois aujourd'hui 18 octobre la lettre ci-jointe de M. Bossange qui m'en dispensera.

En lisant les mêmes épreuves, je me suis aperçu que le texte supposait les courants de la figure 8 dirigés en sens contraire des flèches qui les représentent dans cette figure, que dans la figure 1 le godet était désigné par la lettre y et que le texte portait en plusieurs endroits le godet o, au lieu qu'il faudrait,[20] pour s'accorder avec la figure, le godet y fixé dans l'écrou o. J'ai cru aussi que vous ne m'en voudriez pas de faire disparaître ces légères incorrections, d'ailleurs bien faciles à suppléer pour le lecteur. Une correction que je crois plus importante et que j'ai espéré que vous me permettriez de faire, consiste à avoir remplacé : le pôle Z, le pôle C, par les mots : le pôle positif, le pôle négatif.

Voici mes raisons : Une dénomination ne peut avoir un sens clair que quand tous ceux qui l'emploient dans leurs écrits, s'en servent et s'en sont toujours servis dans le même sens, et nous ne pouvons plus faire que vous, Monsieur, M. Babinet et moi-même n'ayons appelé en effet Z le pôle positif, C le pôle négatif et que M. Faraday n'ait, au contraire, constamment appelé C le pôle positif et Z le pôle négatif : ce qui est, il faut l'avouer,[21] bien mieux fondé en raison, parce que, dans une pile où toutes les paires zinc et cuivre soudées ensemble sont complètes, telles que celles qui nous ont suggéré la manière dont nous avons désigné les pôles de la pile, la plaque de zinc du côté positif se trouvant en communication immédiate, d'un côté avec une pile de cuivre, de l'autre avec un fil qui est en général aussi de cuivre, ne sert absolument à rien et qu'il n'en résulte pas plus de force dans le courant que si cette plaque et ce fil communiquent immédiatement, à cause que les deux actions électromotrices, exercées alors en sens contraire aux deux côtés de cette plaque, se font mutuellement équilibre ; que, d'un autre côté, la plaque de cuivre du côté négatif ne sert de rien non[22] plus, puisque, l'étendue du contact étant à peu près si ce n'est tout à fait indifférente quand il s'agit des métaux, il vaut autant que le fil conducteur de cuivre soit immédiatement soudé au zinc que de l'être à une plaque de cuivre souciée elle-même au zinc. Il faut donc, pour tirer le plus grand effet possible d'une même quantité de plaques de zinc et de cuivre, terminer les deux extrémités de la pile par une demi-poire en cuivre du côté positif et en zinc du côté négatif, et surtout souder les deux fils conducteurs à chacune de ces demi-poires, au lieu de les plonger, comme on le fait souvent, dans l'eau acidulée des deux extrémités de la pile, ce qui fait presque autant de tort à l'action de la pile que si l'on en[23] supprimait une plaque dans cette construction, préférable à toute autre lorsque les plaques de cuivre sont doubles en surface des plaques de zinc pour les envelopper des deux côtés en se repliant sur leurs deux faces, comme dans les piles de Wollaston, le pôle positif doit s'appeler le pôle cuivre et le pôle négatif le pôle zinc, ainsi que le fait M. Faraday, puisque ce sont là les métaux d'où partent les fils conducteurs. Les mots de positif, négatif sont les seuls qui ne présentent jamais ni ambiguïté ni équivoque et qui s'accordent avec les dénominations consacrées de corps électro-positifs, corps électro-négatifs.

Comme je suis convaincu que la perfection du langage n'est point du tout à dédaigner dans les sciences, je désirerais avoir votre avis sur une autre correction[] que j'ai faite, d'abord d'une manière et ensuite d'une autre, en me rapprochant de la première expression employée dans votre mémoire, sans avoir pu me satisfaire. Depuis qu'il n'est plus temps d'y rien changer, j'ai imaginé une autre manière de dire la même chose qui me paraît bien préférable et qui serait infiniment commode si elle passait en usage ; car il s'agit de désigner avec précision une chose dont on a sans cesse à parler quand on s'occupe de l'électricité dynamique. L'expression des pôles m'a toujours tourmenté dans l'application qu'on en fait à la pile de Volta. En géométrie, les pôles d'un cercle sont des points placés sur la perpendiculaire à son plan qui passe par son centre. Conformément à cette signification, les pôles de la terre sont ceux de son équateur ; ses pôles magnétiques sont ceux des cercles décrits par les courants terrestres. La même signification se conserve quand on parle des pôles d'un aimant considéré comme un assemblage de courants électriques, et quand on applique la même dénomination, comme l'a fait M. Faraday, aux deux points de l'axe d'une hélice formée avec un fil conducteur, qui présentent toutes les propriétés des pôles d'un aimant. Jusque-là, ces divers emplois d'un même mot expriment les véritables analogies naturelles des choses dont on parle, ils sont clairs et conformes à ce qu'ils désignent ; mais l'emploi du même mot pôle, quand on l'applique aux deux extrémités de la pile, non seulement renverse toutes ces analogies mais porte l'esprit à en admettre une tout à fait fausse, et l'éloigne du point de vue sous lequel on doit toujours considérer la pile et l'ensemble des conducteurs fixes et mobiles en communication avec elle comme un seul circuit toujours complètement fermé. Lorsqu'on ne fait abstraction d'aucune de ses parties, la partie mobile n'est jamais qu'une portion de ce circuit, elle ne peut être complètement fermée ; mais tantôt elle l'est presque et tantôt point du tout, d'où résultent les différences entre ses propriétés dont j'ai plusieurs fois parlé. C'est pour cela que, dans presque tout ce que j'ai écrit sur l'électricité dynamique, j'ai eu soin de dire les extrémités de la pile et non les pôles de la pile. J'avais d'abord fait cette correction dans la réimpression de votre mémoire ; mais je me suis aperçu que cette expression choquait dans des phrases telles que celle-ci : On plonge alors les extrémités de la pile dans les coupes MN. J'ai donc rétabli à mon grand regret le mot pôle en laissant de la pile, pour les distinguer du moins des pôles des aimants et des hélices. J'ai songé trop tard que ce qu'on plonge en effet dans les coupes ce sont les deux fils ou lames de cuivre adaptés aux deux bouts de la pile dont on se sert pour porter le courant électrique dans les appareils destinés aux expériences électrodynamiques, qu'on est obligé d'en parler sans cesse, et que, s'ils avaient un nom propre, on éviterait des circonlocutions qui reviennent sans cesse. Ce nom est tout fait : c'est celui de porte-courant, ou de rhéophore et, si tout le monde a adopté le nom d'électrophore pour l'instrument qui porte où l'on veut l'électricité statique, pourquoi n'adopterait-on pas celui de rhéophore pour ce qui me sert au même usage relativement à l'électricité dynamique. On aurait soin, en décrivant la pile, de dire qu'elle se compose d'un certain nombre de paires 6 séparées les unes des autres par un liquide conducteur et formées chacune d'une plaque de zinc et d'une plaque de cuivre en contact immédiat, que la pile se termine de part et d'autre [par] deux demi-paires auxquelles sont soudés deux fils ou lames de cuivre dont on fait plonger les extrémités dans les coupes pleines de mercure des appareils électrodynamiques et auxquelles on donne le nom de rhéophores (porte-courants). Celui qui est attaché à la demi-paire de cuivre est le rhéophore positif parce que c'est lui qui présente les caractères de l'électricité positive quand il est isolé. L'autre est le rhéophore négatif.[24] Si vous approuvez cette dénomination, nous pouvons nous en servir après que la publication de cet endroit de ma lettre en aura fait connaître la signification.

Voici encore une observation qui peut être de quelque intérêt : Dans l'exposition que je fis à Genève des principaux points de ma théorie, j'ai suivi l'ordre dans lequel j'ai découvert les faits. C'est aussi cet ordre que vous avez suivi dans celles que vous avez eu la complaisance de donner à la fin de votre mémoire de quelques-uns de ces points. Mais cet ordre, déterminé par des circonstances fortuites, n'est pas celui qui conviendrait à une exposition méthodique. Après avoir réfléchi, je pense que c'est l'ordre suivant qu'il conviendrait d'adopter.

Les deux faits les plus généraux sont : Quand le courant électrique parcourt successivement les deux côtés d'un angle plan ou gauche 7 en allant par l'un vers le sommet et revenant par l'autre, il y a répulsion entre les deux côtés de l'angle. Ce fait doit être constaté par l'expérience : d'abord pour un angle quelconque, puis pour un angle nul quand les deux droites sont parallèles, enfin pour un angle de 180° au moyen de l'appareil représenté dans la figure 12. Quand la direction du courant change dans un des côtés sans changer dans l'autre, en sorte qu'il va dans tous les deux ou en s'approchant ou en s'éloignant du sommet, il y a attraction entre[25] les mêmes côtés. Ce fait doit aussi être constaté par l'expérience, du moins pour un angle quelconque, et pour un angle nul quand les deux courants sont parallèles. Comme je ne connais pas d'appareil pour vérifier directement le cas où l'angle est de 180°, on pourra s'en dispenser en déduisant ce cas, qui est celui des portions de courants kn, lq (fig. 8) 8 des deux précédents combinés avec les lois suivantes qu'on doit aussi établir d'après des expériences précises en mettant en équilibre un conducteur mobile sollicité par des forces égales. Vous connaissez les deux premiers cas de cet équilibre, d'où l'on tire les deux lois suivantes relatives aux faits que l'on vient d'énoncer

Que quand on change seulement le sens d'un des courants, l'attraction qui en résulte est exactement égale à la répulsion qui avait lieu auparavant, et réciproquement. Je n'ai encore décrit nulle part les expériences dont je me sers pour établir cette loi, mais il est aisé à chacun d'y suppléer.

L'action d'une petite portion de courant électrique sur une autre est égale à la somme des actions qu'exerceraient sur[26] cette dernière les trois projections de cette dernière. Vous savez assez par quelles expériences on s'en assure ; j'ajouterai seulement ici, à ce que j'ai publié sur ce sujet, que cette expérience peut aussi bien se faire à l'égard de deux courants dont les directions forment un angle quelconque que de deux courants parallèles.

Maintenant, puisque, d'après cette dernière loi, l'action de mn (fig. 8) sur pq est égale à la somme des deux actions exercées par mk et kn sur le même pq et que, d'après les expériences qui servent à établir la première loi dans les deux cas où il est aisé de le faire, les deux actions répulsives de mn et de kn sur pq, qui auraient lieu si un des deux courants de la figure 8 allait vers le sommet de l'angle BAC, se changent en attractions quand ils sont dirigés comme on le voit dans cette figure, il faut nécessairement que la répulsion entre kn et pq 9, démontrée par l'expérience de la figure 12 pour le cas où un des courants des côtés de l'angle BAC 10 irait en s'approchant du sommet A de cet angle, se change en[27] attraction, lorsqu'ils vont tous deux en s'en écartant ou s'en approchant : ce qu'il s'agissait, comme je l'ai dit tout à l'heure, de déduire des autres faits et des lois données par l'expérience, tant qu'on n'aura pas trouvé le moyen de le vérifier directement.

Quand on en est là, on doit examiner ce qui doit arriver quand un courant horizontal, rectiligne et indéfini, agit sur une portion de fil conducteur mobile autour d'un axe, soit horizontal, soit vertical, et, quand l'axe est vertical, soit que la partie mobile soit horizontale ou verticale.

Ce sont ces divers cas dont vous vous êtes occupé à la fin de votre mémoire. L'instrument que j'ai fait construire pour les vérifier est presque fini. J'ai même déjà fait quelques expériences avec cet appareil. Elles ont parfaitement réussi. Vous sentez bien qu'il ne peut y avoir de doute sur le succès des autres puisque ce n'est toujours que la même chose faite de diverses manières. Dès que je les aurai achevées, je profiterai du premier moment de liberté pour[28] en écrire les détails à Monsieur votre père. Je me reproche vivement de n'avoir pas encore répondu à son aimable lettre contenue dans la vôtre. Mais figurez-vous que, faute de temps, une lettre de M. Faraday et les épreuves d'un mémoire de mathématiques que j'ai donné pour les mémoires de l'Institut, que j'ai trouvées en arrivant ici, attendent encore depuis que je suis de retour à Paris : la première une réponse, les autres quelques heures pour les corriger. J'en reviens à l'ordre dans lequel je crois que les faits électrodynamiques doivent être exposés.

L'action d'un courant rectiligne fixe, plusieurs fois redoublé et étendu indéfiniment dans un plan horizontal, sur un fil conducteur horizontal et tournant comme l'aiguille d'une montre, quand le conducteur fixe est hors de la surface cylindrique dont il a été question plus haut, ayant fait connaître la possibilité d'obtenir un mouvement continu toujours dans le même sens, conduit bientôt à augmenter cette action par la diminution de la distance à laquelle elle s'exerce ; et à la rendre uniforme, en remplaçant le conducteur rectiligne fixe par un conducteur circulaire redoublé, c'est-à-dire[29] par la spirale revêtue de soie que vous connaissez. Après le succès de cette expérience, il est naturel d'essayer si, dans ce cas, on pourrait obtenir le mouvement continu toujours dans le même sens, avec un conducteur mobile dont les deux extrémités se trouveraient dans l'axe vertical. On voit qu'au contraire, il y a alors équilibre. On s'assure que la même chose a lieu pour un arc quelconque en faisant l'expérience avec le conducteur en demi-cercle plusieurs fois redoublé que nous avons essayé ensemble à Genève, et il ne manque plus rien pour déduire de ce troisième cas d'équilibre la valeur du coefficient indéterminé k de la formule que j'ai tirée en 1820 des deux autres cas d'équilibre rappelés plus haut. La détermination de la valeur de k d'après ce troisième cas d'équilibre est l'objet de mon dernier mémoire  ; vous l'avez déjà vu sans doute dans le cahier d'août des Annales de Chimie et de Physique 11.

On doit ajouter à cela les expériences sur la production des courants par influence et celles qui montrent que le courant qui[30] est dans la pile agit comme celui du conducteur tant pour les attractions et les répulsions que pour le mouvement toujours dans le même sens. J'ai décrit, dans les Annales de Chimie et de Physique, tome 18, pages 315 et suivantes, une petite pile de M. Offerhaus très commode pour observer les attractions qu'exerce le courant de l'intérieur de cette pile, représentée Annales de Chimie et de Physique (tome 18, planche III). Pour obtenir le mouvement toujours dans le même sens produit par l'action du même courant, il faut employer une pile absolument semblable, mais d'un plus grand diamètre, faire communiquer la lame de cuivre roulée en spirale avec un vase de cuivre semblable au vase de zinc ABCD (même planche, figure 20) et mettre en communication la lame de zinc avec le pied FH du godet I où repose la pointe O d'un conducteur mobile semblable à celui qui est représenté en LOMP et plongeant de même dans l'eau acidulée du vase de cuivre, mais dont la couronne LMP a un plus grand diamètre que dans cette figure. On voit alors tourner ce conducteur[31] dans le sens déterminé par celui des tours de la spirale, par l'action du courant de l'intérieur de la pile. Si ce courant va de l'Est à l'Ouest par le Midi, l'action qu'il exerce est augmentée par celle de la terre, qui la diminue dans le cas contraire.

Cela bien exposé, il me semble que tout ce qui est relatif à l'action mutuelle de deux courants électriques le serait d'une manière à peu près complète. Il faudrait passer alors à l'action de la terre sur une portion mobile du circuit voltaïque qu'on reconnaît, comme je l'ai remarqué ailleurs, à ce qu'elle change de direction quand on renverse les communications avec la pile 12. Le premier fait relatif à cette action du globe terrestre est celui du mouvement continu[34] d'un fil horizontal mobile autour d'une de ses extrémités et qui se meut de manière qu'un observateur placé au centre du cercle qu'il décrit le verrait tourner de sa droite à sa gauche quand le courant qui le parcourt va du centre à la circonférence, et de gauche à droite quand le même courant va au contraire de la circonférence au centre 13. En comparant ce fait à l'action que nous avons plus haut déduite de la théorie et vérifiée par l'expérience entre un conducteur fixe rectiligne et indéfini et un conducteur mobile de la même manière que celui que la terre fait mouvoir ainsi, on trouve qu'elle agit dans ce cas comme un courant électrique sensiblement rectiligne situé hors du cylindre qui a pour base le cercle décrit par le conducteur mobile et dont la direction aille de la gauche à la droite de l'observateur ; en sorte que, si cet effet est produit, comme il est naturel de le supposer, par une multitude de courants électriques, il faut que le courant moyen qui pourrait leur être substitué soit situé et dirigé comme je viens de le dire, sans que d'ailleurs cette expérience puisse déterminer le côté de l'horizon où il doit être pour que le mouvement observé puisse être attribué à cette cause. Le second fait relatif à l'action électrodynamique de la terre[35] est un quatrième cas d'équilibre donné par une expérience que j'ai faite depuis longtemps et que je viens de vérifier après l'avoir déduit de ma théorie par le calcul. J'ai trouvé, en partant de la formule obtenue dans le mémoire que j'ai lu à l'Académie des Sciences le 10 juin dernier, que l'action du conducteur fixe, horizontal et indéfini, sur le courant horizontal mobile autour d'une de ses extrémités, était la même, pour le faire tourner toujours dans le même sens, quel que fût l'angle de leur direction, quand la distance entre ces deux conducteurs était très grande relativement à la longueur du courant mobile. Il suit de là, que, si deux conducteurs horizontaux de la même longueur sont soudés par une de leurs extrémités à un axe vertical auquel ils soient tous deux perpendiculaires, mais dans des plans différents, et que leurs directions forment un angle quelconque, il n'y aura point de mouvement lorsqu'un des courants ira du centre à la circonférence, et l'autre de la circonférence au centre.

Lorsque ce cas d'équilibre, qui rentre dans ma théorie d'après le calcul dont je viens de vous parler, a été constaté par[36] l'expérience, on doit en conclure : ° que, si l'action qu'exerce le globe sur les conducteurs est due à des courants électriques, il faut que le courant moyen qui produirait les mêmes effets se trouve en général à une grande distance du lieu où se fait l'observation ; ° que, si l'on soumet à cette action le conducteur mobile de la figure 7 14, on n'aura que l'effet produit sur la partie verticale puisqu'il y a équilibre entre les actions exercées sur les parties horizontales de fg.

Le troisième fait consiste dans la situation déterminée, que ce conducteur prend : à l'Est de l'axe bd quand le courant électrique le parcourt en descendant ; à l'Ouest, quand il le parcourt en montant.

Comparons maintenant le résultat que donne cette expérience, avec l'action que doit exercer, d'après ce qui a été dit ci-dessus, un conducteur rectiligne horizontal sur un conducteur mobile tournant autour d'un axe vertical auquel il reste constamment parallèle, et nous verrons qu'il en résulte que le courant moyen des courants terrestres ira de l'Est à l'Ouest ; mais alors, s'il se trouvait au Nord,[37] il irait de la droite à la gauche de l'observateur placé au centre du mouvement ; et nous avons vu par une expérience précédente, qu'il va de sa gauche à sa droite. Il faut donc qu'il soit du côté du Sud et dans la direction de l'Est à l'Ouest. Si l'on menait dans le plan de l'horizon une perpendiculaire à cette direction, on aurait ce qu'on nomme le méridien magnétique ; mais n'anticipons pas sur ce que nous aurons bientôt à en dire et ne la considérons que comme celle où se place le plan d'un conducteur mobile vertical !

Ce n'est qu'après ces premières recherches sur la cause de l'action entre la terre et les conducteurs voltaïques qu'il convient d'examiner les phénomènes produits par cette action que j'ai observée en 1820. Le premier est le mouvement que j'ai remarqué le 17 octobre 1820 en faisant, devant quelques membres de l'Académie des Sciences, des expériences avec un appareil dont le conducteur mobile était le même que celui qui est représenté en ECDF dans la figure I de la planche I de mon Recueil et du tome 15 des Annales de Chimie et de Physique 15. Ce mouvement se produit à l'instant où[38] l'on met le conducteur mobile en communication avec les deux extrémités de la pile : on voit, sous tous les azimuts, le conducteur ECDF se porter à gauche de l'observateur placé dans le courant de la portion horizontale CD de la manière dont je l'ai expliqué dans mon premier mémoire (Annales de Chimie et de Physique, tome 15, page 67, lignes 10 à 13). D'après les expériences précédentes, c'est un effet dû uniquement, comme vous l'avez remarqué dans votre mémoire, à l'action que la terre exerce sur cette portion horizontale, parce que celle qu'elle exerce sur les deux portions verticales pour les faire tourner toujours dans le même sens, parce que ces portions sont perpendiculaires à l'axe EF autour duquel tourne le conducteur mobile et, d'après le calcul que j'ai fait depuis peu et dont j'ai parlé tout à l'heure, l'action exercée sur CD doit être la même sous tous les azimuts. Il est à remarquer qu'il n'en est de même de l'action de la terre soutenue sur une des deux portions verticales,[39] EC par exemple, pour la faire tourner toujours dans le même sens autour de l'axe horizontal EF. Cette dernière est évidemment à son maximum quand EF est dans le plan du méridien magnétique ; elle devient nulle quand EF lui est perpendiculaire.

Viennent ensuite les mouvements imprimés par l'action électrodynamique terrestre à des circuits presque fermés, mobiles, soit autour d'un axe vertical, soit autour d'un axe horizontal. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'en ai dit dans mon premier mémoire (Annales de Chimie et de Physique, tome 15, pages 90 et suivantes), si ce n'est : que, pour en rendre raison, il faut examiner l'action de la terre sur chacune des portions tant verticales qu'horizontales du circuit mobile ; que, dans le cas où le circuit est mobile autour d'un axe horizontal, il doit, d'après la théorie, être amené par l'action de la terre dans le plan parallèle à l'horizon qui passe par[40] cet axe lorsque ce dernier est dans le plan du méridien magnétique, tandis que le même circuit doit s'incliner dans les autres azimuts de manière que son inclinaison soit la plus grande possible quand l'axe est perpendiculaire à ce plan. Dans ce dernier cas, si les courants électriques terrestres étaient réunis dans la tangente à l'équateur magnétique au point où il rencontre le méridien magnétique sur la surface de la terre, le circuit mobile devrait évidemment, en se dirigeant vers cette tangente, s'abaisser au-dessous de l'horizon du côté du Sud, en formant avec lui un angle égal à la moitié de la latitude magnétique. Cette égalité ne doit pas avoir lieu précisément puisque les courants terrestres ne sauraient être considérés comme étant tous dans cette tangente ; mais il y a, comme on sait, entre la[41] moitié de la latitude magnétique et l'angle dont je viens de parler qui est le complément de l'inclinaison de l'aiguille aimantée, une relation très simple qui me paraît pouvoir être déduite de ma théorie par un calcul que je n'ai point encore eu le temps de faire.

Après que l'action de la terre sur un circuit presque fermé est ainsi analysée dans tous ses détails et toujours sans qu'il soit question d'aimant, les directions de ce qu'on appelle le méridien et le parallèle magnétique se trouvent déterminées par la direction que l'action du globe donne à ce circuit. On est naturellement amené à construire un instrument propre à imiter tout ce que produit l'action terrestre. On construit pour cela une hélice de lames de cuivre ou de gros fils du même métal revêtu de soie roulés sur un cylindre de carton, de manière que, toutes les spires se touchant, la soie qui les recouvre empêche seule le courant électrique de passer d'une spire à la spire voisine. On fait, comme[42] je l'ai expliqué ailleurs, revenir de l'hélice une portion de la lame ou du fil dont elle se compose pour déterminer l'effet des projections parallèles à l'axe, et que chaque spire n'agisse que comme sa projection circulaire sur un plan perpendiculaire. Cette hélice ainsi construite, on la fait agir sur les mêmes conducteurs qui avaient été soumis à l'action de la terre et l'on montre qu'elle agit précisément comme elle dans les divers cas où il y a mouvement de rotation, de révolution continue et de translation. On observe aussi qu'elle attire ou repousse, suivant des circonstances faciles à prévoir d'après la théorie, un conducteur dont la direction est perpendiculaire à son axe et qui est susceptible de se mouvoir, soit parallèlement, soit perpendiculairement à son axe.

Pour obtenir les phénomènes réciproques de ceux-là, on construit une hélice qui ne diffère de la précédente qu'en ce qu'elle est très légère et[43] que les deux extrémités du fil dont elle se compose reviennent par son axe au milieu de cet axe, sortent latéralement de l'hélice et se terminent comme les extrémités de la plupart de mes conducteurs mobiles, pour être mises en communication avec celles de la pile au moyen du mercure contenu dans les coupes de suspension de l'appareil dont je me sers pour les expériences analogues que j'ai décrites ailleurs, ou bien par une plaque de zinc et une de cuivre plongeant dans l'eau acidulée sur laquelle flotte l'hélice comme dans les expériences de M. Van der Heyden. Il faut alors déduire de la théorie les actions que doivent exercer sur cette hélice différents conducteurs fixes et les vérifier successivement. Ces actions sont précisément celles que l'on verra plus tard, en continuant cette exposition de tous les phénomènes électrodynamiques, être produites par les mêmes conducteurs sur un aimant dans les expériences de M. Œrsted, dans celles de Monsieur votre père et dans quelques-unes des miennes. On pourra prévoir et vérifier de même les phénomènes de direction et d'inclinaison produits sur cette hélice par l'action du globe terrestre.

On distinguera alors les deux extrémités de l'hélice en ce que l'une se dirige[44] constamment au Nord et l'autre au Sud, suivant qu'elles se trouvent à droite ou à gauche des courants des spires, en comparant leurs positions relativement à ces courants, avec celle des pôles de la terre relativement aux courants terrestres dirigés de l'Est à l'Ouest. On reconnaît aisément qu'il y a identité de position à cet égard : entre l'extrémité de l'hélice qui se porte au Nord et le pôle austral de la terre ; entre celle qui se porte au Sud et le pôle boréal de notre globe. De là les noms de pôle austral de l'hélice et de pôle boréal de l'hélice donnés à ces deux extrémités.

Il est temps alors de déduire de la théorie et de vérifier par l'expérience, que les pôles de même nom de deux hélices se repoussent mutuellement et qu'il y a attraction entre les pôles de nom contraire.

On doit ensuite passer aux expériences de M. Arago, placer dans les hélices les fils d'acier parallèles à leurs axes, remarquer qu'après qu'ils y sont restés quelque temps les phénomènes présentés par ces hélices restent les mêmes dans toutes leurs autres circonstances mais augmentent d'intensité, retirer alors les fils d'acier et montrer qu'ils[45] présentent encore précisément les mêmes phénomènes, tant dans l'action semblable à celle de la première hélice sur les fils conducteurs pour les attirer, les repousser, les diriger et les faire tourner toujours dans le même sens, comme le montrent les expériences de M. Faraday et celle de Sir H. Davy sur la rotation du mercure, que dans la manière dont les conducteurs agissent sur une hélice mobile (c'est ici qu'on retrouve l'expérience de M. Œrsted), les actions attractives et répulsives d'un conducteur sur un aimant, la révolution d'un aimant autour d'un conducteur découverte par M. Faraday, sa rotation sur son axe que j'ai obtenue le premier : ces deux derniers mouvements pouvant être prévus d'après ma théorie, dans les cas opposés où ils se produisent, comme je l'ai montré dans le mémoire qui a paru dans le tome 20 des Annales de Chimie et de Physique, pages 60 et suiv. et dans la Bibliothèque universelle (Sciences et Arts, juillet 1820). On doit montrer ensuite que la terre agit sur ce fil d'acier précisément comme sur une hélice, et qu'en le présentant à un autre fil d'acier préparé de la même manière, leurs extrémités situées de la même manière se repoussent comme les pôles de même nom des hélices, et qu'il y a de même attraction entre les extrémités d'espèces opposées.

On doit alors dire qu'on a donné le nom d'aimant aux morceaux d'acier, de fer, de nickel ou de cobalt qui présentent ces propriétés, étendre à leurs extrémités les dénominations de pôle austral, pôle boréal, données à celles des hélices, et prévenir que, par l'ordre historique de la découverte des faits, ordre qui ne fait rien à la manière dont ils dépendent réellement les uns des autres dans la nature, on a connu les aimants bien longtemps avant la pile de Volta et les propriétés des courants électriques, parce que l'on trouve des mines de fer naturellement aimantées, et qui servent à aimanter des barreaux, des aiguilles, etc., précisément comme on les aimante avec les courants électriques produits par la pile, en rapprochant ces deux modes d'aimantation, comme je l'ai fait à la fin de l'ouvrage de M. Babinet * et dans ma lettre à M. van Beek insérée dans le Journal de Physique. En examinant plus particulièrement les phénomènes que présente l'action mutuelle d'un barreau aimanté, tant sur un autre barreau qui l'est aussi que sur un qui ne l'est pas encore, on est alors[46] conduit aux considérations sur la formation des points conséquents, sur la situation inclinée à l'axe d'un aimant des courants électriques qu'on doit admettre autour de ces particules, etc. qui sont contenus dans cette lettre et dans celle que j'ai écrite au mois de juin dernier à Monsieur votre père et qui a paru dans la Bibliothèque universelle (Science et Arts, août 1822).

Tel est, Monsieur et très cher ami, l'ordre qu'il me semble qu'on devrait suivre dans cette partie de la physique, et il me semble que, s'il existait un ouvrage où les faits fussent présentés dans cet ordre, on s'apercevrait tout de suite que mon opinion sur la cause de ces faits et leur dépendance mutuelle est moins une hypothèse qu'une exposition méthodique des phénomènes observés et des conséquences qui se déduisent immédiatement de leur rapprochement. On devrait, ce me semble, terminer cette exposition par la remarque décisive que, quoiqu'on explique tous les phénomènes offerts par les aimants au moyen de courants électriques dont toutes les analogies indiquent l'existence[47] dans ces corps, on ne peut point rendre raison de tous les faits relatifs aux conducteurs voltaïques, en supposant que leurs particules agissent comme des aimants situés transversalement, parce qu'on voit, dans certains cas, et conformément à ma théorie, l'action mutuelle de deux conducteurs produire un mouvement continu toujours dans le même sens et, par conséquent, une production de force vive : circonstance qui ne peut se rencontrer dans l'action mutuelle des deux assemblages d'aimants de quelque manière qu'ils soient disposés, comme je l'ai déjà rappelé plus haut. La discussion de la théorie de M. Faraday, comparée à la mienne que j'ai indiquée dans cette lettre, devrait aussi trouver place ici.

J'ai été entraîné peu à peu, Monsieur et très cher ami, à donner à cette lettre une étendue infiniment plus grande que je ne me l'étais d'abord proposé. Je la finis enfin aujourd'hui 31 octobre. Je crains à présent qu'elle ne soit trouvée trop longue pour[48] être insérée, pour toutes les parties relatives à la science, dans la Bibliothèque universelle, même en la partageant entre deux numéros. Dans tous les cas vous me feriez plaisir de me dire ce qu'on en jugera. Dans le cas où il faudrait l'abréger, j'aimerais que la suppression tombât sur l'exposition méthodique qui en fait comme une seconde partie. J'attends de votre amitié pour moi de m'écrire ce qui sera adopté par les rédacteurs à cet égard. Si l'on en imprime quelque chose, je vous prierais de faire toutes les corrections de style et de coupures des phrases que vous jugerez convenables en relisant les épreuves ; car le temps me force à vous envoyer tout cela à mesure que je l'écris et sans en rien relire ; car j'ai remarqué que je ne relis jamais rien de ce que j'ai écrit comme cela sans y trouver de ces sortes de corrections indispensables à faire. Vous ne sauriez me rendre un plus grand service. Vous pourriez aussi y ajouter toutes les notes que vous jugerez propres à rendre plus claires ou à combattre ce que j'ai pu dire sur ce sujet. Je vous en remercie[49] d'avance et [vous prie] de ne pas oublier d'offrir l'hommage de mon respect et de ma vive reconnaissance à M. et Mme de La Rive. Je suis retourné hier chez M. Bossange, il n'a point reçu le paquet des 300 exemplaires de la lettre à Monsieur votre père, exemplaires que j'ai vus à Genève. Je n'y comprends plus rien. En grâce, tirez-moi de cette inquiétude. Votre sincère ami et tout dévoué serviteur, A. Ampère

(2) Le mémoire de A. de La Rive, lu à Genève le 4 septembre 1822 (voir Mémoires d' Électro-dyn., t. I, p. 308) a paru d'abord dans la Bibliothèque universelle (t. 21, p. 29-48), puis dans les Annales de Chimie et de Physique, t. 21, p. 24-48, enfin dans le Recueil des observations électrodynamiques, p. 262-286, in-8°, Crochard, Paris, 1822. Ampère était à Genève le 4 septembre.
(3) Lecture du 16 septembre 1822 (voir Mémoires d'Électro-dyn, p. 329-337, publié en 1885 sur le manuscrit).
(4) Cette figure et toutes celles qui seront citées dans cette lettre sont les figures de la planche jointe à votre mémoire, excepté dans le cas où l'ouvrage dans lequel se trouveront les figures dont j'aurai à parler sera désigné d'une manière spéciale. Si cette lettre paraît dans la Bibliothèque universelle et que vous ayez la bonté d'en faire tirer 300 exemplaires à mon compte, il faudrait, dans ces 300 exemplaires, supprimer la note 1 qui est au bas de cette page et mettre dans cet endroit du texte (pl. IX, fig. 7), au lieu de (fig. 7). Cette remarque s'applique aussi à un endroit de la suite de ma lettre où je cite la figure 7 de votre planche. (Note d'Ampère. Voir Mémoires d'Électrodynamique, p. 319, 322 et 327, dont nous empruntons les figures pour plus de clarté, en leur laissant leurs numéros.)
(5) Ces quatre actions doivent être simplement ajoutées lorsqu'on veut en avoir la résultante, parce qu'elles sont dirigées suivant les quatre droites qui joignent deux à deux les milieux de mk et de kl avec ceux de pl et de lq, et que ces quatre droites se confondent en une seule quand les deux portions de courants électriques dont on cherche l'action mutuelle sont infiniment petites. (Note d'Ampère.) La figure 8 qui n'est pas dans le manuscrit, mais à laquelle Ampère renvoie, se trouve à la page 322 des Mém. d'Electro-dyn.
(6) Voyez la note insérée dans le cahier de septembre 1820 du Journal de Physique. (Note d'Ampère.)
(7) Il vaut mieux dire paire que couples parce que ce dernier mot est consacré à un autre usage en mécanique et que, dans le sujet dont nous nous occupons, on est souvent dans le cas de dire que deux actions d'électro-dynamique forment un couple.
(8) J'appelle angle gauche celui qui est formé par deux droites qui ne se rencontrent pas, qui a pour sommet la perpendiculaire commune qui mesure la plus grande distance de ces deux droites. Un angle gauche est, comme on sait, mesuré par l'angle plan compris entre un de ses côtés et une parallèle à l'autre côté menée par un des points du premier. Le mot gauche est pris dans le sens qu'on lui donne en géométrie lorsqu'on divise le genre des surfaces réglées entre trois espèces : le plan, les surfaces développables et les surfaces gauches. (Note d'Ampère.)
(9) Mémoires sur l'electrodynamique, t. I, p. 322.
(10) Cette action se réduit à celle de kn sur lq, à cause qu'il ne peut y en avoir entre kn et pl d'après ce qui a été démontré dans l'endroit déjà cité des notes sur l'exposé sommaire lu à la séance publique de l'Académie des Sciences, le 3 avril dernier. (Note d'Ampère.)
(11) Ibid., p. 327.
(12) Annales de Chimie et de Physique, t. 20, p. 398, et Mémoires sur l'Électrodynamique, t. I, p. 270.
(13) [32] Si, après avoir changé le sens du courant dans l'un des fils on le change aussi dans l'autre, la répulsion qui, par le premier changement, avait pris la place de l'attraction sera, par la même raison, remplacée à son tour par l'attraction, en sorte que l'action redeviendra telle qu'elle était d'abord. On voit de même que, quand les fils se repoussent, si l'on change la direction du courant dans l'un d'eux, l'action devient attractive et qu'elle redevient répulsive quand on le change aussi pour l'autre. Or, toutes les fois que deux portions d'un même circuit, l'une fixe et l'autre mobile, agissent l'une sur l'autre, on change à la fois le sens du courant dans tous les deux quand on fait communiquer par chaque extrémité du circuit avec celle de la pile qui communiquait auparavant avec l'autre extrémité du même circuit ; ce double changement n'en produit aucun, d'après ce que je viens de dire, [sur ]l'action mutuelle des deux parties et le mouvement de la partie mobile reste par conséquent le même ; ce qu'on observe en effet constamment. Mais cette remarque si simple devient très importante[33] pour distinguer sur-le-champ les mouvements produits [sur] le conducteur mobile par l'action des parties fixes du circuit, des mouvements qui pourraient lui être imprimés par la pile elle-même, le globe terrestre ou un aimant. Il suffit pour cela de renverser ces communications entre les deux extrémités du circuit et celles de la pile : les mouvements dus à l'action des diverses parties de ce circuit restent les mêmes et ceux qui seraient produits par l'action de la pile, de la terre ou d'un aimant ont à l'instant lieu en sens contraire. (Note d'Ampère.)
(14) J'ai vu tourner le conducteur mobile de cette expérience très rapidement par la seule action terrestre dans une expérience faite il y a quelques jours, en employant une pile de douze paires chacun d'un pied carré et le conducteur mobile à couronne dans lequel j'ai supprimé les branches verticales. (Note d'Ampère.)
(15) Mémoire sur l'Électrodynamique, p. 319.
(16) Planche reproduite en fac-similé dans les Mémoires sur l'Électrodynamique, tome 2.

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