To Auguste de La Rive   23 mars 1823

23 mars 1823

Monsieur et très cher ami, Je dois d'abord vous remercier de la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire le 26 du mois dernier. J'ai retardé ma réponse parce que j'attendais une réimpression avec beaucoup de changements et d'additions d'une petite brochure dont je vous envoyai dans le temps six exemplaires pour différentes personnes. Je n'ai cette réimpression que depuis hier et j'en joins ici six exemplaires pour les mêmes personnes en vous priant, s'il est possible, de les échanger contre les anciens et de me renvoyer ceux-ci, ou du moins ceux que vous pourrez retirer en remettant les nouveaux, parce que, n'ayant rien changé aux huit premières pages, je n'ai fait réimprimer que le surplus et qu'il y aura autant d'exemplaires manquants de ces huit premières pages qu'il y en aura d'anciens que je ne pourrai pas retirer.

Ayant encore quelques exemplaires d'une autre brochure que j'avais publiée au commencement de 1821, j'en ai joint un à chacun de ceux de mon exposé méthodique que je vous envoie. Il me semble qu'en lisant comparativement ces deux petits écrits, on acquiert une idée complète de ce qui s'est fait sur l'électricité dynamique depuis que cette nouvelle branche de physique existe et qu'il doit y avoir une sorte de plaisir à avoir, dans la note écrite en 1821, une espèce de prévision de tout ce qui s'est développé depuis. Cette note contient, pages 7 à 10, les conclusions lues à l'Académie des Sciences le 25 septembre 1820. C'est surtout en comparant ces conclusions avec les résultats de toutes les expériences faites et de tous les calculs faits depuis que je m'applaudis de l'avoir écrite parce que j'ai toujours pensé qu'il y a d'autant plus de mérite à concevoir le premier des vérités que des faits découverts ensuite viennent confirmer qu'on avait, à l'époque de cette sorte de divination comme l'appelle M. Biot (à la page 233 du cahier d'avril 1821 du Journal des Savants), moins de données pour y parvenir.

Je joins à cet envoi un septième exemplaire dont je vous prie de faire hommage de ma part à la Société de Physique et d'Histoire naturelle de Genève. Je pense que M. Maurice était dans les six personnes de l'autre envoi. Comme il n'est pas à Genève, il n'est pas question de retirer son exemplaire ; mais vous me rendriez le plus grand service d'en remettre un pour lui à Monsieur son père en faisant tout ce qui serait possible pour qu'il le lui fît passer de suite ou en le lui envoyant directement.

Si vous désirez un exemplaire de plus, vous n'avez qu'à me l'écrire, je vous en enverrai autant que vous voudrez ; mais, je vous en prie, tâchez que M. Maurice en reçoive un le plus tôt possible ! Pendant qu'on imprimait, j'ai envoyé un article sur les mémoires de Savary et deMonferrand à M. Pictet. C'est cet article que je désire surtout voir imprimer dans la Bibliothèque. Il se trouve à la fin de l'exposé méthodique retouché que je vous envoie et, sur les mêmes formes d'imprimerie, j'en ai fait tirer pour mon Recueil. C'est pourquoi je n'en ai point demandé d'exemplaires à part à M. Pictet ; cela me serait complètement inutile.

Mais l'observation par laquelle j'ai terminé cet article et où j'ai fixé, à ce que je crois, l'état précis de la question, ne peut être généralement connue que si elle est publiée dans la Bibliothèque universelle puisque ce morceau n'existait pas quand les journaux scientifiques de France ont annoncé le mémoire de M. Savary, en sorte qu'il ne peut plus paraître que dans la Bibliothèque universelle. C'est par ce morceau que j'ai enfin terminé mon Recueil ; j'y joins en ce moment une table et des errata. Quand il n'y manquera plus rien, j'en enverrai des exemplaires complets à Genève. Ils seront chez M. Paschoud dans cette ville et on les échangera gratuitement contre les exemplaires incomplets qui peuvent exister à Genève moyennant que ceux qui ont ces exemplaires incomplets les lui envoient pour les échanger, parce que je n'ai plus aucun moyen de me procurer les feuilles des anciens exemplaires que je ne pourrai pas retirer pour les compléter à leur tour.

Avec tous ces préambules, je n'en suis pas encore venu à répondre à votre lettre. Je me hâte de profiter de ce qui me reste de temps. La lettre dont on devait imprimer quelque chose dans la Bibliothèque universelle serait surannée aujourd'hui. Je regrettais un peu le passage où j'expliquais comment la manière de voir de M. Faraday s'accordait assez avec la mienne pour qu'on ne pût se décider autrement qu'en faisant attention que le principe dont je pars donne le sien et qu'on ne peut pas tirer le mien de ce dernier puisqu'il ne donne que l'action entre un aimant et un conducteur et ne conduit, par conséquent, à rien qui puisse être relatif à l'action mutuelle de deux, à moins qu'on ne considérât l'un des fils conducteurs comme un assemblage de petits aimants. Mais alors l'autre conducteur en serait aussi un, les fils qui joignent les deux extrémités d'une pile de Volta devraient toutes leurs propriétés à ce mode de composition et le mouvement de rotation continue deviendrait impossible puisqu'il ne peut être imité en faisant agir l'un sur l'autre deux assemblages quelconques d'aimants, comme il résulte de mes expériences sur ce sujet et de la théorie connue des aimants dont l'action se réduit, conformément aux calculs de M. Savary, à des forces fonctions seulement de la distance qui ne peuvent jamais donner lieu à une production de force vive.

Je ne regretterai plus ce morceau si M. Pictet publie celui que je lui ai envoyé dernièrement, où cela est suffisamment dit et où l'on annonce le principe d'où partait M. Faraday comme un des résultats déduits de ma formule par M. Savary (2).

Une lettre que j'ai reçue de M. Erman, secrétaire de l'Académie des Sciences de Berlin, m'a au contraire fait beaucoup regretter un autre morceau de la même lettre auquel je ne songeais plus. C'est celui où j'expliquais quel devait être le sens du courant électrique dans les diverses piles, les unes terminées par des couples complets, les autres par des plaques simples, de zinc d'un côté et de cuivre de l'autre. Il paraît que la cause pour laquelle la direction du courant dans le fil conducteur est opposée dans ces deux cas, quelque simple et je dirai volontiers quelque évidente qu'elle soit, n'est pas connue d'un nombre de physiciens qui y voient un mystère très singulier dont la théorie paraît ne pas rendre compte. J'avais déjà reçu des lettres où l'on m'en demandait l'explication ; je n'ai pas eu le temps de la faire. Si je désire qu'il paraisse un mot là dessus, ce n'est pas comme venant de moi, car il n'y a nul mérite de ma part à voir ce que mille autres ont vu sans doute auparavant, mais dans l'intérêt de la physique, puisqu'il y a encore des personnes que cela embarrasse. D'ailleurs, c'était à cette occasion que je proposais le mot de rhéophore et que j'en expliquais la signification, et je trouve fâcheux qu'il ne soit pas annoncé et ne se répande pas, vu la grande utilité qu'on en retirerait pour la clarté et la précision de ce qui s'écrit sur les phénomènes électro-dynamiques. J'ai employé ce mot dans mon Recueil ; mais ce n'est que ce qui se trouve dans des journaux scientifiques très répandus, qui arrive à la connaissance de la majorité des physiciens. Je sais bien que cela ne vaut pas la peine d'être publié à part ; mais ne serait-il pas utile d'en faire l'objet d'une note au bas de la page lorsqu'on en trouverait l'occasion ? Je vous en parle, parce que je pense que vous serez probablement bientôt dans le cas de publier quelque chose sur ce sujet, et que je n'aurai de longtemps le temps de rien rédiger.

Les beaux jours qui commencent à revenir me font un grand plaisir en me donnant l'espoir que vous comblerez enfin tous mes vœux en venant enfin visiter Paris. Vous savez, au reste, ce dont nous sommes convenus, que votre chambre est toute prête avec ce petit jardin où il me serait si délicieux de me promener avec vous.

Vous avez vu par l'extrait des mémoires de MM. Savary et de Monferrand qu'il n'est pas question d'expériences de recherches dans ce qu'ils ont fait. C'est à vous, Monsieur, à en faire qui puissent éclaircir ce qu'il peut encore y avoir de douteux dans la nouvelle branche de physique dont nous nous occupons. Je désire bien vivement que vous vous livriez à ce genre de travail que personne à Paris n'est dans le cas d'entreprendre. Le peu de travaux relatifs à l'électricité dynamique qui peuvent s'y faire ont une tout autre direction. Mais, à cet égard, vous ferez mieux de vous-même que si je vous donnais les indications que vous me demandez. D'ailleurs, je n'y ai point pensé et n'ai point d'expériences en vue. Votre mémoire du mois de septembre dernier prouve assez avec quelle sagacité vous voyez tout de suite les expériences qu'il y a à faire et les moyens d'exécution.

Les plus importantes dans ce moment me semblent celles qui sont relatives aux circonstances dans lesquelles on peut donner aux aimants le mouvement de rotation continue. J'ai vu à Genève un instrument fait pour le produire, sur lequel vous m'aviez promis, il y a plus de six mois, de faire des expériences. Je les ai longtemps attendues. Puis je me suis mis à en faire, après avoir cherché théoriquement les circonstances qui rendent possible cette sorte de mouvement. Il y a un accord parfait entre les résultats de l'observation et ceux de la théorie. Faute de temps, je n'ai pu encore rédiger ce morceau qui doit remplir une partie de la lacune qui se trouve dans mon Recueil entre les pages 222 et 237.

En relisant l'article qui commence à cette page 237, vous verrez aisément, par exemple, que le mouvement de révolution d'un aimant flottant découvert par M. Faraday doit subsister et s'expliquer toujours, comme je le fais pages 245 et 246, lorsqu'un enduit de vernis non conducteur empêche les courants établis dans le mercure de traverser l'aimant, puisque l'explication est fondée sur ce que les portions des courants voltaïques établis dans l'intérieur de l'aimant n'ont aucune action pour mouvoir l'aimant et que c'est comme s'il n'en passait point dans l'aimant. Cet enduit ne peut qu'aider encore au mouvement de révolution en renforçant d'autant les courants du mercure. Mais vous verrez avec la même facilité que, pour que ceux-ci produisent le mouvement de rotation continue dans l'aimant, il faut essentiellement qu'ils soient exclus de son intérieur et sautent d'un côté à l'autre à mesure que l'aimant avance : ce qui suppose le conducteur liquide. Jusqu'à ce qu'on ait observé le mouvement de rotation ou de révolution continue d'un aimant par un conducteur fixe et solide dans toutes ses parties, je serai à peu près persuadé que la chose est impossible, et j'y trouverai une objection décisive contre tout système qui attribuerait les propriétés des conducteurs voltaïques à ce qu'ils agiraient comme des assemblages d'aimants transversaux, aucun assemblage d'aimants ne pouvant, par son action sur un autre, donner lieu à la production de force vive qui a lieu, dans ce cas, conformément à ma théorie.

Ce sont les expériences que vous avez conçues sur ce sujet qui décideront complètement la question. Je n'en vois pas qu'il soit aussi important et aussi urgent de tenter. Je vous engage donc à vous en occuper de préférence à toute autre chose, et vous prie de m'en communiquer les résultats, que je crois savoir d'avance, mais qu'il est si utile aux progrès de la physique de constater complètement.

Je vous prie d'offrir à Monsieur votre père les plus empressés témoignages de ma tendre amitié et de ma vive reconnaissance et à Mme de La Rive l'hommage de mon profond respect. Agréez aussi l'assurance d'une amitié inaltérable et du plus entier dévouement. A. Ampère

A Monsieur Auguste de La Rive, chez M. le professeur de La Rive, rue de l'Hôtel–de–Ville, à Genève.

Please cite as “L637,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L637