To Marguerite Carron (femme de François Carron)   4 janvier 1824

4 janvier 1824

Ma chère et excellente amie, je suis si coupable à votre égard par un silence forcé depuis votre départ de Paris, que je ne sais comment m'excuser. La seule chose qui vous fera comprendre à quel point j'ai été accablé d'occupations essentielles à mon existence, puisque, faute d'y pouvoir suffire ma place à l'école Polytechnique se trouve gravement compromise, c'est que, depuis deux mois que mon fils est parti pour l'Italie, à peine ai-je pu lui écrire. Ce voyage a achevé de me rendre le plus malheureux par l'isolement où je me trouve. Dugas était parti le premier pour Rome ; mon fils et Ballanche sont allés le rejoindre. C'est là qu'ils passeront l'hiver. Je pensais que mon fils vous l'aurait écrit avant de partir. Il est arrivé à Rome en bonne santé, comme je le vois dans une de ses lettres que je viens de recevoir et qui est datée du 17 décembre 1823. Ma sœur et ma petite se portent bien ; elles sont on ne peut plus sensibles à ce que vous me dites pour elles dans votre lettre et me chargent de tant d'amitiés pour vous, pour Carron, pour éliza, que je n'en finirais pas si je voulais écrire tout ce qu'elles m'ont dit pour vous tous, ainsi que ma cousine.

On m'a prêté la comédie de Lavigne et l'on m'a donné deux mois pour la rendre. Je vous l'enverrai incessamment par le moyen que vous m'indiquez pour cela. A aucune époque de ma vie, je crois, je n'ai été plus malheureux que depuis votre départ ; celui de mon fils pour l'Italie m'a achevé. Pas la moindre consolation à tous ces chagrins et, comme s'il fallait qu'il ne me restât pas même celle qui serait venue de Fulgence Fresnel, soit à causer, soit à jouer quelquefois aux échecs avec lui, il est allé passer l'hiver à Gênes, comme Ampère à Rome.

La pièce d'Ampère était reçue à l'unanimité à l'Odéon ; il ne tenait qu'à lui qu'elle y fut jouée cet hiver ; mais, voyant que Mlle George avait quitté ce théâtre, il n'a plus voulu que sa tragédie le fût, et il l'a présentée aux Français. Il l'intitule à présent Alboin, roi des Lombards. Elle n'a pas encore été lue aux Français, j'espère qu'elle le sera la semaine prochaine. C'est de Jussieu qui me rend le service de la lire au Comité. Je saurai alors, son sort. Mon fils y a fait encore plusieurs changements qu'il m'a envoyés d'Italie et dont je suis bien content. Tous les de Jussieu se portent bien. Mlle Louise est mariée à Lyon à un homme riche dans le commerce qui s'appelle M. Morfeuillet. Alexis est professeur à l'ancienne institution de Sainte-Barbe. Il réussira dans le barreau qui est sa principale affaire, car il a un talent très distingué.

Adieu, ma bien chère, mon excellente amie ; combien je désire que vos ennuis cessent, que nous puissions nous revoir à Paris, car je n'ai pas d'espoir de plus voyager, que vous soyez tous les trois aussi heureux qu'on peut l'être en ce monde, ce qui n'est pas grand chose cependant. Ah ! s'il était possible que vous le fussiez davantage, je pardonnerais toutes mes peines au maudit sort qui semble s'appliquer à me rendre toujours plus malheureux. Je vous prie d'embrasser pour moi Carron et éliza. Je vous embrasse tous de toute mon âme, chère et excellente amie, pensez quelquefois à un frère qui conservera toute sa vie dans son cœur la plus tendre et la plus vive amitié pour vous. A. Ampère

A Madame Carron , chez M. Holterman, à la Forge de Chailland, département de la Mayenne.

Please cite as “L650,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L650