From Ampère André-Marie to Ampère Jean-Jacques (fils d'Ampère)    12 août 1824

[341] [A Naples] 12 août 1824

Que j'ai de chagrin, bon ami, de t'écrire si rarement ! Je viens de recevoir ta seconde lettre datée de Naples avant d'avoir répondu à la première. Cette seconde m'a extrêmement [illisible] touché par l'expression dont elle est pleine d'une vive tendresse pour moi. Mon sort est bien changé depuis la lettre à laquelle tu me réponds. Il ne manque plus que ta présence à Paris pour que je sois bien heureux. Je t'ai écrit que, M. Beudant s'étant retiré, le Collège de France m'avait présenté à la majorité de 11 voix sur 19. Pouillet en a eu 5, Fresnel 2 et Becquerel 1. Vendredi dernier, le grand maître a joint en ma faveur sa présentation à celle du Collège de France et Lenoir vient de venir dîner avec nous pour me dire que le ministre a donné ordre de dresser l'ordonnance qui me nommera. Peut-être sera-t-elle signée par le roi mercredi prochain qui est le jour des signatures. Dis vite tout cela à Ballanche et [342] à tous ceux qui prennent quelque intérêt à moi !

C'est aujourd'hui l'anniversaire de ta naissance qui a été, comme tu vois, encore embelli par la nouvelle qu'a apportée Lenoir. J'espère que tu n'as plus eu de ressentiment de ton mal de tête et que Ballanche se porte aussi bien que je le désire. Montbel est venu me voir parce que je ne l'avais pas trouvé chez lui le lendemain de son arrivée ; il vint dîner avec moi, Lenoir et Beuchot peu de jours après ; mais il y a déjà longtemps , il n'est pas venu me voir et je n'ai pu aller chez lui puisque je ne pouvais pas même trouver le temps de t'écrire. Tu sais la mort de M. de Biran qui m'a désolé. Mme de Gérando était morte trois jours auparavant. Je n'ai pu voir M. de Gérando depuis la perte qu'il a faite ; il restait \presque/ constamment à la campagne à Thiais. Ne l'ayant pu voir chez lui à Paris où il n'était que par moment, j'ai été jeudi dernier avec Frédéric à Thiais pour [343] le voir ; il en était parti le matin. Il est maintenant en Champagne, je crois, chez Mme Caffarelly.

Adrien a été bien malade, même dangereusement. Tous les Jussieu sont ici, je les ai vus ce matin pour t'en donner des nouvelles fraîches. Adrien est bien maigri, mais va bien ; les autres sont en parfaite santé. Ils m'ont comblé des plus tendres amitiés pour toi.

Quand je vis jeudi dernier que nous ne trouvions pas M. de Gérando à Thiais, je laissai revenir Frédéric par la voiture publique et je fus à Champlan voir M. et Mme Stapfer. Charles y était ; mais Albert est chez cette tante où ils ont passé l'été, je crois, l'année passée. Je revins aussi de là tout chargé d'amitiés pour toi ; tout le monde t'attend avec l'impatience de l'amitié.

J'ai fait, avec un plus grand succès qu'aucun[e] autre fois, mes expériences il y a 10 jours devant toute la maison Cuvier qui était venue les voir. On m'a parlé de toi [344] et de ma grande petite fille à établir cet hiver .

Le caricamento est, comme je crois te l'avoir écrit deux jours d'avance, une lettre de change de 400 fr[ancs] ; j'espérais qu'elle te trouverait encore à Rome. Tes livres chinois et ceux de Fulgence sont arrivés à Londres. J'ai payé 65 francs et Mme Fresnel 69 francs pour cela : ce qui ne me paraît pas cher. M. Rémusat, qui a été charmant pour moi dans l'affaire du Collège de France, enverra l'argent en Angleterre et il recevra les livres en retour. Il est un peu ennuyé de ce que M. Wattson est à Naples. Il y a pour 3000 fr[ancs] pour lui. L'as-tu vu, ainsi que sir Drumond, à Naples ? Tu as laissé Fulgence à Rome ; mais pourquoi m'en as-tu si peu parlé ? M. Rémusat en est très inquiet. Quel est réellement son état de santé physique et moral ? Je ne dirai rien chez lui de ce que tu m'auras écrit. Le ramèneras-tu à Paris ? Ce serait, je crois, bien à désirer.

Je publie, dans ce moment, deux nouveaux petits ouvrages sur l'électricité ; l'un [339] a paru aujourd'hui, l'autre paraîtra incessamment.

J'ai publié anonyme, dans les Annales des Sciences naturelles, un morceau d'anatomie comparée fait l' hiver passé qui, j'espère, deviendra une base importante pour les travaux à venir des naturalistes sur les animaux articulés, arachnides, insectes, vers et crustacés1.

Écris-moi quand tu comptes retourner à Rome et n'y retourne, je t'en prie, qu'avec une escorte semblable à celle qui t'a conduit à Naples, ou des sûretés équivalentes ! Car le Baron de Schelling, qui m'a dit t'avoir vu à Rome, m'aurait effrayé si je n'avais su comment tu as fait le voyage.

Ton oncle [Carron] a une place à 8 lieues de Paris, où il n'a fait que passer sans que j'aie pu le voir. Il y a déjà quelque temps que je n'ai vu ni ta tante, ni Éliza. Je les irai voir incessamment ainsi que Dugas, et leur ferai tes commissions.

Ma sœur, Albine et ma cousine te font mille et mille amitiés. On cherche [340] à placer mon cousin [de Sutières] dans l'administration des nourrices et enfants trouvés pour l'arrondissement de Nantes ; je [ne] sais si cela réussira. Embrasse mille et mille fois Ballanche pour moi, prie-le en grâce de m'écrire, ses lettres me font tant de plaisir. Ce n'est pas ma faute si je ne lui ai pas répondu, j'avais deux lettres de toi sans avoir pu répondre plus tôt. J'en ai je ne sais combien de Bredin et n'ai point encore pu lui écrire.

M. et Mme Stapfer sont à Champlan dans la maison où Mme Cottin a écrit tous ses ouvrages et dont elle a planté le jardin : il est admirable dans sa simplicité. Le portrait, fait de mémoire, de cette femme célèbre qui n'avait pas voulu se laisser peindre, est sur la cheminée ; il y a une expression mélancolique qui m'a paru très frappante. La bouche est grande et les traits peu réguliers. Je professerai donc la physique expérimentale cet hiver au Collège de France. Je pense que ce sera un plaisir pour toi de suivre, c'en sera un bien grand pour moi de te le voir suivre. Tu sais avec quelle tendresse je t'embrasse2.

A. Ampère
(2) Considérations philosophiques sur la détermination du système solaire et du système nerveux des animaux articulés (1re série, t. 2 et 3).
(3) Il manque ensuite une lettre du 20 août, arrivée de Naples le 2 septembre, qui navra le cœur du fils.

Please cite as “L669,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L669