To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   24 septembre 1824

[24 septembre 1824]

Cher ami, tu ne m'écris plus. Je serais bien inquiet si ce n'était une lettre que j'ai reçue de Ballanche ; mais cette lettre ne me dit encore rien de ton retour et du sien Tu as vu par des journaux d'avant-hier et d'hier de quel événement a été suivie la joie que j'avais eue de ma nomination au Collège de France. Au reste, la même chose aurait eu lieu, peut-être un peu plus tard à la vérité, quand même je n'y aurais pas été nommé, et alors que serais-je devenu ? J'étais tout seul à Paris quand le coup est tombé sur moi avec la rapidité de l'éclair. Ma sœur a loué, avec ma cousine, à presque rien, un logement à Saint-Germain pour le mois de septembre seulement, où elles sont allées demeurer avec Albine. L'événement de mercredi m'a mis, par la surprise qu'il m'a causée, dans une mélancolie que la pensée que tout ce qui m'arrive est déterminé par une volonté divine toute particulière, ce dont j'ai eu des preuves si évidentes et si multipliées depuis un an, a pu seule adoucir. Il faut bien se résigner à ce qui a été arrêté et prévu de toute éternité. Comment n'en verrais-je pas une nouvelle preuve dans ce qui vient de m'arriver mardi dernier, à l'instant où je m'applaudissais de la plus grande aisance dans laquelle j'allais me trouver, au lieu que le résultat de tant d'agitations, de chagrin et puis de joie est de me trouver avec 1000 francs de revenu de moins ! Il fallait que je fisse encore cette expérience de la vicissitude de tout sur la terre. Suis-je destiné à influer sur la marche des sciences d'une manière déterminée, ou ma carrière sur la terre est-elle finie ? Je ne sais pourquoi je t'écris tout cela. J'en suis plein et je l'écris quoique je sente que, pour le comprendre, il faudrait que tu eusses quelque idée de ce que j'ai pensé et souffert depuis ton départ et l'enchaînement des événements si extraordinaires qui m'ont conduit au Collège de France. Tu le sauras à ton retour dont j'attends seul un peu de repos de ces agitations qu'augmente tant l'isolement absolu de tout être en qui je puisse répandre mes pensées et mes chagrins. Que Dugas ne soit venu me voir que quand il est venu dîner avec d'autres ! Mais il ne m'aurait pas compris ! Bredin est loin de moi, je n'ai plus le temps de lui écrire comme autrefois. Ballanche est avec toi. Je ne cherche pas à hâter ton retour, mais à me donner connaissance, autant que cela t'est possible, de l'époque où il aura lieu. Celui qui doit être mon préparateur pour le cours du Collège de France arrive pour en causer avec moi ; je lui dis de me laisser te dire adieu et je ferme ma lettre en t'embrassant de tout mon cœur, en te priant de m'écrire, de remercier Ballanche de sa lettre et en le comblant d'amitiés de ma part. Qui sait quand j'aurai le temps de lui répondre ! A. Ampère

poste restante à Rome, état ecclésiastique

Please cite as “L672,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L672