To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   8 octobre 1826

[319] Dimanche 8 8bre [octobre] 1826

Cher ami, j'ai reçu hier ta lettre de Berne. Comme ton paquet n'était pas parti, on attendra une nouvelle lettre de toi pour te l'envoyer.

Fulgence est en Italie, où il Va passer l'hiver. Sa mère m'a dit qu'il fallait lui écrire poste restante à Milan. Je tâcherai de voir M. Cousin ; mais cela n'est pas sûr parce que je vais à Vanteuil jeudi et que j'ai horriblement à faire. Il est bien sûr que j'irai et ce n'est que, si je ne le trouvais pas, que je ne pourrais peut-être pas y retourner. écris-lui pour les lettres de recommandation, etc. !

Je crois être sûr que c'est M. Beautin ; d'ailleurs, l'orthographe des noms propres, mal mise sur une adresse, n'empêche pas la lettre d'arriver ; j'en ai reçu une quantité où notre nom était estropié de mille manières.

J'ai vu plusieurs fois Mme R[écamier]. Une fois elle voulait me persuader que ce que j'ai tant désiré s'accordant très bien, suivant elle, avec tes projets de travail, cela arriverait un jour. Cette conversation m'avait mis dans un état de bien-être[320] qui n'a pas duré. Il eût été bon pour moi de la croire prophétesse. Elle me disait toujours : Que savez-vous ? Lorsqu'il aura réussi dans ce qu'il entreprend, qu'il sentira que le premier but de son ambition est assuré, pourquoi ne chercherait-il pas à y joindre ce qu'il avait aussi, jusqu'à un certain point, fait entrer dans ses projets ? D'après ta lettre de Genève, j'avais dit à ma sœur et à Albine que c'était à Strasbourg qu'il fallait t'écrire. Elles t'y avaient écrit toutes les deux quand ta lettre de Berne est arrivée. Tu trouveras les leurs à Strasbourg, celle d'Albine poste restante, celle de ma sœur chez M. Beautin. Quand tu verras M. Beautin, fais-lui, je te prie, mille remerciements de son ouvrage dont il a eu la bonté de m'envoyer un exemplaire. Je voulais lui écrire pour l'en remercier ; mais tu sais l'impossibilité où je suis de trouver du temps pour la moitié des choses que j'ai à faire.

Tu me demandes des nouvelles du jardin des Plantes. Je crois t'avoir[321] écrit combien on m'y avait bien reçu il y a huit jours. Quand j'arrivai, il n'y avait pas encore du monde, Mme C[uvier] me parla beaucoup de toi. Je suis bien certain que, quand je dis que tu resterais cinq ou six mois en Allemagne, il se répandit sur la figure de Mlle C. une impression de tristesse qui était évidente. Je dis en général que tu avais à y rassembler des matériaux pour un ouvrage considérable. Quand M. C. vint et successivement d'autres personnes, la conversation changea ; mais Mlle C. parla longtemps avec moi et d'une manière qui, sans avoir aucun rapport à toi, me fit néanmoins passer le temps le moins pénible que j'aie passé depuis ton départ.

J'y suis retourné hier et, comme il y avait eu un dîner où était M. Wollaston, le plus célèbre physicien d'Angleterre et vice-président de la Société royale de Londres, je trouvai du monde en arrivant. Je vis Mlle S[ophie] à qui son voyage d'Angleterre a rendu la meilleure santé. Sa mère, sa sœur et M. F[rédéric] C[uvier] étaient partis lundi dernier pour aller la chercher au Havre ; on était de retour avant-hier vendredi. Je lui dis ce dont tu m'avais chargé[322] pour elle. Elle me parla bien de toi et je trouvai l'occasion de dire à elle et à sa sœur que tu m'avais écrit des vers sur le Pont du Gard. J'en avais une copie dans ma poche. D'abord Mlle S[ophie] les voulut lire ; puis Mlle C[lémentine] lui dit : A mon tour à présent !. Elle les lut et me dit, en me les rendant, qu'il y avait de très belles choses dans ces vers ; mais elle semblait triste comme le samedi précédent. Je parlai ensuite à M. Wollaston pour qu'il vît mes expériences. Cela ne prenait pas d'abord : ce qui m'ennuyait beaucoup. Mais M. Herschel, qui est aussi à Paris et qui les a vues, étant survenu, en parla à M. Wollaston de manière à lui inspirer le désir de les voir. Et il fut convenu que je les lui ferais demain à midi. Sans cette rencontre chez M. C[uvier], j'aurais manqué cette occasion de les montrer à un de ceux auxquels il m'est le plus important de les faire voir.

Mon mémoire va paraître sous ce titre : Théorie des Phénomènes électro-dynamiques uniquement déduite de l'expérience *. Ce sera un volume de 220 pages in-4°. Ainsi cela commence à compter. Mais[323] il faudrait que ce volume, qui suppose les faits généraux connus, fût précédé d'une exposition de ces faits, avec la description des appareils et l'histoire des découvertes successives. Alors j'aurais le Traité complet en deux volumes que je rêve depuis trois ans. Je ne sais si je le ferai jamais. En attendant, l'ouvrage de Demonferrand * supplée à cette première partie et je publie la seconde sous le titre que je viens de transcrire. Je t'ai dit le succès de la nouvelle expérience que j'ai répétée dans la séance du 4 septembre et dont M. de Laplace me fit compliment. Ce jour-là je dînai chez Frédéric Cuvier. Je passai une partie de la soirée avec Madame et Mademoiselle. Que ce jour eût été beau pour moi si l'idée de ton voyage t'était venue un mois plus tard ! Mais ensuite il aurait toujours fallu en venir à ce qui est arrivé, et puis à quoi servent ces pensées de regret sur ce qui serait résulté de telles ou telles autres combinaisons d'événements ? Cette malheureuse manie, que Ballanche m'a tant reprochée, m'a toujours rendu[324] mille fois plus amer ce qu'il y a eu de pénible dans ma vie. Je ne sais pas assez me porter dans l'avenir comme font presque tous les autres. Cependant l'idée de passer huit jours à Vanteuil me fait une impression indéfinissable. J'y serai tout à mes pensées. Je n'y serai pas, comme l'année passée, avec toi.

J'irai jeudi avec Pignot, qui est bien malheureux sans place et sans ressource. Je l'avais invité avec ta tante et élisa jeudi passé. Ta tante ne vint pas. Il m'amena élisa, avec qui j'ai eu une conversation à ton sujet qui me montra qu'elle s'intéresse bien réellement à nous. Mais je crois que sa mère me boude. Elles se portent passablement bien. Carron est à Lyon. Ma soeur, Albine et ma cousine t'envoient mille amitiés. Je t'embrasse du fond du cœur. Adieu tout ce que j'ai de plus cher. A. Ampère

pour remettre ou faire parvenir à M. J.-J. Ampère à Bonn, sur le Rhin

Please cite as “L703,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L703