To Claude-Julien Bredin   9 novembre 1826

Paris 9 novembre 1826

Cher ami, je ne t'écris presque plus, je ne reçois que bien rarement de tes lettres, ainsi s'est perdue la seule consolation que j'aurais pu trouver de tous mes chagrins, depuis le départ de mon fils. C'est bien ma faute, mais c'est surtout celle des choses à faire auxquelles je ne puis satisfaire et qui absorbent tout mon temps. C'est ce matin même que j'ai mis bon à tirer aux deux dernières feuilles d'un Ouvrage qui en a 28 et que j'ai enfin achevé ; ça été une sorte d'effort égal à tout ce que je pouvais faire que de le finir, maintenant mon esprit se sent retombé sur lui-même comme accablé de lassitude. Je n'ai pu continuer de t'écrire, 24 heures se sont écoulées depuis que cette lettre est commencée, me voilà arrivé au 10 novembre au soir, pas plus avancé que je ne l'étais hier. Seulement, j'ai vu ce matin une expérience très curieuse annoncée il y a dix jours à l'Académie par M. Dutrochet ; tu peux voir ce dont il s'agit dans le compte rendu par le Globe de la séance du 30 octobre dans le numéro, je crois, du 2 novembre dernier. Je regarde cette expérience comme une des choses les plus importantes qui se soient faites en physiologie.

Je viens de recevoir une lettre de l'Université qui m'annonce que je suis un des quatre membres de la Commission pour l'enseignement des sciences, dans la nouvelle école qui, sous le nom d'école préparatoire, est destinée, comme l'ancienne école normale, à former des professeurs. J'ai passé ce matin quelques heures avec Dugas que je n'avais pas vu depuis qu'il est de retour ici. Nous avons bien parlé de toi, et ensuite du sort futur du genre humain ; il m'a dit qu'il en avait beaucoup causé avec toi, et que tu en jugeais absolument comme lui.

Je rencontrai l'autre jour un M. Targe de Lyon sur le quai Voltaire, il me donna de tes nouvelles et de celles de Bonjour. Si je peux, je remettrai à M. Targe un exemplaire de mon Ouvrage pour l'Académie de Lyon, il te le portera et tu l'offriras à l'Académie.

Je n'ai point de nouvelles de mon fils depuis dix jours au moins : je vois avec une sorte d'effroi revenir bientôt le temps où mes deux cours ayant recommencé, tout mon temps sera de nouveau absorbé sans que je puisse en occuper la moindre partie à suivre la publication de ce que j'ai sur différentes parties de la Physique.

Voilà du moins l'électricité dynamique arrangée ; il restera cet écrit de ce que j'ai ajouté aux choses connues auparavant. Il contient un enchaînement de calculs et d'expériences qui sera toujours, à ce que je crois, comme M. Fresnel me le disait un jour, un modèle de la marche à suivre dans les sciences. La chose est achevée, mais non pas comme elle devrait l'être ; le volume que je publie devrait être le second d'un traité complet, il suppose connus tous les faits généraux de l'action électro-dynamiques, pour lesquels, depuis que mon ancien Ouvrage, le Recueil d'observations électro-dynamiques *, est épuisé, il faut avoir recours au manuel d'électricité dynamique de M. de Montferrand *. Quand pourrai-je écrire le premier volume de ce traité complet ? Je voudrais bien que M. Tabareau eut communication de l'exemplaire que te portera M. Targe, et qu'il voulut bien le lire et en faire les calculs les plus importants. Arrange cela avec lui. J'attends une lettre de toi, pense à ton ami, au bonheur que tes lettres sont pour lui ; donne-moi bien des détails sur tout ce qui t'intéresse.

Dugas m'a dit que Mme Bredin a passé la plus grande partie de son temps à la campagne de Taffignon. C'est tout ce que je désire pour que l'activité de son âme soit occupée. Parle-moi un peu de tout cela et de tes enfants et de nos amis de Lyon. Je t'aime et t'embrasse de toute mon âme. A. Ampère.

A Monsieur Bredin, directeur de l'École royale vétérinaire, à Lyon, département du Rhône

Please cite as “L704,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L704