To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   27 juillet 1827

Mon cher ami, tu as dû trouver à Copenhague deux autres lettres à ton adresse, l'une de moi, l'autre d'Albine. Je croyais ne t'écrire que dans quelques jours ; mais j'ai besoin de me soulager d'une sorte de serrement de cœur qui me tourmente aujourd'hui, malgré que je me répète que, quand cela ne serait pas, ce que j'avais espéré dans un temps avec tant d'ardeur n'en serait pas plus possible. C'est aujourd'hui que j'ai appris que le mariage de Mlle Cuvier était arrangé avec M. Du Parquet, l'ami intime de M. Lebrun de Marie Stuart. Je l'avais conjecturé depuis quelque temps que je le voyais toutes les fois que j'allais dans la maison ; mais c'est tout à l'heure que j'ai su que la chose était décidée. Je ne peux définir ce que cela m'a fait éprouver de chagrin.

Je t'avais dit, dans ma dernière lettre, que je craignais qu'à la nomination de l'Académie des Sciences qui devait se faire ce jour-là même, on ne fît un choix ridicule ; mes conjectures ont été heureusement trompées et la bataille a été gagnée. Reste à savoir si nous pourrons aussi l'emporter en faveur[330] du plus digne quand il va s'agir de remplacer M. Fresnel.

M. de Humboldt a écrit des merveilles de toi à M. Cuvier. Lui et ses dames m'en ont parlé avec un véritable intérêt : intérêt, comme tu vois, bien désintéressé.

Dimanche 5 août Il y a eu avant-hier huit jours que je t'avais écrit ce que tu viens de lire. Je n'ai pu achever ma lettre de toute la semaine qui vient de s'écouler, parce que c'est celle où tombaient les examens que je suis obligé de faire à l'école Polytechnique à la fin de chaque cours depuis 6 heures du matin jusqu'au soir. J'ai fini hier. Ma tête en était brisée au point d'éprouver une vraie fatigue à écrire une seule ligne. Pendant ce temps, j'ai reçu une lettre de ton oncle Marsil qui m'annonce le mariage de Jules ¹ avec Mlle Montgolfier de Beaujeu, cousine de Carite qui est mariée à son frère Stéphane.

Je te dirai qu'ayant été le samedi 28 juillet chez M. Cuvier, j'y appris que Mlle C. y avait craché beaucoup de sang l'avant-veille, qu'on l'avait fortement saignée et qu'on espérait que cela n'aurait pas de suite. Elle ne [331]parut, par conséquent, point à la soirée et, quand j'en avais depuis fait demander des nouvelles, on avait répondu qu'elle était bien. Mais, en retournant chez Mme Cuvier, j'ai reçu une impression qui ne s'effacera de longtemps en la voyant d'une extrême pâleur et l'expression de sa physionomie pleine d'une sorte de tristesse qui ne l'empêchait pas de sourire. Je ne sais pourquoi sa sœur lui avait mis une rose dans les cheveux qui semblait à moitié flétrie. Tout cela m'a inspiré comme un sentiment funeste sur sa vie. Cependant le crachement de sang, qui se remontrait depuis huit jours une seule fois chaque matin, ne paraît plus depuis deux jours.

Je ne sais si je t'avais écrit qu'elle avait été très souffrante tout l'hiver d'une douleur de côté, pour laquelle elle avait été saignée plusieurs fois.

M. et Mme de Jussieu sont revenus de Vanteuil mardi dernier ; ils viendront[332] dîner demain chez moi avec leurs enfants, Alexis, M. et Mme Rozet, Laure et Claire. Nous parlerons sans doute bien de toi ; car ils t'aiment bien. Il me tarde d'aller avec eux cet automne à Vanteuil. J'y serais un peu moins malheureux qu'ici, où j'ai encore éprouvé le désagrément de voir créer une nouvelle place d'examinateur à l'école Polytechnique et d'y voir nommer M. Bourdon à ma place ².

Tout le monde se porte bien ici et te fait mille et mille amitiés. Je t'embrasse de toute mon âme. écris-moi, je t'en prie, dès que tu le pourras. Tu as dû trouver deux lettres à Copenhague d'Albine et une de moi et une autre des miennes à Stockholm. Ton tendre père.