To Pierre-Simon Ballanche   23 mars 1830

[945] Hyères 23 mars 1830

Cher excellent ami, j'ai reçu les 750 francs que ma sœur t'a remis, j'ai en poche la lettre de crédit pour 500 francs que tu as la bonté de m'avancer et je la toucherai à Toulon en me rendant à Marseille lundi prochain 29 mars. Mon adresse est, pour le moment, la même que celle de mon fils, hôtel du Perron, rue Saint-Ferréol, n° 41, à Marseille. Ma fille m'a écrit qu'elle avait à sa disposition environ 1000 francs, ou au moins 800 francs. Je viens de lui écrire de te les remettre. Sur la somme qu'elle te portera, tu retiendras les 500 francs que tu viens de m'avancer, tu m'adresseras le reste à Orange, car je ne crois pas rester assez longtemps à Marseille pour pouvoir l'y recevoir. S'il est trop difficile de faire passer de Paris de I'argent à Orange, ou qu'il fût trop tard pour que j'y fusse encore, c'est à Lyon que tu me l'enverrais ; car c'est [là] que j'attendrai mon collègue de tournée si les choses s'arrangent comme le désirent MM. de Mussy, Edwards, Frédéric Cuvier et toi-même. Toute réflexion faite, j'aimerais mieux, pour être sûr de ne pas manquer, toucher l'argent à Orange et une idée vient de me venir  : je vais écrire, dès que j'aurai réglé avec mon fils l'époque où je quitterai Marseille, à l'excellent Gasparin qu'il te fasse savoir le moyen le plus commode pour que tu lui fasses passer de l'argent pour moi. Et alors[946] tu te conformeras à ce qu'il t'écrira à ce sujet. Combien j'ai à te remercier, cher ami, de tous les soins que tu t'es donnés pour moi, et surtout de cette avance sans laquelle je n'aurais pu quitter Hyères et entendre les leçons de mon fils 1 ! Tout ce qu'on m'en a dit est on ne peut plus flatteur. Il me reste à savoir par moi-même s'il n'y a point d'exagération dans ce qu'on me raconte de ses succès. Dans six jours j'assisterai à une de ses leçons.

Si tu m'écris à Marseille, comme j'espère que ton amitié pour moi te suggérera de le faire, ce sera encore un grand plaisir que je te devrai et un autre motif de reconnaissance pour moi. Dans ce cas, je te prierais de me donner des nouvelles de nos amis de Paris, de ce que tu augures des événements. Montbel est-il à Paris ? Comme je le crois, je te charge de dix milliards d'amitiés pour lui. Qu'est devenu Alexis ? Est-il à Paris ? Le vois-tu aussi souvent qu'autrefois ? Se porte-t-on bien dans la rue de Sèvres ? Et cet excellent M. Lenormant qui est venu me voir à Lyon ainsi que sa femme, parle-moi donc de lui ! 2. Distribue à chacun mes amitiés[947] ou mes hommages ! Fais attention que, si tu m'écris à Marseille, il n'y a pas grand temps à perdre ; car la semaine sainte suspendra sans doute le cours de mon fils, j'en profiterai pour aller avec lui à Orange.

Tu sais que le pauvre Bredin a perdu sa mère. Heureusement que j'ai cru pouvoir conclure de la lettre qu'il m'a écrite qu'elle[n'a] point fait de disposition testamentaire qui puisse lui nuire ; mais cette lettre et une autre de lui que je viens de recevoir me le montrent dans tous les embarras d'une succession, et cela l'affecte beaucoup dans la tristesse où il se trouve. C'est encore un motif pour que je ne diffère pas inutilement d'aller le rejoindre à Lyon.

J'aurai épuisé tout ce qu'il y[a] à voir autour d'Hyères si, comme je me propose de le faire, je puis aller demain au château de Castille et après-demain à la presqu'île de Giens. Tu ne peux te faire une idée de la beauté de ce pays, et des vues admirables de la montagne d'Hyères, de celle de l'Hermitage et, par-dessus tout, de celle de Fenouillet, où j'allai lundi en grande compagnie à cheval sur un âne, sur une chaîne de collines qui joignent les deux montagnes d'Hyères et de Fenouillet, par un sentier à travers des bruyères en arbres couvertes de fleurs embaumées. As-tu vu[948] des champs entiers de ces bruyères à l'époque de la floraison ? Si tu ne l'as pas vu, il faut faire le voyage d'Hyères au mois de mars exprès pour le voir.

Adieu, cher et bon ami, mille fois tout à toi ! Je t'embrasse de toute mon âme et te prie de nouveau de m'écrire à Marseille. Marque-moi si ma fille t'a remis de l'argent et combien. Tu as su la mort du maréchal Gouvion-Saint-Cyr. Il demeurait ici tout près de la maison que j'occupe. Je l'avais vu ayant l'air de se porter à merveille la veille de son accident, arrivé il y a eu vendredi huit[jours]. Il a langui jusqu'au mercredi il y a précisément aujourd'hui huit jours ! Ton plus tendre ami, A. Ampère

rue du Cherche-Midi, n° 23, faubourg Saint-Germain, à Paris
(2) Jean-Jacques avait professé à l'Athénée de Marseille tandis que son père passait l'hiver à Hyères.
(3) M. Lenormant avait épousé la nièce de Mme Récamier, Amélie Cyvoct.

Please cite as “L741,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L741