To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   23 mai 1830

[584] Paris 23 mai 1830

Cher bon ami, je t'ai écrit, peu après mon arrivée ici, comme quoi, au lieu de trouver M. Daburon à Orléans, j'y ai trouvé la lettre de Philibert [Guéneau de Mussy] qui me disait de venir ici. Je t'ai donné l'indication des époques où tu pourras m'écrire dans chacune des villes où je dois séjourner, ces époques deviennent d'autant plus sûres par le retard de mon départ de Paris. J'ai attendu, pour t'écrire de nouveau qu'il fût définitivement fixé ; il l'est à demain matin.

Je vais directement avec M. Daburon jusqu'à Bordeaux, à petites journées ; cela atteindra le dernier jour de ce mois. Je serai le 10 juin à Pau, le 20 juin à Toulouse, le dernier juin à Cahors, et ainsi de suite comme je te l'ai écrit. Je suis on ne peut mieux ; tous ceux qui t'intéressent ici se portent bien. Je n'ai reçu aucune lettre de mon bon fils depuis les deux qui m'arrivèrent presque ensemble à Pomerols. J'en serais presque[585] inquiet si je ne savais combien ton cours doit t'occuper et si je ne pensais qu'il y a peut-être pour moi une de tes lettres chez quelque proviseur de Collège royal à qui tu l'as écrite, afin qu'il me la remette quand je visiterai son collège.

L'horrible que tu auras malheureusement appris comme moi par les journaux m'a frappé à la fois de douleur et de stupeur. Je ne sache rien de plus épouvantable, rien qui me semble plus éloigné de tout ce qu'on aurait pu prévoir. Quel chagrin tu as dû éprouver en l'apprenant ; cette idée a encore ajouté à la peine que m'a faite cet horrible événement. Tous ceux de tes amis que j'ai vus la partagent et sont soulevés d'indignation contre la personne qui l'a plongé dans ce désespoir 1.

[586]Je reprends ma lettre pour la finir avant de me coucher. Tu sais la mort de M. Fourier ; son remplacement par Arago est ce que je désire le plus 2. Je craignais qu'il s’opiniâtrât à refuser. Mais il paraît bien décidé à se mettre sur les rangs, Poisson et bien d'autres, opposés à Poisson, le portent. On dit que Dupin, qui aurait pu être de quelque danger à cause de la Chambre, a dit qu'il ne se mettrait pas pourvu que ce fût Arago. Arago fera, à la séance publique, l'éloge de Fresnel dont il s'était chargé pour soulager M. Fourier. Cauchy et M. Blanchet, qui a publié ses leçons et qui connaît les faits physiques parce qu'il a suivi dans le temps mes cours, ont fait d'admirables calculs sur la lumière, suite de ceux de Cauchy sur les corps sonores. Arago a mis, dans l'Annuaire du Bureau des Longitudes, un excellent abrégé de la grande découverte d'élie de Beaumont qui fait grand bruit ici 3. Je crois qu'il ne manque plus pour lui qu'une place[587] à l'Institut dans la section de minéralogie. Ayant été deux fois chez Fulgence sans le trouver, il est venu déjeuner chez nous et nous avons mesuré nos forces aux échecs.

Je viens d'entendre sonner minuit et les yeux me cuisent. Adieu, cher fils, excellent fils, ton papa t'embrasse de toute son âme ; ta sœur aussi, elle te désire tant. Ma sœur, ma cousine, ta tante et élisa, Pignot, Ballanche, Dugas, Lenoir, etc. me chargent de tout ce qu'il y a de plus tendre pour toi. Fulgence m'en avait déjà accablé. A. Ampère

A monsieur Ampère fils, professeur de littérature à l'Athénée rue Saint-Ferréol, n° 41, à Marseille (Bouches-du-Rhône)
(2) Suicide de Sautelet.
(3)Candidature au Secrétariat perpétuel de l'Académie. Arago a été nommé le 7 juin 1830.
(4)Le premier mémoire d'Elie DE BEAUMONT sur les systèmes de montagnes est du 22 juin 1829. Il n'a été nommé à l'Institut que le 21 décembre 1835.

Please cite as “L745,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L745