To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   9 juin 1830

[592] Bordeaux 9 juin 1830

Cher ami, nous voici à Bordeaux il y a déjà trois jours. J'ai trouvé en arrivant une lettre de toi qui m'a fait un indicible plaisir, car je n'avais point de nouvelles de mon excellent fils depuis bien longtemps. Je n'ai jamais été si bien portant. Il est convenu avec M. Daburon que, sous prétexte de convalescence et de régime, nous n'accepterions aucune invitation. Nous ne buvons ni l'un ni l'autre de vin, mais tous deux de l'eau sucrée uniquement à tous nos repas. J'ai été consterné de l'horrible événement dont tu me parles. J'étais alors à Paris. Je compris toute la douleur que tu ressentirais en l'apprenant. Je t'en ai parlé dans une de mes lettres, mais tu le savais déjà par les journaux où il se trouvait quand je l'ai su. Ta sœur m'a écrit de la Ferté ; son mari est de nouveau malade. Son adresse est rue de Reuilly, n° 108, à la Ferté-sous-Jouarre, département de Seine-et-Marne, mais elle sera à Paris du 20 au 28 juin, époque de la fête de sa mère et de celle de sa grand'mère. Tu devrais bien écrire à cette pauvre enfant. Elle m'apprend dans sa lettre la[593] maladie de M. Morfeuillet qui est peut-être mort à présent, car elle me dit qu'il ne restait à peu près point d'espoir de le sauver. Elle me dit aussi qu'une des filles de M. Geoffroy-Saint-Hilaire vient de mourir. Je viens d'apprendre par les journaux qu'Arago a été nommé secrétaire perpétuel à la place de M. Fourier ; ce que je regarde comme un vrai bonheur pour l'Académie et pour moi. J'espère et je désire au très haut degré que Savary le remplace dans la section d'astronomie.

J'ai fait le tableau des sciences anthropologiques divisé en trois embranchements, les sciences noologiques, cénoniologiques et celles que j'appelle nootechniques en attendant que tu me donnes un meilleur nom pour ces dernières 1 [diag].

[594]Il va sans dire que chacune de ces sciences du premier ordre se subdivise en quatre sciences du second ordre, élémentaires, analytiques, comparatives, étiologiques (qui consistent dans l'histoire comparée de chaque chose pour la plupart d'entre elles). A l'égard de la Philologie, c'est la littérature comme tu la professes, les langues comparées comme tu le conçois dans la lexiologie. Voici, au reste, la subdivision de ces deux sciences, celles qui doivent t'intéresser le plus : [diag]

La littérature comme tu la conçois n'est-elle pas précédée de la bibliographie des écrivains du pays dont on veut enseigner la littérature et l'herméneutique, comme l'entendent les Allemands pour avoir les vrais textes, etc., ne doit-elle pas être suivie de cette philosophie de la littérature, où l'on ferait tout a priori en partant des causes et des lois de notre intelligence ? N'en faut-il pas dire de même de la glossologie, qui doit être précédée de la connaissance du matériel des langues (lexiologie) et de la grammaire générale ?

[595]Si tu peux m'écrire avant de quitter Marseille, de tes nouvelles, de celles de ton cours et me marquer l'époque où je devrai t'écrire, soit au Puy, soit à Paris, tu me ferais un bien grand plaisir et tu ne me le refuseras pas. Adresse alors ta lettre à M. le Proviseur du Collège royal de Toulouse pour remettre s.1.p. à M. Ampère, Inspecteur général des études en tournée à Toulouse (Haute-Garonne, si je ne me trompe) !

J'espère aussi une lettre du Puy, adressée de même à Limoges ou à Bourges suivant l'époque. Je t'embrasse mille fois de toute mon âme, le meilleur et le plus chéri des fils. A. Ampère

Les plus tendres amitiés pour toi de M. Daburon.

A monsieur J-J Ampère professeur de littérature à l'Athénée de Marseille rue Saint-Ferréol, n° 41, à Marseille, département des Bouches-du-Rhône
(2) Ces tableaux de la classification des sciences, constamment repris et remaniés, tiennent une grande place dans les cartons de l'Académie des Sciences.

Please cite as “L748,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L748