To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   6 octobre 1830

[612] Mercredi [6 octobre 1830]

Cher ami, j'ai reçu ce matin tes deux lettres avec une d'Albine. Je suis désolé de ce que je lui ai écrit dans ma mauvaise humeur de ne pas pouvoir obtenir depuis si longtemps aucun renseignement, ni sur mes papiers, ni sur l'affaire du cheval. Je sens combien j'ai dû ajouter à son chagrin ; mais je n'avais aucune idée que Ride fût retombé. Je le croyais bien comme quand il partit d'ici. Au reste, j'avais déjà tout à fait renoncé à aller à la campagne cette année. Cela me serait même impossible dans ce moment ; car le billet de M. Guérin de Foncin échoit le 24 de ce mois, il faut tout payer et je n'ai pas le sou. Je suis à chercher à emprunter ces 4000 francs ; car, sans cela, je serais perdu. Avant de le savoir, j'ai payé, avec les 475 francs de l'Université : Les intérêts de 5000 francs........................................125 A celui qui a peint les parquets au mois de juin .................100 A ton tailleur.....................................................250 Total............................................................. 475

Ton tailleur est content, mais je n'ai rien. Je n'aurai le Collège de France que dans huit ou dix jours. Sans cette peinture inutile des parquets, j'aurais envoyé les 100 francs qu'elle m'a coûtés à Gabriel. J'ai changé ce matin deux de mes pauvres quatre pièces de 20 francs pour[613] le compte de ma nourriture dû au portier. Si je ne trouve pas à emprunter 100 francs pour donner demain à de Jussieu qui doit, m'as-tu écrit, aller après-demain à Vanteuil, il faudra que j'envoie à Ride les deux pièces de 20 francs qui me restent seules. Mais qu'est-ce que cela en comparaison de mon affreuse position envers M. Guérin de Foncin et, par suite, envers Montbel qui l'a engagé à me rendre ce service, dont je me vois exposé à le faire cruellement repentir ?

M. Guignault est à la campagne à ce qu'on m'a dit lorsque j'ai été chez lui ; la domestique me dit qu'il viendrait peut-être jeudi soir ; jeudi c'est demain. J'irai voir après-demain si je peux lui parler. Je ne sais donc rien de ton affaire. Mais j'ai dit à plusieurs personnes de l'Université que tu étais allé chez M. de Jussieu pour y finir ton livre. J'ai fait chercher partout aujourd'hui la petite malle de Marseille, où mes papiers sont venus et que ma sœur a vue depuis mon départ avec M. Daburon. Il n'y a point de malle où il y ait des papiers ; mais le hasard m'a fait trouver une partie de ceux que je cherchais dans le bas de mon armoire avec des papiers peints pour tapisserie. Comment[614] cela s'est-il fait ? Qui pourra jamais le comprendre, ni pourquoi, depuis deux mois, je n'ai pu rien tirer d'Albine ni de ma sœur là-dessus ? Au reste, la partie retrouvée donne l'espoir de retrouver le reste. Je n'ai pu encore m'assurer si tout y est, mais ce n'en a pas l'air. Je ne tousse plus du tout et ne me suis jamais mieux porté.

Jeudi 7 8bre [octobre] J'ai vu M. Guignault ce matin. Je lui ai dit que tu étais allé à la campagne pour achever ton ouvrage sur le Nord. Il m'a dit que tu pouvais y rester jusqu'à l'organisation de l'école Normale, que l'arrêté de la commission pour cela et les nominations des maîtres de conférence ne paraîtraient pas avant le 15 de ce mois. Je lui ai rappelé tout l'intérêt qu'il avait pour toi ; il m'a dit que tu avais toutes les chances possibles d'être nommé. Il y a deux jours que j'ai reçu 50 francs pour toi du loyer du rez-de-chaussée. Je les ai portés ce matin chez Bernard de Jussieu (ou Laurent, car je ne sais lequel des deux) pour qu'il les remît à Gabriel, parce que, le 10, j'aurai le Collège de France pour te les rendre. Tu m'avais écrit qu'il n'irait à Vanteuil que le jeudi ou le vendredi ; cette erreur m'a fait manquer l'occasion, car il est parti hier, mercredi, avec sa femme et ses enfants. J'ai été voir au Jardin des Plantes s'il y avait[615] quelqu'un chez M. de Jussieu qui pût les faire passer à Gabriel. Il n'y a personne. Demande donc chez M. de Jussieu, ou à Albine, à qui il faut que je remette ici cet argent pour qu'il lui parvienne ! Vendredi 8 octobre — Je suis sauvé. Beuchot la Varenne a trouvé pour moi 5000 francs à emprunter qui payeront M. Guérin de Foncin. Je les rembourserai en y consacrant tout ce que je reçois de l'Université d'ici au mois d'octobre 1831, au moyen des billets faits de mois en mois. J'irai mardi prochain à la Ferté par la voiture publique.

Attends-moi chez Mme de Jussieu à l'arrivée de la voiture qui part d'ici à 7 heures du matin et que je quitterai avant la Ferté pour aller à Vanteuil te voir et toute la maison de Jussieu. Je te ramènerais, si tu veux, à Paris six ou huit jours après, car c'est tout ce que je resterai à la campagne. Quel bonheur d'avoir trouvé à emprunter dans un moment où l'argent est si rare ! J'ai risqué de voir protester le billet de M. Guérin de Foncin, et c'en était fait de ma place d'inspecteur général si un pareil scandale était arrivé. Ma calèche restera à Paris ; je louerai un âne pour me promener s'il le faut. D'ailleurs, j'ai repris des jambes et il faut passer une année d'économies. Je recevrai chaque mois, après avoir laissé l'Université pour m'acquitter : Du Collège de France ..............................415 De l'Institut environ.................................110 Total....................................................................525 J'en donnerai............................................................175 et nous vivrons tous deux avec 350 francs par mois. De l'économie, tout ira bien et il pourra encore rester de l'argent pour ce que tu auras de plus pressé. D'ailleurs, sans un arrangement de tous les mois, je risquerais de me laisser aller à quelques dépenses et je ne parviendrais peut-être jamais à m'acquitter. Mille choses aux Jussieu ! Ton papa t'embrasse si tendrement. A. Ampère

[à Vanteuil]

Please cite as “L753,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L753