To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   18 octobre 1831

[600] Paris 18 8bre [octobre] 1831

Mon cher fils, depuis la lettre que tu m'as écrite de Naples au moment de t'embarquer pour la Sicile et à laquelle j'ai répondu courrier par courrier une longue lettre adressée à Messine comme tu me disais de le faire, je n'ai point eu de tes nouvelles, ni ta sœur non plus. J'avais quelque espérance que tu lui écrirais, ce qui l'aurait comblée de joie dans un moment où elle a eu tant à souffrir des alternatives d'espoir et de crainte qui résultaient des changements de détermination de M. Ride, tantôt décidé à partir, tantôt y renonçant, tantôt désirant la séparation de biens, tantôt disant que non et qu'il était prêt à passer cinq ans en Sainte-Pélagie avec les débiteurs insolvables comme lui, etc. Ce sont ces terribles agitations qui l'ont jusqu'à présent empêchée de t'écrire la première comme elle voulait le faire. Des différentes lettres que je t'ai écrites, je suis sûr du moins que tu as reçu celle que j'ai adressée poste restante à Palerme, car celle-là a dû y arriver bien avant toi. Quant à celle que j'ai écrite ces jours-ci à Messine, j'ai peur que tu n'aies quitté la Sicile avant qu'elle y arrive. J'attendais[601] une lettre de toi qui marquât où il convenait de t'écrire ; mais, comme le directeur de l'école Normale vient de t'en écrire une pour t'annoncer que l'ouverture des cours aura lieu demain, je me hâte de t'en donner avis et, comme je ne sais si tu ne t'embarqueras pas à Naples pour revenir de suite à Marseille par le bateau à vapeur, c'est à Naples que je t'écris. J'irai à l'école Normale en causer ; mais il me semble que cette circonstance doit hâter ton retour.

Albine, devenue plus tranquille parce que M. Ride sent bien que la séparation est dans son intérêt et qu'il faut pour le moment se mettre en sûreté avant que les créanciers de son frère, pour qui il s'est engagé par des lettres de change, puissent l'arrêter et l'enfermer à Sainte-Pélagie, Albine t'écrira incessamment. Elle se désolait aujourd'hui avec moi de ne pas encore l'avoir fait, surtout avant que commençassent ces secousses qui l'ont tant tourmentée. Mais nous ne savons si sa lettre doit être adressée à Naples ou à Rome. Ton rez-de-chaussée est enfin loué à partir d'hier ; j'ai reçu pour ton compte 200 francs de M. Dufau, locataire du second. Albine paraît tout à fait remise de l'état inquiétant où elle était quand[602] tu es parti. Je ne me suis jamais mieux porté. Ma sœur est bien, le mal d'yeux qui l'avait affectée n'ayant pas augmenté. Ma cousine est désolée parce que la police a fait saisir l'onguent Canet chez M. Chrétien et que c'était là-dessus que reposait à peu près toute son existence. Je ne sais ce qui en arrivera ; car les lois sur les remèdes secrets sont d'une sévérité qui fait qu'on ne sait comment y échapper.

M. Ride est décidément guéri de son amour des boissons fermentées et, depuis quelque temps, se conduit tout à fait bien. Ta tante, ton oncle et Mme Rivail 1 sont venus dîner avec nous la semaine passée. Ils se portent bien et n'ont parlé que de toi. Tout le monde t'attend avec la plus vive impatience. Les tableaux et les vers latins 2 sont tellement arrêtés que, déjà depuis longtemps, on ne pense plus à y rien changer. Nous t'embrassons tous de notre cœur : ta sœur et moi surtout. Reviens vite nous voir et je serai enfin heureux. Ton tendre père, A. Ampère

J'ai rencontré dimanche passé Mme Récamier sur la place Saint-Sulpice, nous avons parlé de toi. Ballanche et Dugas se portent bien et t'aiment bien.

[603]Monsieur J-J Ampère poste restante à Naples, royaume des Deux-Siciles
(2) Élisa Carron, cousine germaine de Jean-Jacques, née le 31 octobre 1798, mariée à M. Rivail en juillet 1831.
(3) L'explication des tableaux relatifs à la Classification des Sciences a été faite par Ampère en vers latins.

Please cite as “L770,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L770