To Auguste de La Rive   20 mars 1832

20 mars 1832
Monsieur et très cher ami,

Comment puis-je espérer que Monsieur votre père, que vous-même, vous me pardonniez de ne vous avoir pas exprimé plus tôt la profonde reconnaissance dont mon cœur est plein pour toutes les attentions que vous avez eues pour mon gendre.

Son retour subit à Paris a dû vous paraître surprenant. Il ne l'a été pour personne autant que pour moi, quand je le vis arriver au moment où je m'y attendais le moins. Dès ce moment, je voulais écrire à Monsieur [votre père] pour vous exprimer à tous deux combien j'étais reconnaissant de tout ce que vous aviez eu la bonté de faire pour lui. Mais je différai d'abord pour savoir si la position où son frère l'avait mis en lui faisant prendre, par pure complaisance pour ce frère, des engagements qui pouvaient d'un moment à l'autre le priver de sa liberté, ne l'obligerait pas à retourner à Genève aussi vite qu'il en était venu. Alors commencèrent des procédures que je croyais devoir se terminer de jour en jour et qui ont duré bien longtemps ; enfin la séparation de biens entre lui et ma fille a été prononcée, et un autre jugement l'a relevé de la prise de corps prise contre lui l'automne dernier pour des effets qu'il avait eu l'inconcevable folie de signer pour son frère sans en avoir rien reçu.

C'est ainsi que je crois être parvenu à ce qu'il puisse rester à Paris sans payer ce qu'il ne doit pas et sans risquer de se voir priver de sa liberté. Comment, en effet, pourrait-on regarder comme valables des engagements pris par quelqu'un qui avait été à deux reprises dans une maison d'insensés, et qui a signé parce que son frère lui avait persuadé que cette signature ne l'engageait à rien ?

Une autre circonstance, jointe à la multitude de travaux qui m'a accablé depuis que j'ai entrepris de joindre au cours que je fais au Collège de France une leçon par semaine sur la philosophie des sciences, a contribué à ce que je restasse si longtemps sans vous exprimer et à Monsieur votre père toute ma reconnaissance ; c'est que j'aurais voulu avoir le temps de vous faire part des expériences que j'ai faites dans ces derniers temps pour vérifier et préciser celles de M. Faraday sur la production des courants électriques par influence dont nous avons constaté ensemble l'existence à Genève en 1822. Vous vous rappelez qu'en suspendant le cercle de cuivre AB à un fil de soie ZSB dans une spirale redoublée CD dont le fil communiquait par chacune de ses extrémités avec celles de la pile EF, nous avons excité, par influence, un courant électrique momentané dans le cercle AB, à l'instant où la communication était établie : courant dont l'existence se manifestait par l'attraction ou la répulsion qu'exerçait alors sur le cercle AB un fort aimant que nous avait prêté l'excellent M. Pictet. Vous eûtes la bonté de publier cette expérience à la suite du mémoire plein de considérations et de résultats d'expériences ingénieuses que vous lûtes à la Société de Genève, le 4 septembre 1822. Malheureusement, après avoir répété nombre de fois cette expérience à Paris, il ne me vint pas l'idée d'interrompre le cercle en MN et d'y souder les deux bout M, N, du fil MSRPN d'un galvanoscope, pour voir les aiguilles aimantées de cet instrument, influencées par [le] courant électrique que produit dans ce fil l'influence du courant de la spirale redoublée CD. C'est précisément ce que vient de faire M. Faraday, et cela l'a conduit à produire une étincelle électrique avec un aimant : étincelle qui ne peut laisser de doute sur ce que j'ai d'ailleurs, je pense, démontré complètement, savoir que les phénomènes magnétiques sont des phénomènes purement électriques dus aux mouvements de l'électricité autour des molécules des aimants.

Je n'ai pas le temps de continuer sur ce sujet, parce que M. Maurice, qui doit vous remettre cette lettre, me l'a demandée pour demain matin. La même raison me prive d'écrire à Monsieur votre père, comme je désirais depuis longtemps de le faire. Je n'oublierai jamais l'amitié dont il m'a donné tant de preuves, et autrefois, et encore en dernier lieu au sujet de mon gendre. Je vous supplie d'être auprès de lui l'interprète d'une reconnaissance qui ne finira qu'avec ma vie, et présenter à ces dames de La Rive l'hommage de mon profond respect. Où trouverai-je maintenant des expressions pour vous offrir, à vous Monsieur et à Monsieur votre père celle dont mon gendre est pénétré pour l'accueil que vous avez bien voulu lui faire pendant son séjour à Genève ? Je me suis chargé de vous l'exprimer et je ne sens comment je pourrai m'en acquitter sans rester trop au-dessous des sentiments dont son cœur est plein. Combien de fois il m'a répété combien il en avait été touché et quel tendre souvenir il en conserverait toute sa vie !

Je suis obligé de vous quitter et d'ailleurs cette lettre n'est déjà que trop longue. Recevez, Monsieur et excellent ami, l'assurance des sentiments de la plus vive amitié et de la haute idée que j'ai des admirables travaux par lesquels vous avez tant contribué aux progrès des sciences, et surtout à la branche que nous avons plus particulièrement cultivée, et sur laquelle j'ai eu le bonheur de travailler en commun avec vous, et l'hommage de ma tendre amitié et de mon entier dévouement. A. Ampère

Please cite as “L776,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L776