To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   28 août 1832

[393] Clermont 28 août 1832

Comment je n'ai pas répondu plus tôt à cette lettre de mon cher et si bon fils qui m'a causé tant de joie en me promettant de venir me trouver en Auvergne dès que tu auras fini ce fastidieux travail du jugement des copies ? La raison de ce retard involontaire est dans la manière dont ma vie est remplie. Pendant que M. Gonod donne des leçons au Collège royal, un homme de confiance, sous-bibliothécaire de cette bibliothèque publique dont M. Gonod est bibliothécaire, écrit des rapports pour l'Université sous ma dictée, à dix sous par heure. Dès que M. Gonod est libre, le sous-bibliothécaire s'en va, et c'est le premier qui a la bonté d'écrire ce que je lui dicte sur la mathésionomie. Après en avoir ainsi écrit les trois-quarts et avant de nous occuper du quart restant, pour bien savoir ce qui est fait afin de ne pas tomber dans des redites, nous avons commencé hier à corriger ce qui est fait, pour le mettre dans l'état où il doit être imprimé. II lit ce qui est écrit et nous y faisons à mesure toutes les corrections et additions nécessaires  ; il m'en propose souvent d'excellentes ; par ce moyen, nous comptons qu'il pourra être imprimé ici avant mon départ, par son frère imprimeur des Annales scientifiques, littéraires[394] et industrielles de l'Auvergne. Si l'on y insère mon travail, comme le désire M. Gonod, je n'aurais à payer que le papier et le tirage.

Puisque j'espère t'avoir bientôt ici, je ne commencerai l'impression que quand je t'aurai soumis l'idée générale de mon livre et la distribution de ses parties. Au reste, tu travaillerais ici tout comme tu pourrais le faire à Paris, avec une grande pièce et toutes les commodités possibles, cette pièce étant encore plus indépendante que la mienne. Il n'est pas bon que la circonstance que je dicte mes rapports sorte d'entre toi et moi.

J'attends avec impatience le joli présent que tu m'annonces pour M. Gonod et pour moi. Dès que le numéro de la Revue des Deux Mondes est arrivé il y a quelques jours ici, il me l'apporta tout de suite et tout travail fut suspendu jusqu'à ce que je l'eusse lu et relu. Viens vite pour que nous causions ensemble de tout le plaisir qu'il m'a fait.

Dis à Ballanche avec quelle peine j'ai appris qu'il était souffrant ; j'espère qu'il ne l'est plus et je désire bien vivement que tu m'en donnes l'assurance. Je n'ose le prier de m'écrire un petit mot, chez M. Gonod, place Jaude, n° 52. Je t'attends dès que tu auras terminé tes classements de copies qui doivent être[395] bientôt finis ; peut-être le sont-elles déjà. Je pense sans cesse au bonheur que j'aurai de te voir ici ; M. Gonod s'en fait une fête. Je n'ai été jamais si bien soigné, si ce n'est peut-être quand je l'étais à Hyères par mon fils et la bonne Marie. Enfin ces jours dont je conserve un si doux souvenir vont renaître pour moi quand tu seras ici.

Écris-moi le jour de ton arrivée, du moins à peu près ! N'oublie pas de demander à Albine le coussin du banc du devant de la calèche pour l'apporter avec toi ! Demande aussi à ma sœur tout l'argent qu'elle aura reçu au delà de ce qu'il sera possible qu'elle ne garde pas pour des billets à ordre ; car j'ai déjà emprunté ici 100 francs au recteur et il m'en faut 250 de frais de poste pour ramener la calèche à Paris (40 postes) : que l'on y soit un ou deux voyageurs, c'est la même chose. M. Gonod m'a dit qu'il me prêterait tout ce dont je pourrais avoir besoin ; mais juge comme cela est désagréable, lorsque je lui ai déjà de si grandes obligations ! Ma sœur, entre l'Université et le Collège de France, doit recevoir, au commencement du mois de septembre, plus de 900 francs. Ne peut-elle du moins m'en envoyer la moitié ? Ce que tu me racontes de ce que M. Cousin a dit de ton cours chez M. Guizot m'enchante.

[396]Donne-moi des nouvelles de la manière dont l'examen de tes élèves a réussi, ou plutôt, apporte-m'en toi même. Ne pourrais-tu pas demander des nouvelles de la sœur de M. Naudet à la portière de la maison où il demeure ; car, encore à présent, j'ignore s'il a eu le malheur de la perdre, si elle est encore malade, ou si elle est guérie.

Adieu, bon ami, je t'embrasse mille fois de toute mon âme ; embrasse pour moi Albine quand tu la verras. Ton tendre père, A. Ampère

Monsieur J-J Ampère, maître de conférence à l'école normale rue du Bac, n° 100 bis, faubourg Saint-Germain, à Paris

Please cite as “L785,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 18 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L785