To Auguste de La Rive   8 novembre 1833

8 novembre 1833
Mon très cher confrère.

J'ai mille remerciements à vous faire de votre excellente esquisse des principales découvertes faites sur l'électricité depuis quelques années, qui, sous un titre trop modeste, expose avec tant de clarté et de précision tous les faits de quelque importance. Je regrette infiniment que la lettre que M. Colladon devait vous porter à l'époque où il devait quitter Paris pour se rendre à Genève, il y a je crois huit ou neuf mois, et dont j'avais déjà écrit huit ou dix pages, n'ait pas été finie avant son départ. Voyant que cela ferait un gros paquet si je mettais, comme j'avais commencé de le faire, les résultats que j'obtenais de jour en jour dans des expériences que je faisais avec M. Melloni sur l'action des aimants pour déterminer ou diriger un courant électrique dans un conducteur fermé, je crus qu'il valait mieux attendre une autre occasion pour achever ma lettre afin de compléter ce travail fait avec M. Melloni et de pouvoir vous donner tous les résultats à la fois.

Vous avez pu en voir quelques extraits dans les journaux d'après ce que j'en avais dit à l'Institut. Mais les résultats, en apparence contradictoires, que j'obtenais ne m'ayant pas permis de l'achever, je partis pour ma tournée universitaire, et la lettre commencée resta dans un tas de papiers où je viens d'en retrouver les huit premières pages. Je les joins à cette lettre et vous reconnaîtrez facilement à l'état et à la couleur qu'ont pris le papier et l'encre qu'elle a, en effet, été écrite à cette époque 1. Ce qui fit que je négligeai de vous envoyer ce commencement de lettre avant mon départ pour ma tournée, c'est que, quelque temps auparavant, M. Underwood, en partant pour Londres, s'était chargé de remettre à M. Faraday une lettre où je faisais la même réclamation dont je vous parlais dans la mienne et vous avez pu voir dans son dernier ouvrage qu'il reconnaît complètement la réalité de l'expérience sur laquelle il avait cru pouvoir jeter des doutes et par laquelle nous avons constaté, en 1822, la production des courants électriques par influence : expériences répétées depuis plusieurs fois en public dans mes cours au Collège de France bien avant l'admirable travail fait sur ce sujet par l'illustre physicien anglais. C'est lui qui a découvert que le courant produit par influence a lieu en sens opposé à celui du courant qui lui donne naissance, qu'il est instantané et que, quand l'action cesse, il y a un nouveau courant par influence qui est, au contraire, dans le même sens que le courant que l'on vient d'éloigner ou d'anéantir. C'est là, certes, une des plus belles découvertes sur les phénomènes d'électro-dynamique ; mais ce n'est pas M. Faraday qui est l'auteur du fait même de la production du courant par influence, puisque nous avions obtenu ce courant en 1822.

Cette lettre laissée dans mes papiers, si elle vous était parvenue à l'époque où M. Colladon se rendit à Genève, vous aurait fait modifier ce que vous dites à ce sujet aux dernières lignes des pages 80 et 214, en vous fournissant l'occasion toute naturelle de parler de notre expérience de 1822. Les découvertes de M. Faraday dont M. de Nobili a déduit avec tant de sagacité la véritable explication de celles de M. Arago sur l'action mutuelle d'un disque mobile et d'un aimant libre de tourner autour du même axe, rendent également raison de toutes les circonstances que présente notre expérience.

La lame mince pliée en cercle se porte vers les pôles du fer à cheval ou s'en éloigne, pour rester à peu près dans la position qu'elle a prise tant que dure le courant excité dans l'hélice, précisément parce que, la première action n'étant qu'instantanée, il n'y en a plus tant qu'il subsiste. Dès qu'on le fait cesser, la lame pliée en cercle revient vers sa position primitive parce qu'il s'y produit un courant instantané en sens contraire, C'est ce retour, que j'attribuais à une force de torsion dans le fil, qui me faisait croire à la persistance de la première action tant que durait le courant comme faisant équilibre à cette prétendue force de torsion qui n'existait réellement pas. Quant à la direction semblable ou contraire des courants, je n'ai jamais, en effet, fait les expériences nécessaires pour la déterminer. Mais il est de fait que, dans trois ou quatre endroits de mes mémoires ou opuscules dans lesquels j'en ai parlé, j'ai toujours évité d'en parler, parce que je me proposais toujours d'entreprendre, sur les courants par influence, un travail complet que je n'ai jamais fait.

Mais je me suis trop écarté de mon but qui était surtout de vous remercier de l'envoi que vous avez eu la bonté de me faire d'un ouvrage dont je ne saurais exprimer tout le mérite ; la manière parfaite dont les faits sont exposés rivalise avec la profondeur des vues et la justesse des idées, et ensuite de vous recommander le jeune Édouard Olivier qui vous remettra cette lettre. Entré à l'école Polytechnique en 1829, il a été opéré pour une hernie dans le courant de 1830 et forcé de prendre un congé de convalescence. Rentré vers la fin de 1830, il a donné sa démission en 1831 parce que son infirmité le rendait impropre au service militaire et qu'il ne pouvait pas atteindre aux places des Ponts et Chaussées. Maintenant, à l'âge de 25 ans, pour se créer des ressources, il désire enseigner les sciences à Genève où quelques amis lui promettent leur appui. Ce serait un grand bonheur pour lui de pouvoir y paraître sous vos auspices et sous ceux de M. de Candolle à qui je vais écrire par la même occasion.

Je me proposais aussi de faire une lettre pour M. Maurice ; mais à peine me restera-t-il le temps d'écrire quelques lignes à M. de Candolle avant l'instant où je dois tenir mes lettres prêtes, et il ne faut pas que je me mette dans le cas où je me suis mis lors du départ de M. Colladon. Je vous supplie, pensant que les occasions de voir M. Maurice [ne vous manqueront pas], de suppléer à mon silence, tant à l'égard du vif intérêt que je porte à M. Olivier qui en est si digne que relativement au désir que j'avais de lui rappeler toute l'amitié dont je serai à jamais pénétré pour lui. Que je regrette qu'il ait renoncé au séjour de Paris où nous avions des conversations si douces et si fructueuses pour moi dont je me souviendrai toute ma vie !

Mais ce qui est surtout gravé dans mon cœur en traits ineffaçables, c'est le temps si heureux pour moi que j'ai passé à Genève et à Pressingue auprès de vous, mon cher confrère, et de Monsieur votre père, qui eut pour moi des attentions si délicates et si multipliées pendant mon trop court séjour à Genève. Ces doux souvenirs sont si présents à ma mémoire que je ne puis croire que onze ans se soient écoulés depuis. Je vous prie de lui offrir, ainsi qu'à Madame votre mère, l'hommage de mon respect et de mon éternelle reconnaissance.

Quant à moi, je m'occupe uniquement de l'ouvrage sur la classification générale de toutes les vérités que l'homme peut connaître et dont se composent toutes les sciences et tous les arts. L'impression en a été suspendue quelque temps à cause de ma tournée et de bien d'autres circonstances. Elle est reprise à présent et j'espère que, dans trois ou quatre mois, le premier des deux volumes de mon ouvrage aura paru. Vous savez que vous serez un des premiers à qui j'en enverrai un exemplaire.

Je vous prie d'agréer de nouveau tous mes remerciements. Ne m'oubliez pas auprès d'aucun de vos compatriotes dont j'ai eu l'avantage de faire la connaissance pendant le trop court séjour que j'ai fait à Genève. Vous savez trop quelle tendre amitié je vous ai vouée pour que je cherche à vous l'exprimer. Je suis, mon très cher confrère, votre mille fois tout dévoué. A. Ampère

(2) La lettre dont il s'agit doit être la L1833-04-00-a.

Please cite as “L801,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L801