To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   4 août 1834

[428] Castelnaudary 4 août 1834

Je suis un grand misérable, mon cher fils, d'être resté si longtemps sans t'écrire. Je me suis promis vingt fois de le faire depuis les jolies lettres que tu m'as écrites. Toujours le temps m'a manqué. Je me croyais sûr de le faire, avant de quitter Nîmes, avant de quitter Montpellier 1 et me voilà me rapprochant de Paris ; me voilà à Castelnaudary, partant demain pour Rodez, où je ne sais pas si je trouverai Mme Rozet, mais où j'espère avoir une lettre d'Albine, à qui j'ai écrit mon itinéraire il y a huit jours et peut-être une de mon Jean-Jacques, s'il ne boude pas son papa autant que ce dernier l'a mérité bien malgré lui. Car j'ai bien recommandé à Albine de te dire qu'on pouvait m'écrire à Rodez jusqu'au 6 ou 7 du mois d'août et qu'il n'y aurait plus ensuite que Bourges, où j'arriverai, j'espère, vers le 14 ou 15 août pour y passer quatre ou cinq jours. Plaise à Dieu que j'y trouve en arrivant, de même qu'à Rodez, une lettre qui me donne de bonnes nouvelles de mes enfants !

Je ne tousse plus du tout, quoique j'aie fait, par les circonstances où je me suis trouvé, tout ce qu'il fallait pour faire revenir la toux, qui cependant n'est pas revenue. Hier encore, en venant ici et après être parti par un beau temps, j'ai reçu une pluie à verse de 10 minutes et un vent tel que l'eau entrait de tous côtes dans la calèche, que j'avais pourtant fermée autant qu'il était[429] possible de le faire. Aujourd'hui, j'ai passé 12 heures entières, soit au collège, soit en conférences avec les autorités, le bureau d'administration du collège, les Commissions d'examen et de surveillance de l'Instruction primaire, et je ne m'en porte pas plus mal.

Je regrette d'autant plus de ne t'avoir pas écrit d'Avignon ou de Nîmes que tu aurais su où et quand tu pouvais m'écrire et que j'aurais eu tes idées sur mon ouvrage * que je désire tant connaître, particulièrement sur le grand changement qui a transporté la pédagogie dans les sciences dialegmatiques et changé entièrement la manière dont j'avais conçu et placé, dans le tableau, l'archéologie et l'économie politique, changement décidé à l'instant même où la chose eût été sans remède et aussi sur le morceau ajouté sous le titre explication des tableaux, etc.

Quant aux dernières lignes, tu auras reconnu la main de M. Gonod ; il les a écrites tout à coup sur la dernière épreuve comme nous la corrigions ensemble. Je n'y vis dans le moment aucun inconvénient ; maintenant je voudrais bien qu'elles n'y fussent pas. C'est aussi un chagrin que j'aie laissé un vers dans le proemium et un dans[430] les sciences médicales, qui ne disent pas ce qu'ils devraient dire. Je m'en suis aperçu et je les ai refaits à Nîmes, mais c'est trop tard. Quant aux autres, je n'y pense plus et, s'il m'arrive de me les rappeler, c'est pour trouver qu'il n'est pas possible de les améliorer. Je m'y complais tout à fait passivement. J'ai eu l'idée de donner un exemplaire de mon ouvrage à la bibliothèque de l'école de Médecine de Montpellier : ce qui m'a valu un des plus brillants succès que je pusse espérer. M. le professeur Lordat l'a dévoré et quelques confrères le retenaient d'avance.

Quel plaisir de penser que, dans quinze jours, je serai bien près de Paris ; que dans trois semaines, mon arrivée y sera déjà une chose ancienne ! Je désire en arrivant, offrir un exemplaire sur vélin avec riche reliure à M. Guizot. Si tu étais si bon pour que cela ne retarde pas 2 [illeg] [431] reconnaître dans le dédale des cartons et des onglets ou ne commettre à cet égard quelques erreurs, car alors tout serait perdu sans ressources. Il doit plutôt encore m'attendre que de s'y exposer si le relieur ne peut pas promettre de suivre exactement en tout point la manière dont les pages imprimées deux ou trois fois sont choisies et rangées dans l'exemplaire que je t'ai envoyé, qu'il faudrait confier quelques jours au relieur pour lui servir de modèle dans le choix et l'arrangement de toutes ces pages. Qu'il collationne avec celles de ton exemplaire, autrement qu'il ne s'en charge pas ! C'est d'une si grande importance ! Adieu, le plus chéri et le meilleur des fils, ton papa t'embrasse mille fois. Tu sais ce dont je te charge pour la famille et tous nos amis. A. Ampère

[illeg]
Note d'Ampère. « C'est que pour me forcer à écrire à M. Ride, je m'étais prescrit de ne rien écrire d'autre que la lettre que j'avais commencée pour lui à Tournon fût achevée. Je croyais chaque jour que je la finirais le lendemain et toujours je trouvais de nouveaux motifs pour qu'il restât à la Guadeloupe, à lui insinuer en détail, en sorte que je n'ai pu achever cette lettre qu'à Montpellier. »
(3) La lettre est déchirée à cet endroit.

Please cite as “L810,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L810