To Paul Erman   9 août 1823

Paris, 9 août 1823
Monsieur le secrétaire perpétuel,

Je me reproche beaucoup de n'avoir pas répondu plus tôt à la lettre dont vous m'avez honoré et qui m'a été remise dans le temps par M. le baron de Humboldt. Ce retard n'a pas dépendu de ma volonté, mais de ce que j'avais formé le projet de répondre en détail à toutes les intéressantes questions que vous avez la bonté de me faire dans cette lettre, et que je n'ai pu absolument trouver le temps de le faire, croyant toujours le pouvoir et ne le pouvant jamais, c'est la même cause qui m'a empêché de rédiger un mémoire que je voudrais lire à l'Académie des sciences de Paris. Tous les matériaux de ce mémoire sont réunis depuis longtemps, mais je n'ai jamais pu trouver le temps de le rédiger. Je me propose d'y mettre tout mon temps dès que je pourrai parce que s'il est une fois publié, il ne restera plus de doutes sur l'explication des phénomènes électro-dynamiques, parmi lesquels je comprends même l'action mutuelle de deux aimants, vous verrez, Monsieur, la démonstration mathématique complète que donne M. Savary dans le mémoire de ce jeune physicien que je vous envoie de cette base de toute ma doctrine qu'en admettant la même disposition électrique dans de petits circuits disposés comme je l'ai dit, autour des particules des aimants, précisément comme dans le fil conducteur d'une pile voltaïque, il en résultait entre deux aimants la même action que dans la théorie de Coulomb, cette action étant exprimée par la même loi. Bien loin donc que je sois opposé à Coulomb, je laisse subsister toute sa doctrine, seulement je montre que ce qu'il a cru des molécules de deux fluides magnétiques dont l'un est appelé austral et l'autre boréal, sont réellement les extrémités des séries des petits circuits qui existent entre les aimants, séries que je désigne sous le nom de cylindres électromagnétiques. Si mes formules se trouvaient à donner ainsi là les mêmes lois pour l'action de deux aimants, que donne la théorie de Coulomb, il n'y aurait pas de motifs décisifs pour préférer l'une à l'autre, mais mes formules donnent aussi les lois de l'action mutuelle d'un conducteur voltaïque et d'un aimant, et celle de deux conducteurs en renfermant dans une seule expression et ramenant à une seule cause ces trois sortes d'action ; c'est ce que ne peut faire la théorie de Coulomb, et c'est ce qui me semble décider entièrement en ma faveur.

J'ai répété dans tout ce que j'ai écrit sur ce sujet que la cause de tous ces phénomènes, la disposition d'électricité à laquelle on a donné le nom de courant électrique, est dirigée dans le conducteur voltaïque suivant la longueur de ce conducteur, que dans celles de ces parties qui sont en ligne droite, l'électricité ne se meut que suivant cette ligne droite, et que c'est à de simples attractions et répulsions conçues à la manière de l'attraction newtonienne, et s'exerçant toujours entre deux particules de métal de différents conducteurs traversés par le courant électrique, suivant la droite qui joint ces deux particules, qu'on doit attribuer tous les phénomènes, en combinant à l'aide du calcul des forces attractives et répulsives suivant les lois de la statique, on a, en intégrant, les valeurs des forces dont nous observons les effets.

Si le courant électrique devient transversal dans les hélices c'est parce qu'il y suit encore la direction du fil qui tourne autour de l'axe, s'il est aussi transversal autour des particules des aimants, c'est que c'est dans des plans perpendiculaires à leurs axes qu'ont lieu cette suite de compositions et de décompositions d'électricité qui constitue ce qu'on nomme le courant électrique.

Je crains d'après un passage de votre lettre qu'il soit resté de l'obscurité en Allemagne sur ce point de ma théorie. La physique cartésienne se figure en voyant les planètes tourner autour du soleil qu'elles sont poussées dans le sens où elles vont par des tourbillons tournant dans le même sens, quand elle voit un pôle d'un aimant porté à la droite et l'autre à la gauche d'un fil conducteur, elle suppose un tourbillon autonome du fil, la physique newtonienne explique tous les phénomènes célestes par une attraction dirigée suivant la droite qui joint les deux particules entre lesquelles elle s'exerce et le mouvement en est un produit compliqué, je fais à l'égard des nouveaux phénomènes ce qu'a fait Newton pour les mouvements célestes, je les explique par des forces attractives et répulsives, et la direction du courant électrique qui est en ligne droite quand le conducteur est rectiligne, ne s'introduit dans le calcul que parce que la valeur mathématique des forces exercées dépend, comme vous pouvez le voir dans mon recueil, des angles formés par cette direction avec celle d'un autre courant et celle de la droite qui joint les particules dont on veut représenter l'action mutuelle.

Je vous envoie, Monsieur, des exemplaires de ce recueil qui n'est complet que depuis peu de temps, pour vous, Monsieur, et pour l'académie de Berlin. M. Savary me prie d'y joindre des exemplaires de son mémoire. J'en envoie davantage pour que ce mémoire puisse être connu de plus de personnes. Je le regarde comme un des plus beaux travaux sur ce sujet que je n'ai point épuisé comme vous voyez. J'ai l'honneur d'être, Monsieur le secrétaire perpétuel, votre très humble et très obéissant serviteur. Ampère

Please cite as “L860,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L860