J'eus l'honneur de vous écrire Monsieur et très honoré Collègue le 30 du mois dernier en vous envoyant la peau d'un ours ; c'était un mode de répartition proposé, pour le reversement supposé en faveur de l'académie de Genève. Je sais trop bien par expérience, avec quelle lenteur notre grande machine universitaire tourne, pour m'étonner le moins du monde d'être sans réponse. Ma lettre a un autre objet. Le voici. Entre les innombrables changements dont nous sommes témoins, la réunion du Valais, sous le titre de Département du Simplon, nous intéresse particulièrement. Les Valaisans désirent fort qu'à cette occasion Genève devienne siège d'une Cour d'appel ; leurs députés le demanderont à l'Empereur ; notre ville vient de faire la même demande et a nommé, pour la porter aux pieds du trône, une députation dont M. Boissier notre Recteur 1 est l'un des trois membres et quoique le Moniteur ait annoncé l'adjonction du Simplon à la Cour d'appel de Lyon, nous ne nous tenons pas pour battus et Lyon qui a déjà quatre départements dans son ressort, ne souffrirait pas beaucoup en nous en cédant un, et resterait ainsi dans la moyenne de la très grande pluralité des Cours d'appel de l'Empire 2.
Mais quelle que soit l'issue de cette demande, il nous semble [17] que sous le rapport de l'Instruction, on ne peut guère faire ressortir d'une autre académie ; que celle de Genève le nouveau Département 3. La demande en est adressée en forme par notre Recteur à S[on] E[xcellence] le Grand Maître par le courrier d'aujourd'hui, et c'est pour vous en prévenir, mon très honoré collègue, et vous demander votre appui et celui de notre respectable abbé Roman en faveur de cette demande, que je vous écris aujourd'hui. Les convenances locales y existent au plus haut degré. D'anciens rapports nous lient avec le ci-devant Valais, et la différence des religions est si peu un obstacle que notre Curé vous dira quand vous voudrez, que sous le rapport de l'inspection et de la protection de son école il ne voudrait changer notre Recteur contre aucun autre. Cette école est en grande partie votre ouvrage et celui de votre excellent Collègue, et elle mérite tout votre intérêt.
L'idée de faire voyager l'Inspecteur de Lyon jusqu'aux Sources du Rhône serait assez étrange, et pour celui de Genève 4 elle est tout naturelle. Notre Académie, en acquérant ainsi un ressort plus étendu, y gagnerait plus de consistance et plus de moyens. Alors peut-être on nous disputerait moins la conservation de notre école préparatoire de Droit et de celle de Médecine, que nous serions désolés de perdre après en avoir joui si longtemps 5. Veuillez donc mon très cher collègue, si vous y êtes appelés l'un ou l'autre et si nous avons le bonheur que vous partagiez notre opinion, prêcher sur ce texte dans l'occasion, et même la faire naître au besoin. Si notre députation est acceptée, ce qui malheureusement est encore fort douteux, mon ami Boissier, et mon parent Pictet Diodati 6 qui la présidera, auront l'honneur de vous voir, et prendront langue auprès de vous. Avez-vous eu le temps de parcourir le mémoire sur l'attraction capillaire de M. Sarthou ? Veuillez-une fois m'en dire votre avis. Adieu Monsieur et très honoré collègue. J'espère que mes lettres vous parviennent franches sous le couvert de S[on] E[xcellence] sans quoi je me ferai grand scrupule de vous écrire si souvent. Agréez tout mon dévouement et veuillez ne pas m'oublier auprès de votre digne compagnon de voyage. M. A. Pictet
Please cite as “L881,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L881