To Marc-Auguste Pictet   28 août 1812

28 août 1812
Monsieur et respectable ami,

Le regret que j'avais eu de manquer d'un jour votre passage à Lyon au mois de mai dernier, où j'espérais vous voir, celui que j'ai eu de ne pouvoir passer à Genève dans cette tournée, étaient un peu adoucis par l'espoir de vous voir incessamment à Paris. Mais je viens d'apprendre que vous demeurerez à Genève quelque temps. J'en profite pour vous écrire, et d'abord j'ai à vous prier tant à mon nom qu'au nom de M. de Mussy 1, qui m'a chargé de mille choses pour vous, de vous suppléer dans une chose que nous n'avons pu faire par l'impossibilité de passer à Genève. Deux ou trois bourses ou demi-bourses fondées par cette ville au Lycée de Grenoble sont actuellement vacantes. Auriez-vous la bonté de nous indiquer sur un tableau semblable à ceux que nous avons coutume de faire pour cela, mais en petit pour la facilité de l'envoi, et que nous ferons recopier ici, des élèves nés à Genève pour remplir ces places, soit d'après un concours s'il y a des concurrents, soit d'après ce que vous jugerez de plus convenable. Nous les présenterons à la nomination du grand-maître le plus tôt possible, car nous n'avons déjà que trop tardé. Je n'ai rien trouvé de nouveau à mon retour de fait dans les sciences, à l'exception du beau mémoire de M. Poisson sur la manière dont le fluide électrique se répand sur la surface des corps 2. Les chimistes ici ne font plus rien, et cela me fâche beaucoup 3 ; je serais charmé qu'il n'en fût pas de même à Genève. M. De la Rive ne devrait-il pas songer un peu plus qu'il ne fait au progrès de cette science 4 ?

Je vous prie, Monsieur et très honorable ami, de me présenter mes hommages à Messieurs vos frères, et à Messieurs Boissier 5, Prevost et Peschier et d'agréer pour vous-même celui de tous les sentiments qu'inspirent la réunion de la science et du plus noble caractère. Honoré de votre amitié, je puis dire que celle que je vous ai vouée pour la vie m'en rend digne. Je vous prie d'en recevoir l'assurance avec la bonté que vous m'avez toujours témoignée.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Ampère

à Monsieur Pictet, conseiller et inspecteur général de l'Université Impériale à Genève , Léman
(1) Philibert Guéneau de Mussy (1776-1834), polytechnicien, ami de Fontanes, d'abord critique au Mercure de France et au Journal des Débats. Depuis 1808, il est inspecteur général et conseiller ordinaire de l'Université impériale. II demeurera en place sous la Restauration.
(2) Ce mémoire Sur la distribution de l'électricité à la surface des corps conducteurs avait été lu devant l'Institut le 9 mars 1812. Il devait valoir à Poisson de devenir membre de l'Institut.
(3) À cette époque, Ampère était lui-même considéré comme un chimiste, et comme un mathématicien.
(4) Titulaire de la chaire honoraire de chimie pharmaceutique à l'Académie, ou École de médecine, de Genève, Gaspard De la Rive (1770-1834) se contentait pour l'essentiel de suivre l'actualité chimique, et particulièrement électrochimique, comme en témoignent ses Quelques observations sur le passage du fluide électrique au travers de l'eau et ses Observations sur l'acide muriatique et l'acide oxymuriatique, présentées à la Société de Physique et d'Histoire naturelle - en abrégé SPHN - les 4 mai 1809 et 19 avril 1811. Ces travaux demeureront inédits.
(5) Ampère a écrit : Boissières.

Please cite as “L887,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L887