Quand je vous ai écrit au sujet de la réclamation de M. Dulong c'était bien pour que vous publiassiez ma lettre dans la Bibliothèque Britannique ; si vous l'en jugiez digne. C'est ce dont je vous prie plus particulièrement aujourd'hui après en avoir conféré avec ce jeune chimiste dont les talents et le funeste accident 1 ne peuvent qu'inspirer le plus vif intérêt à tous ceux qui aiment la science qu'il cultive avec des succès si distingués.
Il pense avec raison que ce n'est pas l'heureux hasard qui lui a offert la nouvelle substance dont il est question qu'on doit regarder comme une découverte, mais bien la détermination de sa nature et des éléments dont elle est composée. Ce n'est en effet ni lui ni l'élève de Cambridge qui l'ont vue les premiers, c'est M. Vauquelin 2. Ce célèbre chimiste l'a obtenue il y a près de dix [ans] dans le laboratoire de M. de Fourcroy, en broyant ensemble de l'ammoniaque et ce qu'on appelle en France acide muriatique oxygéné , amenés tous deux à l'état solide par un froid artificiel très intense. Ils se liquéfièrent par leur action mutuelle, et l'azote oximuriaté se forma et se rassembla au fond du vase ; M. Vauquelin le sépara du liquide surnageant, mais il s'évapora si promptement qu'on ne put l'examiner. M. Davy, d'après la lettre du docteur Marcet 3, ne s'est occupé de cette substance qu'après en avoir reçu des nouvelles de France, c'est-à-dire par ma lettre que j'avais communiquée à son ami M. Underwood 4 que j'ai l'avantage de connaître particulièrement. Cette lettre expliquait la nature ainsi que la composition de l'azote oxymuriaté telle que M. Dulong l'avait déterminée en le faisant agir sur de la limaille de cuivre dans un vase plein d'eau distillée et garni d'un tube qui conduisait sous une cloche le gaz azote qui se dégageait à mesure qu'il se formait du muriate de cuivre. Il me semble donc que cette partie de la découverte que réclame spécialement M. Dulong lui appartient incontestablement.
Vous savez, mon cher et excellent collègue, que je quittai Paris peu de temps après que vous y fussiez arrivé ; j'avais été une fois pour vous voir, mais ce fut sans succès et je fus obligé de partir sans pouvoir y retourner. A peine de retour, je m'empressai d'aller à votre hôtel de la rue des Petits Augustins, mais vous n'étiez déjà plus à Paris. Ce fut un grand chagrin pour moi ; j'espère que [je] n'éprouverai pas cette année le mê[me] contretemps. Mais le sais-je moi-même ? J'avoue que si les mêmes affaires qui m'ont forcé d'aller à Lyon l'année dernière m'obligeaient d'y retourner pendant que vous seriez à Paris, je ne saurais m'en consoler. Je regretterai toujours que la distance qui nous sépare me prive du plaisir et des avantages inappréciables pour le cœur et l'esprit que je trouverai dans l'amitié que vous avez la bonté de me témoigner, en retour de celle que je vous ai vouée pour la vie.
Je vous prie d'en agréer l'hommage, et celui de mon entier et bien sincère dévouement. A. Ampère
Please cite as “L889,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L889