To Marc-Auguste Pictet   11 décembre 1814

Paris 11 décembre 1814
Mon cher collègue et très honorable ami,

En vous témoignant toute ma reconnaissance de l'intérêt que vous avez mis à me voir admis parmi les membres de la savante réunion des hommes les plus distingués de votre ville, cette noble pépinière de personnes dévouées aux sciences qui éclairent l'intelligence et aux sentiments qui élèvent l'âme, je vous prierai d'en offrir aux membres que vous connaissez plus particulièrement l'expression de ma gratitude, et de tous les sentiments qu'un choix si honorable pour moi doit m'inspirer. J'écris par le même courrier à Monsieur Prevost, votre président, pour qu'il soit auprès de la Société qui m'a fait l'honneur de m'admettre dans son sein l'interprète de ces sentiments. Je me reproche vivement de ne l'avoir pas fait plus tôt, mais je n'ai reçu mon diplôme que depuis peu de jours, et ma nomination à l'Institut 1 en remplacement de M. Bossut 2 me prescrivant des devoirs qui se trouvaient en concurrence avec mille autres occupations, ne me laissait pas un instant dont je pusse disposer.

Celui qui m'a remis le diplôme 3 m'a dit qu'il aurait probablement une occasion prompte et sûre pour vous faire passer un petit flacon d'iode. Il m'a promis de me donner une réponse à ce sujet, mais je n'en ai point eu de nouvelles depuis 4 ; j'attendrai encore quelques jours ; si son silence continue j'emploierai la voie que vous m'indiquez pour vous l'envoyer, pourvu que M. Marignié puisse se procurer une bonne occasion. Je n'ai comme vous, cher et excellent ami, aucune donnée sur ce qu'il conviendrait que vous fissiez relativement au projet d'un petit voyage à Paris, et je craindrais que l'envie de vous voir et de vous embrasser ne me portât à vous donner un conseil indiscret.

Je ne m'étonne pas que M. Capelle conserve avec délices le souvenir du temps qu'il a passé parmi vous, puisque j'éprouve ce sentiment avec tant de vivacité moi qui n'ai pu jouir que quelques jours de la société de mes nouve[aux] collègues.

M. Degérando me parle souvent de vous ; c'est un grand bonheur pour moi de pouvoir cultiver son amitié, et de ne pas être du moins à cent lieues de tous ceux avec qui je voudrais passer ma vie. Recevez, cher et excellent ami, l'hommage de mon entier dévouement et de mon éternel attachement. Je vous embrasse de toute mon âme. A. Ampère

à Monsieur Pictet, inspecteur de l'Université Royale de France, à Genève
(1) Ampère a été élu membre de l'Institut, section de géométrie, le 28 novembre 1814.
(2) Le mathématicien Charles Bossut (1730-1814) était mort le 14 janvier. Membre de la section de mathématiques depuis 1795, il était déjà pensionnaire de l'Académie sous l'Ancien Régime.
(3) Il s'agit de Louis-André Gosse (1791-1873), fils du pharmacien genevois Henri-Albert Gosse. Il étudiait alors la médecine à Paris.
(4) Gosse fils était momentanément alité : l'iode parviendra à Pictet fin janvier (voir la lettre de Henri-Albert Gosse du 21 janv. 1815, au tome I).

Please cite as “L895,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 18 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L895