To Marc-Auguste Pictet   31 mai 1816

Paris, 31 mai 1816
Mon cher collègue et excellent ami,

J'aurais dû vous écrire plus tôt pour vous témoigner toute ma reconnaissance de l'entier succès des démarches que vous avez eu la bonté de faire auprès de Monsieur le docteur de Carro, pour me procurer les échantillons de minerais que vous savez. Ils sont arrivés, mes désirs sont parfaitement remplis à cet égard, et grâce à la bonté que M. l'abbé de Kinsenger a eue de me les apporter à la prière de M. le docteur de Carro ils ne m'ont coûté que les frais d'achat à Vienne, qui sont à peu près couverts par l'or qui s'y trouve. J'en ai acquitté le prix de la manière la plus commode au moyen d'une lettre de change qui m'a été présentée par M. B. Delessert et que j'ai payée de suite. Me voilà possesseur pour le moins de frais possible de l'objet de chimie que je désirais le plus. Je n'en dis rien pour que d'autres ne se hâtent de faire des recherches sur le même sujet avant que les miennes soient achevées. J'ai écrit à M. le docteur de Carro pour le remercier. L'envoi était accompagné d'une lettre de M. de Jacquin fils 1, pleine de bons renseignements sur la manière d'opérer ; je suis infiniment reconnaissant de cette lettre, et si je n'y ai pas encore répondu pour l'en remercier ainsi que de la peine qu'il a bien voulu se donner pour me procurer ces morceaux de minerais, c'est qu'il m'invite à le tenir au courant de mes expériences, et que j'espère avoir dans quelques jours des résultats à lui écrire par la même occasion.

Il ne me reste, Monsieur et excellent ami, qu'à vous exprimer ma reconnaissance de ce service auquel j'attache le plus grand prix, et le désir que j'aurais de vous en porter l'hommage de vive voix, mais je vois avec chagrin que je ne dois guère espérer de vous voir de longtemps à moins que vous n'eussiez l'occasion de faire un petit voyage à Paris, où beaucoup de personnes se feraient un plaisir de vous voir. Je suis un de ceux qui le désirerait, et qui regrette plus vivement nos anciennes conversations. Je serais bien heureux de vous aller voir, mais cela n'est pas possible à présent de longtemps. Si vous voyez M. Prevost je vous prie de lui présenter mes hommages ; je me fais un grand reproche de ne lui avoir pas envoyé dans le temps une réponse que j'avais faite en grande partie à une lettre où il m'avait proposé plusieurs questions. Elle était presque achevée quand les découvertes de M. Fresnel, que vous trouverez dans le cahier de mars des Annales de Physique et de Chimie qui vient de paraître, m'ayant fait changer d'opinion sur plusieurs points, ma lettre est devenue en opposition avec ma manière de voir actuelle, qui se rapproche beaucoup plus de celle de M. Prevost. C'est une chose à refaire qui suppose quelques méditations auxquelles je n'ai pas le temps de me livrer parce que tous mes moments sont pris par la rédaction d'un mémoire qui doit paraître dans les mêmes Annales, et dont le commencement y a même déjà paru 2. Il s'agit de l'achever à temps pour que la fin soit imprimée avant une tournée que je vais faire bientôt dans les académies de Bordeaux, Toulouse, Limoges et Cahors. Daignez donc vous charger, excellent ami, de mes excuses pour M. Prevost.

Recevez je vous prie l'assurance de la plus tendre amitié et du plus entier dévouement. Je suis, Monsieur et bien cher collègue, votre très humble et très obéissant serviteur, A. Ampère

à Monsieur le professeur Pictet de l'Académie de Genève et de l'Institut Royal de France, rue des belles femmes, à Genève
(1) Le médecin et naturaliste Joseph-François de Jacquin (1766-1839), fils du botaniste Nicolas-Joseph de Jacquin(1727-1817), lui succéda en 1802 comme professeur de botanique et de chimie à l'Université de Vienne. Il travailla notamment à une pharmacopée autrichienne.
(2) Il s'agit de l'Essai d'une classification naturelle pour les corps simples, publié in Annales de Chimie et de Physique t 1 et 2 (1816).

Please cite as “L898,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 8 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L898