From Claude-Julien Bredin   23 janvier 1812

[24] 23 janv[ier] 1812

Tu m'as enfin écris, je t'en remercie. Mon ami, je souffre beaucoup. Des cris douloureux, les cris de mon Agathe, de ton Agathe, me déchirent le cœur 1. Des douleurs si vives et si aiguës ; depuis quatre jours, des coliques rebelles à tous les moyens de la médecine. C'est un ange que mon Agathe. Si tu voyais avec quelle douceur, avec quelle patience elle souffre ! Oh, quelle terrible voix que celle d'un enfant souffrant ainsi !

Oh, comme tout est chaos ! Il faut payer toutes les jouissances avec des larmes. Des larmes ! Oh, que j'étais heureux quand je versais de véritables larmes ! Mais, à cette heure, mon cœur est desséché. Il est brûlé, brûlant.

Mon ami, des coliques si longues ; et que deviendront-elles ! Oh, mon Dieu ! Cependant, mon enfant est à Dieu bien plus qu'à moi. S'il faut[25] la remettre entre les mains du Père qui l'avait confiée à mes soins, je sais bien que ma chère petite sera heureuse, j'en ai la plus vive espérance, la foi la plus entière. Mais, mon ami, cette idée m'accable cependant. [illeg]

24 janvier - Hier au soir, les cris de mon enfant m'ont forcé à quitter cette lettre. Mon ami, voilà le cinquième jour. Ce matin, j'ai enfin pu verser des larmes. Que de bien cela m'a fait !

Agathe m'a réveillé par ses cris. Cette pauvre petite priait en même temps ; elle disait : Mon Dieu, donne-moi patience ! Mon Dieu, fais que je t'aime toujours plus ! et elle étouffait tant qu'elle pouvait les cris que lui arrachait la violence du mal. Elle aurait voulu ne pas me réveiller. J'étais déjà éveillé ; mais je n'avais pas encore parlé ; je pleurais et je priais. Pauline priait et pleurait aussi. Méla étouffait ses sanglots.

Agathe m'a parlé de son parrain. Elle disait : S'il était ici, il serait bien fâché aussi de me voir souffrir !... Cette bonne petite avale les dragées les plus amères sans hésiter. Il lui en coûte cependant beaucoup [26] mais que ne ferait-elle pas pour nous faire plaisir ?

Mon papa me charge de te prier de remettre 200 francs à sa sœur qui ira les chercher chez toi. [illeg] Ma tante se nomme Mme Perdrix ; elle demeure à Chantilly. C'est une femme d'environ soixante-douze ans, qui ressemble à papa.

Mais les cris de mon Agathe !

Adieu cher ami, je t'aime de toute mon âme tu le sais C-J Bredin

(1) L'enfant avait quatre ans. Elle eut dans son enfance une maladie dont elle ne se remit jamais complètement.

Please cite as “L907,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L907