To Gaspard de La Rive   15 mai 1821

[64] Paris, 15 mai 1821
Monsieur,

Monsieur Maurice ayant eu la bonté de vous communiquer une lettre de son père où ce dernier demande à son fils divers renseignements sur des choses qui me concernent, je profite du premier moment de liberté pour vous les adresser, bien plus tard que je ne l'aurais désiré, mais, malade et surchargé d'occupations, j'ai été dans une impossibilité absolue de le faire plus tôt. Je dois commencer, Monsieur, par vous faire tous mes remerciements ainsi qu'à vos savants collaborateurs dans la rédaction de la Bibliothèque universelle, de ce que vous avez bien voulu y donner une place à mes deux dernières notes sur les nouvelles propriétés que j'ai observées dans les conducteurs voltaïques.

J'ai d'abord à vous parler des exemplaires séparés pour lesquels je vous avais écrit dans le temps. C'était surtout de la première note que je désirais en avoir, l'autre n'en aurait été qu'une sorte[65] de résumé qui se plaçait naturellement à la suite. La nécessité de suivre la pagination ne rendrait pas facile l'arrangement des n° des pages de cette suite, et si je me décide à faire imprimer ici la première note, ce ne sera rien que de l'y ajouter. C'est pourquoi en vous remerciant aussi de votre complaisance à cet égard si ma lettre était arrivée à temps, j'ai dit à monsieur Maurice de vous écrire que je n'en profiterais pas pour ce dernier article.

Mais si vous admettiez à l'avenir dans votre excellent journal quelques autres pièces de ma façon, je vous prierais d'avance d'en faire tirer quatre cents exemplaires à mon compte, parce que c'est le nombre d'exemplaire que j'ai du commencement du recueil que ces morceaux seraient destinés à compléter. Voilà pour le nombre. Quant à la forme c'est comme suite du modèle que je vous ai envoyé. Je pense que ce [66] modèle en dit plus que tous les détails où je pourrais entrer dans cette lettre. Ce modèle est un des articles du recueil, les autres doivent donc lui être aussi semblables que possible. Les n° des pages de même dans le milieu de leur partie supérieure entre deux parenthèses, les titres sans filets ni vignettes, semblables au titre du modèle, qui est comme vous l'avez pu voir : Lettre à M. Berthollet sur l'état magnétique &c.

On voit dans ce titre les sortes de mots qui sont en petites capitales, en italiques, en lettres romaines, &c. Dans le cas où vous me rendriez ce service à l'avenir, vous me feriez passer avec les 400 exemplaires la note de ce que je devrais pour arrangement de titre et de pagination, papier, tirage, &c. J'en remettrai le montant à qui vous m'indiqueriez.

J'en viens à un autre article de votre [67] lettre, relatif à celle que j'ai reçue de l'illustre H. Davy ; afin que vous puisiez mieux juger, Monsieur, de ce dont il est question, je joins ici une copie de cette dernière Vous y verrez qu'il n'y a pas de détails suffisants sur les deux points qui lui paraissent présenter quelques difficultés relativement à ma théorie. Mais, autant que j'ai pu en juger, ils se réduisent à ce que des corps très mauvais conducteurs de l'électricité peuvent acquérir les propriétés des fils métalliques quand on les met de même en communication avec les deux extrémités d'une pile voltaïque ; j'ai [essayé] de produire cet effet dans des baguettes de verre, de bois, &c. avec ma pile de douze plaques de zinc d'un pied carré, je n'ai eu aucune sorte d'effets produits. Ce qui me fait penser que M. Davy n'en a obtenu qu'avec une très forte pile, composée d'un grand nombre de plaques, et où [68] la tension était telle que le courant électrique s'établissait malgré le faible degré de conductibilité de la substance sur laquelle il opérait, car il n'y a point de non conductibilité absolue, et je me suis assuré par beaucoup d'expérience que tel conducteur qui ne laisse pas passer le courant quand il n'y a qu'une plaque de zinc et une de cuivre, le conduisait très bien quand il y avait un nombre suffisant de paires pour que la tension électrique surmontât les obstacles qu'opposait ce conducteur à la tension d'une seule paire. J'ai fait ces expériences avec des conducteurs métalliques qui se touchaient par des surfaces oxydées, une seule paire donnait un courant très intense quand les mêmes surfaces étaient bien décapées. Il serait bien à désirer qu'on sût quelles substances peu conductrices M. Davy a employées. Je lui ai communiqué mon désir à ce sujet, et j'attends de nouveaux éclaircissements. de forts courants électriques à travers l'air n'agissent ni les uns sur les autres, [69] ni ne sont influencés par un aimant, ni ne tendent à changer la direction de l'aiguille aimantée. Pour que ces observations cessent de faire une objection contre ma théorie, il suffit que la série de décomposition et de recomposition du fluide formé par la réunion des deux électricités dont on regarde les courants électriques comme composés[ne] se fasse que par les décharges successives à travers l'air, et non d'une manière continue comme dans un fil conjonctif, parce que l'air est le plus mauvais de tous les mauvais conducteurs.

M. Davy dit à la vérité que le courant par l'air, dans lequel il n'a observé aucune action attractive ou répulsive, était très intense, mais puisqu'il n'exerçait aucune action de ce genre on ne pouvait juger de son intensité que par la vive lumière qu'il produisait, mais on sait précisément qu'à mesure qu'un [70] corps est moins bon conducteur et laisse moins passer d'électricité, il devient plus lumineux. La lumière est produite par des décharges électriques successives, les attractions et répulsions des courants électriques par des courants continus, où il passe bien plus d'électricité sans comparaison dans un même temps.

Avec une pile encore beaucoup plus forte, telle peut-être que nous n'en pourrons faire, le courant électrique continu pourrait peut-être s'établir à travers l'air, et alors il pourrait, s'il avait une extrême intensité, agir sur un aimant, conformément à l'ingénieuse idée proposée par M. Arago pour expliquer les aurores boréales. Mais aussi quel appareil électro-moteur que le gobe terrestre et l'atmosphère ?

Il me paraît qu'on peut en général assimiler le courant lumineux à travers l'air, produit par une pile voltaïque, à celui qu'on [71] produit entre deux conducteurs très rapprochés, qui communiquent l'un au côté positif et l'autre au côté négatif d'une machine de Nairne ou même à celui d'un conducteur continu communiquant aux deux côtés de cette machine. Parce que l'électricité excitée par le frottement du verre ne l'est probablement pas d'une manière continue mais par décharges successives, à mesure que les petites aspérités du verre rencontrent celles du coussin. On n'a pas fait une objection contre l'identité établie par Volta, entre le galvanisme et l'électricité, de ce que le courant de la machine de Nairne n'agit pas sur l'aiguille aimantée, comme le fait le courant galvanique, pourquoi en ferait-on une contre l'identité du magnétisme et de l'électricité que j'ai établie sur des preuves de [72] même nature (voyez les conclusions de mon mémoire des 18 et 25 septembre 1820), de ce que le courant que M. Davy excite à travers l'air, au moyen de la pile voltaïque, et qu'on doit aussi considérer comme une suite de décharges électriques, n'agit pas non plus sur les courants électriques d'une aiguille aimantée ou sur d'autres courants.

Je vous laisse à juger, Monsieur, si ces nouvelles observations de l'illustre physicien anglais et les remarques que je viens de vous présenter, et qui se trouvent en substance dans la réponse que j'ai faite à cet illustre ami, car ses bontés pour moi semblent m'autoriser à m'honorer de ce titre, peuvent vous fournir des matériaux pour un article de votre journal, dans ce cas vous pouvez en faire l'usage que vous voudrez, et je serais charmé qu'elles vous semblassent présenter assez d'intérêt pour cela, ce serait [73] [illisible].

Je joins ici la copie d'une lettre que j'ai écrite à M. Erman, secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Berlin, parce que je pense qu'elle pourrait aussi intéresser les lecteurs de votre excellent journal, dans le cas où vous désiriez qu'elle y parût, vous verriez si ce serait à peu près en totalité ou avec les coupures que vous jugeriez convenables pour abréger, je vous l'abandonne entièrement, pour en mettre le tout ou une partie ou un simple extrait. Dans ce cas, je serais bien aise d'en avoir à mon compte les 400 exemplaires pour mon recueil, mais alors vous me feriez un grand plaisir de m'en prévenir pour que je vous donnasse la nouvelle pagination qu'exigeraient [74] les morceaux que d'ici là je me propose d'y joindre, et auxquels je vais donner les n° des pages qui suivent immédiatement ceux de la lettre de M. Berzelius à M. Berthollet, et de ma réponse à M. Arago. Si vous donniez quelque chose dans la Bibliothèque universelle sur les observations de M. Davy, et sur ce que je viens de vous écrire à ce sujet, je vous prierais également d'en faire tirer de même 400 exemplaires pour mon recueil.

Je vous serais infiniment obligé de me rappeler au souvenir de M.M. Prevost et Pictet, pour lesquels je conserverai toute ma vie les sentiments d'une amitié égale à la haute estime qu'ils inspirent à tous ceux qui s'intéressent aux progrès des sciences. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Ampère.

Please cite as “L952,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L952