To Gaspard de La Rive   s. d.

s. d.

1 [illeg] [50] joindre à mon recueil, et qui porteraient à la première page le n° 251, car vous avez pu voir que dans l'état actuel de ce recueil la dernière page porte le n° 250, or le morceau qui doit venir après cette lettre est composé à Paris. L'imprimeur voudrait bien le tirer pour pouvoir se servir de ses caractères, mais il ne peut le faire que quand je lui aurai écrit le n° qu'il doit mettre à la première page, et il faut pour cela que je puisse savoir jusqu'à quel numéro ira le morceau extrait de la Bibliothèque universelle. Si ce morceau est déjà composé, il vous serait bien facile de voir quel sera le numéro de sa dernière page en supposant qu'elle commence au n° 251. Si vous aviez l'extrême bonté de me l'écrire à l'adresse suivante : [51] à M. Bredin, directeur de l’École royale vétérinaire, pour remettre à s['il] l[ui] p[laît] à M. Ampère, à l'école vétérinaire à Lyon.

Ce sera un vrai service que vous me rendrez de me donner cette indication de n° pour mes pages à tirer à Paris. Je vous en remercie d'avance, mais avant de finir cette lettre je crois devoir revenir sur une circonstance de l'action qui a lieu entre la Terre et une portion mobile de circuit voltaïque ; c'est que la distance des divers points de ce circuit entre eux est si petite relativement à leurs distances aux courants électriques de notre globe, qu'on peut le considérer comme un circuit infiniment petit relativement à cette distance, d'où il suit que quand il est composé de deux parties symétriques sur lesquelles la Terre agit en sens contraire il n'en peut résulter aucune action quand même une de ces [52] deux parties est plus éloignée des courants terrestres de la distance qui se trouve entre elles. Ce n'est que quand les deux actions que la Terre exerce sur ces mêmes parties tendent à mouvoir le circuit dans le même sens qu'il est mû effectivement.

On ne doit faire entrer la considération de la plus grande et de la moindre distance que quand la différence de deux distances est de même ordre de grandeur que ces distances elles-mêmes. Par exemple, quand on considère l'action du courant terrestre situé dans l'équateur magnétique ABCD de la Terre, soit sur un circuit mobile, soit sur un aimant, et que l'on prend sur ce courant [diag] deux proportions égales, l'une au point A ou il rencontre du côté du midi le méridien magnétique ALPC du lieu L où se fait l'observation, et [53] l'autre au point C, où il rencontre le même méridien du côté du nord du point L, au-delà du pôle magnétique P, il est évident que les actions exercées par ces deux portions seront inégales, parce que la distance LC est bien plus grande que LA, ce sera donc la portion située en A dont l'action sera prépondérante et déterminera le mouvement d'un conducteur mobile soumis à l'action de la Terre au point L, où nous supposons que se fait l'expérience.

La portion du courant de l'équateur magnétique située en A est au-dessous de l'horizon LH du lieu L de l'observation, d'un angle ALH égal à la moitié de la latitude magnétique dont dépend l'inclinaison de l'aiguille d'après une formule [54] connue de tous les physiciens, et qui peut être déduite de ma théorie. Soit xgahy le circuit mobile presque fermé sur lequel agit la Terre [diag], qui ne peut que tourner autour de la verticale mm', et que je suppose parcouru dans cette direction par le courant d'une pile voltaïque. Si le courant terrestre était en H dans l'horizontale LH allant de l'est à l'ouest, c'est-à-dire de l'espace antérieur au plan de la figure à l'espace postérieur, il est clair qu'il n'aurait aucune action pour mouvoir le conducteur mobile, parce que, d'après les lois que j'ai établies, cette action tendrait à faire tourner de l'est à l'ouest en passant par le midi hm et h'm', tandis qu'il tendrait[55] à faire tourner en sens contraire mh' et m'h, ce qui donnerait 4 moments égaux, deux dans un sens et deux dans l'autre. Pour s'en assurer il suffit de voir que dans tout le demi-cercle hmh' le courant du conducteur va en s'éloignant de la portion du courant terrestre que l'on considère en A, et qu'il va en s'en approchant dans tout le demi-cercle h'm'h, en sorte que les forces parallèles à la portion du courant terrestre que l'on considère, tendent à porter tout le demi-cercle hmh' à l'ouest, et l'autre à l'ouest, mais que les deux quarts de cercle de chacun d'eux tendent à tourner en sens contraire autour de la verticale mm', parce que les bras de levier changent de signe d'un quart de cercle [56] à l'autre.

Concevons maintenant la portion du courant terrestre que l'on considère située en A au-dessous de l'horizon, comme elle l'est réellement, et toujours dans la même direction. Alors l'action pour faire tourner le circuit mobile, de l'est à l'ouest, en passant par le midi, aura lieu, d'après les mêmes lois, sur les deux arcs ahm, a'h'm', plus grands qu'un quart de cercle, et l'action en sens contraire sur les arcs ma', m'a, qui sont plus petits qu'un quart de cercle, la première action sera donc prépondérante, et le conducteur mobile tournera de l'est à l'ouest en passant par le midi comme on l'observe en effet, et il ne pourra s'arrêter en équilibre stable que quand la partie m'ahm, où le courant est ascendant, se sera portée à l'ouest, et la partie ma'h'm', où il est descendant à l'est, tout cela est entièrement conforme à l'expérience. Le maximum d'action aurait [57] évidement[lieu] si les arcs ahm, a'h'm' devenaient égaux à une demi circonférence et les arcs ma', m'a, mh, c'est-à-dire si la portion de l'équateur magnétique la plus voisine de l'endroit où se fait l'expérience se trouvait en A' dans le prolongement de la verticale mm', c'est ce qui aurait lieu si on la faisait dans un point de la terre situé dans le plan de cet équateur, c'est là aussi que la force directrice est la plus grande.

Prenons maintenant à partir du point m', l'arc m'a'' égal à m'a, l'action sur ces deux axes donnant des moments de signes contraires qui ne peuvent pas beaucoup différer l'un de l'autre, on ne changera rien au mouvement produit dans le conducteur en en supprimant ces deux arcs et en les remplaçant par du mercure, pour conserver les [58] communications ; c'est précisément ce que vous avez fait dans votre ingénieuse expérience, dont le résultat a prouvé que, conformément à ma théorie, le mouvement avait toujours lieu dans le même sens. Cette expérience qui pouvait ainsi en être déduite d'avance, en est donc une confirmation très précieuse pour moi, bien loin de pouvoir fournir la matière d'une objection.

J'aurai toujours beaucoup de regret que M. Arago n'ait pas jugé à propos d'imprimer dans ses Annales le mémoire que j'avais lu à l'Académie des sciences le 26 décembre 1820. Il y avait un passage qui aurait prévenu l'opposition apparente qui s'est montrée entre ma théorie et votre expérience, en montrant qu'on ne devait point faire entrer dans l'explication de l'action terrestre, soit sur [59] un conducteur mobile soit sur un aimant, la différence des distances de ces courants aux divers points de l'aimant ou du conducteur, ce qu'au reste je n'ai jamais fait, heureusement pour moi. Dans la notice insérée au commencement de 1821, dans le tome 5 du Journal des Mines. M. Gillet de Laumont en rendant compte de ce mémoire en a extrait le passage suivant, que vous trouverez dans mon recueil, où cette notice est consignée, depuis la ligne 27 de la page 88 jusqu'à la ligne 8 de la page 89 :

D'où il suit que l'action d'un circuit fermé infiniment petit serait nulle, par la compensation qui aurait toujours lieu entre l'attraction exercée par une de ses moitiés et la répulsion exercée par l'autre, sur un point situé à une distance finie ; mais les forces égales dues à l'action de ce point sur les deux moitiés [60] du circuit, n'en tendraient pas moins à placer celui-ci dans une direction déterminée qu'elles conspirent à lui donner. Les courants électriques d'un aimant devant être considérés comme des circuits infiniment petits relativement à leurs distances aux courants terrestres, sont ainsi amenés, par l'action de ces derniers, dans une direction déterminée, sans qu'il en résulte aucune force tendant à les transporter dans l'espace, ce qui est conforme à l'expérience.

Ce que je disais d'un aimant dans ce passage devait bien évidemment s'entendre de tout courant voltaïque formant un circuit presque fermé dont les dimensions doivent aussi être considérées comme infiniment petites, relativement aux distances auxquelles ils se trouvent des courants terrestres.

C'est un vrai malheur pour moi que mes idées se trouvent dispersées çà et là dans des écrits périodiques où l'on ne va pas les chercher, c'est [61] à cet inconvénient que j'ai déjà taché de remédier en formant le recueil que vous a remis M. Pictet, mais que de choses y manquent encore ! On y trouve par exemple la lettre à M. van Beek, où l'on lit aux pages 171 et 172, mon opinion sur l'existence de compositions et de décompositions électriques formant des courants autour des particules de tous les corps, mais la rapidité avec laquelle j'écrivais cette lettre et la crainte de la rendre encore plus longue m'ont empêché de dire en cet endroit que de là devait nécessairement résulter des attractions et des répulsions entre ces particules dépendantes de la situation respective de leurs faces et de leurs angles, en sorte que telles faces doivent s'attirer en vertu de ces courants, telles autres se repousser, et que les attractions doivent se changer en répulsions lorsqu'on [62] retourne une des particules, ce qui me paraît fournir la seule explication exempte de difficultés qu'on puisse donner dans l'état actuel de la physique, des phénomènes de cristallisation.

Quand j'ai commencé cette lettre je ne savais pas que j'écrirais l'explication que vous venez de lire au sujet de l'action des courants terrestres sur un conducteur mobile, à cette heure qu'elle est écrite je me trouve avoir rédigé un morceau qui aurait peut-être dû faire partie du mémoire sur tous les phénomènes électrodynamiques dus à l'action du globe. Comme il est un de ceux qui peuvent présenter quelque intérêt, par sa liaison avec votre belle expérience, voyez s'il mériterait de trouver place dans la Bibliothèque universelle, soit à la suite de ma précédente lettre, s'il n'est pas trop tard pour cela, soit dans le cahier [63] suivant. J'avoue que j'en serais très flatté et que j'y verrais avec plaisir consigner la manière dont j'ai conçu l'action des courants terrestres sur un circuit voltaïque et l'observation que je viens d'y joindre relativement à la cristallisation, puisque je n'ai point eu le temps de publier encore cette partie de mes idées sur tout ce qui est relatif aux courants électriques.

J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que m'ont inspirés la reconnaissance que vous doivent, pour tant d'excellents travaux, tous ceux qui cultivent les sciences physiques, et celle que je dois en mon particulier à la bienveillance que vous m'avez toujours témoignée, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Inscrit dans la marge de la première page, de la main d'Ampère : Extrait de ma dernière lettre à M. de La Rive

Please cite as “L953,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L953