Je ne puis assez vous témoigner toute ma reconnaissance des bontés dont vous avez bien voulu me combler pendant votre séjour à Genève et de l'intérêt que vous voulez bien continuer à me porter, comme me le prouve la lettre aussi aimable qu'intéressante que vous m'avez adressée il y a un mois. Voici actuellement le seul moment que j'aie de libre depuis que je l'ai reçue et je me hâte de l'employer à vous répondre. Les cours de droit qui ont recommencé, diverses affaires que j'avais à remplir dans une Société de Droit et de Législation formée à Genève depuis peu, et les études relatives aux mathématiques avaient absorbé tout mon temps. J'espère que les exemplaires de votre lettre vous sont parvenus depuis longtemps ; il paraît qu'on les avait cru partis depuis longtemps et que l'emballeur les avait égarés ; je vous demande mille pardons de ce retard qui, dans les occasions semblables, ne se renouvellera jamais, j'espère.
Permettez-moi, Monsieur, de vous remercier de l'honneur que vous avez bien voulu faire à mon pauvre petit mémoire, en encourageant M. G[ay] L[ussac] à le mettre dans les Annales de Chimie, journal si recommandable par l'intérêt et le choix des morceaux qu'il contient. Je sens, je vous assure, tout le prix d'une pareille faveur et j'aurais voulu la mériter davantage. La bonté que vous avez eu de faire les corrections nécessaires a été aussi bien précieuse pour moi ; telles sont d'abord celles relatives aux fautes typographiques et de figures ; l'on s'était trompé grossièrement dans la planche pour ce qui est relatif aux lignes horizontales vues en perspective. Malheureusement l'erreur fut aperçue trop tard pour être corrigée. L'erreur la plus importante est celle que j'avais faite en disant que l'action des deux petites portions de courant situées sur la même ligne droite était nulle ; cette erreur était provenue de l'idée qui m'était restée que k ou m/r était 0, mais d'ailleurs sentant mon hésitation j'avais dans une note renvoyé les lecteurs à vos mémoires ; j'aurais dû, je le sens, ne rien dire plutôt que dire cet à-peu-près. Mais heureusement, vous l'avez corrigé dans l'impression qui s'est faite dans les Annales de Chimie et les lecteurs de la Bibl[iothèque] Univ[erselle] trouveront dans votre lettre l'errata qui leur est nécessaire. Quand à la substitution des mots positif et négatif [84] aux mots zinc et cuivre quand il s'agit des pôles de la pile, elle m'est assez indifférente. Je remarquerai cependant que M. Faraday en employant les mots zinc et cuivre dans un sens différent au premier coup d'œil ne l'a pas fait en effet, car dans toutes les expériences électrodynamiques, il s'est servi du calorimoteur de Hare, lequel n'est autre chose qu'une pile à un seul élément dont les surfaces cuivre et zinc sont d'une grande étendue, pile dans laquelle le courant est toujours dirigé en sens inverse de celui de la pile à plusieurs éléments. M. F. a eu d'ailleurs très tort d'appeler pôles dans ce cas les extrémités cuivre et zinc, qui n'ont aucune tension et dont l'union peut seule rendre pile l'ensemble des deux plaques auxquelles elles tiennent. Quant aux piles à plusieurs éléments, on a toujours regardé, et il me semble avec raison, la plaque Z comme le pôle positif et la plaque C comme pôle négatif, car en admettant la théorie de Volta, on commence par Z puis C puis Eau et ainsi de suite, or Z se trouve être le pôle positif pour tous les effets de tension, et le conducteur qui part de cette plaque est en général négligé à cause de sa petite surface, ou parce qu'on n'a qu'à le faire de même métal que la plaque à laquelle il est soudé. C'est donc parce qu'il me semble qu'on indique le fait pur que j'avais mis pôle Z et pôle C, tandis que les mots de positif et de négatif ou de vitré ou résineux se lient toujours dans l'esprit avec l'une ou l'autre des théories de l'électricité encore si peu satisfaisantes. Voilà mes raisons, Monsieur, sur un objet qui me paraît assez indifférent en lui-même, puisqu'il ne s'agit que de s'entendre et comme il me semble ainsi qu'à vous, qu'on y parvient mieux en employant les mots positif et négatif, je les emploierai si l'occasion s'en présente.
\J'ai oublié, Monsieur, de vous remercier du mot ingénieux rhéophore, très propre à l'électricité dynamique et de vous dire qu'au moyen de plateaux de terre de [illisible] j'ai perfectionné mon appareil qui va très bien et est très propre pour l'action des courants entre eux./
Après avoir reçu et lu avec un grand plaisir votre lettre, je l'envoyai immédiatement à M. le Prof. Pictet, rédacteur unique de la Bibl. Univ. Le cahier du mois de novembre était plein et déjà en impression, de sorte qu'il me répondit que la lettre trouverait place dans celui de décembre, mais qu'il regrettait de ne pouvoir lui conserver que huit pages. En comptant le nombre des lettres et des lignes, j'ai vu qu'il y aurait juste la place pour la portion de la lettre qui se trouve la première dont vous paraissez désirer plus particulièrement l'impression ; je pourrai peut-être dans une note donner un sommaire du reste de la lettre, c.à.d. de la partie où vous indiquez la manière dont s'enchaînent actuellement les différentes parties qui constituent l'étude de la nouvelle science que vous avez créée. Veuillez avoir la bonté de me faire parvenir le n° de la première page pour les 300 exemplaires [85] avant la fin du mois, si cela vous est possible ; il faut que ce soit un numéro impair. M. Pictet avait déjà promis à plusieurs personnes l'insertion de différents morceaux, ce qui fait qu'il ne peut consacrer que si peu de place à votre intéressante communication, et la triste nouvelle de la mort d'un de nos compatriotes, M. Marcet, prof. dans notre académie, a occasionné l'impression d'une notice très longue sur sa vie et ses ouvrages, notice dont la 1ère partie a paru dans le cahier de novembre et dont la 2nde, beaucoup plus longue vu le grand nombre d'ouvrages de notre compatriote, occupera une place considérable dans le cahier de décembre.
Le cahier de novembre de la Bibl[iothèque] Univ[erselle] contient un mémoire de M. Prevost le prof., qui pourra, Monsieur, vous intéresser. Avec beaucoup de sagacité et uniquement par des idées théoriques fondées sur des faits reconnus, M. Prevost est parvenu à lier les deux faits jusqu'à présent distincts, l'un le fondement de l'électricité statique, l'autre le fondement de l'électricité dynamique. Je vous indique ce morceau comme étant de ceux dont la lecture vous fera plaisir ; je désire bien, Monsieur, que si vous en avez l'occasion, vous vouliez bien me communiquer ce que vous en pensez.
Je vais, actuellement que je suis à la ville, m'occuper un peu de suite des phénomènes relatifs à l'action soit des courants entre eux, soit des courants et des aimants,[soit] des aimants entre eux. Il me semble qu'il y a encore beaucoup de choses à faire,[mais] il faut du temps, de la patience et de l'attention. J'ai vu dans les Annales de Chimie un extrait fort court d'un mémoire de M. Pouillet, qui paraît fort intéressant. J'aurais vivement désiré le connaître en entier ; croyez-vous, Monsieur, qu'il sera imprimé ? Dans ces sciences qui marchent si vite, la connaissance de tout ce qui se fait est indispensable pour éviter les recherches inutiles et pour diriger celles que l'on fait. Une étude que je désire éclaircir à fond, c'est la loi que suivent l'attraction et la répulsion des courants suivant la distance. On a conclu, il me semble d'une manière bien générale d'après l'expérience de M. Biot, qu'une petite portion de courant et une très grande suivent dans leur répulsion et attraction la loi de l'inverse de la distance, que deux portions très petites suivent la loi de l'inverse du carré. Mais quelle sera la loi pour deux portions très grandes et égales ? Je vais tâcher de déterminer avec autant de précision que possible les lois pour les divers cas, à moins que je n'apprenne que la chose a déjà été faite ; vous seriez bien bon dans ce cas de vouloir bien m'en avertir, de même que de ce que contient plus particulièrement le mémoire de M. Pouillet à cet égard.
[86] Je compte aussi continuer quelques expériences sur la rotation des courants soit par l'action d'autres courants, soit par celle des aimants ; dès que j'aurai un résultat un peu remarquable, je m'empresserai de vous le communiquer. Je vous prie de vouloir bien me donner vos bons conseils et vos directions à ce sujet. On nous annonce que M. Œrsted est ou doit arriver incessamment à Paris et que peut-être pousserait-il son voyage jusqu'à Genève ; ce serait une chose bien agréable pour nous et dont nous avons jusqu'à présent l'espoir. Quand pourrons-nous avoir l'assurance de vous revoir, Monsieur, je crains bien que vu vos occupations ce ne soit de quelques temps que nous puissions voir renouvelés ces moments si agréables que nous avons passé avec vous, mais j'espère que nous les retrouverons à Paris dans moins d'un an. Je travaille autant que je le puis aux mathématiques pour être en état de bien profiter de ce que j'entendrai à Paris. Le calcul intégral n'a point de fin à cause des nouvelles méthodes que tous les jours on y ajoute, je m'efforce de les apprendre autant que je le puis. Mes parents me chargent, Monsieur, de les rappeler à votre bon souvenir, et veuillez recevoir l'expression du dévouement respectueux d'Aug. de La Rive.
[83] N.B. M. Maurice est à Rome et il vaut mieux adresser les lettres et les objets qui lui sont destinés à Genève chez M. Maurice le père qui les fera parvenir à son fils.
Please cite as “L955,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 17 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L955