To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   14 mars 1802

[1356]Du dimanche soir [14 mars 1802]

Tu juges aisément, ma bonne amie, de l'impatience que j'éprouvais au retour de la femme Perrin ; elle vient enfin d'arriver ; je ne l'ai su qu'à huit heures du soir. Il y avait près d'une heure qu'elle était arrivée ; mais j'avais dit à sa fille de m'avertir et cette fille s'en fut je ne sais où. Après avoir bien longtemps attendu dans ma chambre, je fus m'informer de son arrivée, et elle me remit ta jolie lettre et me fit des détails bien intéressants  ; en sorte que, quand je fus souper chez M. Beauregard, on en était au dessert. Je suis revenu tout de suite après souper te remercier de la lettre qui va me faire passer une bonne nuit ; car j'y vois[1357] que ma Julie se porte mieux et qu'elle espère venir passer \avec/ son mari quelques jours à Pâques dans la ville où il est à présent exilé loin d'elle. Je demanderai au préfet la permission dont tu me parles.

Que tu es bonne, ma Julie, de m'avoir pardonné ma grosse sottise ! Pour moi, je ne me la pardonne pas, et je m'en rappellerai toujours pour ne plus être si étourdi et si impatient à l'avenir. J'ai peur que ma dernière lettre ait encore besoin de pardon. Elle est, je crois, presqu'aussi folle que l'autre ; mais heureusement que c'est dans un autre genre. Jusqu'à ce que mes cours soient en train et tant que je[1358] n'aurai pas fini mes notes pour mes leçons, je ne pourrai pas relire mes lettres et tu y verras parfois bien des bêtises. Car, pendant que je t'écris, je m'abandonne à toutes les idées qui me passent par la tête. Tu dois être bien sûre que tes lettres et mon argent sont bien fermés. C'est pour n'être pas dans le cas de négliger cette importante précaution que j'ai fait venir mon bureau dans la chambre où je couche. Je suis bien aise que M. de Jussieu ait tout emporté et bien ennuyé d'en avoir douté ; car j'aurais [illisible] \déjà fait faire le/ bain de fer-blanc pour l'école centrale. Et il est encore à commander ! Au reste,[1359] j'espère qu'il sera bientôt fait. C'est la seule des pièces qu'a emportées M. de Jussieu dont j'eusse pu tirer parti. Je suis bien fâché de t'avoir demandé de l'argent, depuis que j'en ai reçu de l'école centrale. Mais tu peux te rassurer sur l'exactitude de mes comptes. Voici celui des 18 l[ivre]s données à la femme Perrin. Plat à barbe..............................8 s[ols] Pot de chambre.....................1 l[ivre] 2 s[ols] Pot à eau........................... 12 Pommade..................................6 Boîte à la mettre........................10 1/2 livre de poudre.................. 4.6 Verre.......................................6 Bois....................................5 Le couper et le monter..............1. 4 Lanterne................................1. 4 Pain.........................................4 s[ols] 9 Pain.........................................4 s[ols] 9 1/2 l[ivre] de gruyère.........................8 Port de double lettre.....................8 Papier......................................7. 6 Pain........................................4. 9 Pour blanchir............................12 Port de lettre..............................4 Pain.........................................4. 9 Chandelles...............................17 Verre de montre..........................8 Papier.......................................8 Port de lettre..............................4 Pain.........................................4. 9[1043] d'autre part 16 l[ivre]s 6s[ols] 9 d. Fromage....................................8 Déjeuné....................................4 s[ols] Eau de vie.................................7. 6 Huile pour les bottes.....................3 = 18 1. 9 s. 3 d.

Je vois par ta lettre que M. Vernarel m'apportera l'argent que tu m'annonces. J'espère qu'il sera accompagné d'une petite lettre qui me fera bien plaisir. Du lundi [15 mars 1802] J'ai reçu aujourd'hui la lettre de Marsil ; je le remercie bien de toutes les peines qu'il s'est données pour moi, et je lui ferai réponse dès que je saurai si le préfet se détermine à faire l'emplette. Dis-lui que je ne doute pas des connaissances et des talents de M. Gourju, mais qu'il est [1044] de la même secte que M[ada]me Calas. Je ne crois pas au reste que cela puisse nuire à Périsse ; car ces opinions sont trop extravagantes pour être admises par Périsse, dont l'opinion est plutôt dirigée en sens contraire. Je ne crois pas, d'ailleurs, que M. Gourju se confiât à un enfant. Il pourrait, en lui enseignant d'autres parties, lui donner quelques éclaircissements sur les mathématiques, si Périsse trouvait dans \quelques passages embarrassants dans/ le cours de mathématiques qu'il m'a promis de suivre. Dis bien à Périsse que j'examinerai à Pâques les fruits de son travail ! Bonne nuit, ma bonne amie, je vais me coucher en[1045] pensant à toi et au petit.

Mercredi matin [17 mars 1802] Je n'ai pu t'écrire hier, ma bonne amie ; je vais te rendre compte de ma journée. J'ai travaillé tout le matin à des notes. A une heure, j'ai été dîner chez M[ada]me de Joux qui m'avait invité avec tous ceux des professeurs qui donnent des leçons à son fils ; MM. Clerc, Beauregard et Goubeau, M. André chez qui j'ai logé ; le fils de Joux et sa sœur, d[emoise]lle de 15 à 16 ans, complétaient le dîner. En passant sur la place du Greffe pour me rendre à ce dîner, M. Vernarel m'a appelé pour me donner la lettre de qui ?... de mon petit. Oui de ce pauvre petit que son papa a quitté et qui n'a pas oublié son papa. Que ces quatre mots m'ont fait plaisir ; Papa, je t'aime ! [1046] C'est sa petite main conduite par une plus jolie petite main qui les a tracés. M. Vernarel m'a remis cinquante quatre francs. Mais il n'a pas encore eu le temps de défaire le paquet où il a mis le surplus. Il n'y a point de voiture d'ici à Thoissey  ; mais tout le monde, quand j'en ai parlé, m'a dit qu'il fallait passer par Mâcon. Je m'informerai de toutes les particularités de cette route ; mais je sais qu'il n'y a pas 6 lieues de Mâcon ici. J'ai répondu au sujet de M. Boucharlat à toutes les questions de Derrion.

M. Trèves demeure chez M. Gantillon, notaire, rue PuisGaillot près la montée de la Glacière. Lorsque tu m'enverras différents paquets, ne pourrais-tu pas m'envoyer une portion du mélange que ta tatan Boyron a mis au fond de la bouteille à l'encre ? Je[1047] continuerais ici à me servir d'encre perpétuelle ; car j'ai presque fini ma bouteille de 15 s[ols] J'use aussi beaucoup de poussière, et il y en a des paquets dans la bibliothèque qui me feraient bien plaisir, pour être sûr d'en trouver toujours sous ma main. En sortant de chez Madame de Joux, je suis venu achever l'inventaire chez M. Clerc ; nous avons été souper ensemble chez M. Beauregard ; on y a retenu M. Mermet, en sorte que nous étions 4 professeurs à souper comme à dîner. \Je voudrais que tu convinsses avec Pochon des prix pour le transport des paquets, et que tu en prisses note. Il ne veut pas me dire ce que je lui dois, et je ne sais sur quoi compter./ Je ne suis revenu qu'à plus de 11 h[eures] avec M. Mermet et j'ai été me coucher sans écrire à ma bonne amie, parce que mon feu était éteint ; mais je lui ai dit un bonsoir de cœur qui valait mieux que celui que[1048] j'aurais mis sur le papier. C'est ce soir qu'il me faut donner ma p[remiè]re leçon et j'ai bien des choses à préparer. Il faut que je te quitte en te chargeant d'embrasser pour moi celui qui m'a écrit trois si jolis mots. J'embrasse mille fois sa jolie et bonne maman et je voudrais bien être à Pâques pour l'embrasser de plus près. A. AMPÈRE

A Madame Ampère-Carron, grande rue Mercière, maison Rosset, n° 18, à Lyon.

Please cite as “L96,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L96