From Proviseur du lycée d'Avignon (nom illisible)   21 juin 1831

[127] Avignon,21 juin 1831
A monsieur Ampère, Inspecteur général de l'Université &c.
Monsieur l'Inspecteur,

Bien que depuis votre départ d'Avignon j'ai été très occupé tant pour faire exécuter nos plans d'amélioration dans la maison que pour des travaux littéraires aussi pressés, j'ai souvent médité sur le tableau encyclopédique que vous avez eu l'extrême bonté d'accorder à mes sollicitations. J'étais trop flatté d'avoir quelque chose de vous pour que mon esprit ne se portât pas involontairement sur le souvenir que vous m'aviez laissé. Je me suis plusieurs fois occupé de vous avec M. Nicot ; aux sentiments d'admiration que je lui exprimais pour votre science aussi rare que votre bonté, M. le Recteur me répondait que comme moi il vous avait voué une espèce de culte vers lequel il se sentait entraîné de plus en plus. Il paraît que nous conserverons longtemps tous les deux le souvenir de la visite de nos inspecteurs, les modèles du savoir et de l'amabilité.

Afin de rendre pour moi votre visite encore plus fructueuse, je tiens à profiter de l'honneur que vous m'avez promis, celui de causer encore sur le tableau des sciences que vous avez rédigé.

[128] Malgré toute la complaisance que vous avez mise à me l'expliquer, vous me pardonnerez bien de vous demander de nouvelles explications, de vous communiquer avec une franchise entière mes doutes et aussi mes observations et même des objections.

Je pencherai davantage pour les cinq divisions primitives en sciences cosmologiques, psychologique, &c. Cependant même dans ce système je proposerai quelques modifications. Les médecins, en jetant un coup d'œil sur les divers objets de nos études, ont distingué la matière inorganique et la matière organisée. S'ils prétendent embrasser la totalité des êtres créés dans cette division, ils tranchent une grande question et cela sans preuve, c'est qu'une huître, être organisé, ne diffère de l'homme, être organisé, que du plus au moins. Puisque cette identité n'est nullement prouvée, il est plus sage de présumer que la vérité est du côté de l'opinion du genre humain, qui voit des éléments de plus dans l'un que dans l'autre. Je distinguerais donc des êtres inorganiques, des êtres organisés sans raison, des êtres organisés et raisonnables. Pourquoi ces trois sortes d'êtres ne donneraient-elles pas une division des sciences quant à leur objet ? Les êtres qui sont doués de raison sont[crus] renfermer une âme . Je reconnaîtrais volontiers des sciences physiques, physiologiques, et psychologiques.

[131] Comme nous nous occupons souvent en même temps de ce qui est inorganique et de ce qui est organisé, de ce qui concerne les organes et de ce qui est relatif à la partie distinctive de l'homme au , je trouverais beaucoup de sciences mixtes, physico-physiologiques, physiologico-psychologiques. Dans chacune de ces grandes divisions, je trouverais des sciences d'observation et des sciences presque de pur raisonnement, je mettrais même dans cette dernière sous division la mécanique.

Nous aurons aussi à parler des quatre degrés que vous distinguez dans l'érection d'une science. Je ne suis pas sûr de les bien comprendre pour toutes les sciences. Sont-ils également dans ce qu'on appelle les sciences d'observation et dans les sciences de raisonnement ?

Avons-nous une idée bien claire de ce que c'est qu'une science ? est-il vrai que dans une science il n'y ait qu'un système, par conséquent un seul principe, une seule idée mère ? Est-il vrai que dans ce qu'on appelle géométrie, il y ait la science des lignes, la science des surfaces, la science des solides ; ce qu'on pourrait appeler euthéco-logie, euruo-logie, stéréo-logie ?

Nous pourrons comparer la division que vous faites dans le travail scientifique pris dans sa complexité avec une division que j'ai jadis suivie. Mon cours de logique avait pour objet les connaissances ou l'homme en tant qu'il s'instruit. Les divisions de la logique étaient donc celles-ci : des connaissances dans leurs classifications et leur description ; des connaissances dans leur expression ; des connaissances dans les moyens de les préserver de l'erreur ; des connaissances dans les moyens de les faire naître et de les multiplier.

[130] La morale, ou l'étude de l'homme en tant qu'il veut et agit, traitait des actions de détermination de l'homme. Elle était divisée comme suit : des actions de l'homme étudiées dans leurs motifs légitimes ou illégitimes ; des actions de l'homme dans leurs motifs légitimes ou dans la logique qu'elles doivent suivre ; Des actions de l'homme dans la manière de les rendre conforme à la loi. Traité des habitudes.

D'après ma manière de diviser, la médecine eut été l'étude de l'homme physiologique c.à.d. en tant qu'il vit. J'avais divisé cette science comme suit : étude de l'homme par rapport aux divers organes dont il est composé ; étude de l'homme dans les agents qui peuvent altérer ou fortifier ses organes ; étude de l'homme dans les moyens de préserver ses organes d'altérations; étude de l'homme dans les moyens de fortifier ses organes.

Je ne puis, Monsieur, l'Inspecteur, vous donner que des [illisible] des propositions sans preuves. Je ne dois donc pas plus longtemps abuser de votre complaisance et remettre toute discussion au moment désiré où j'aurai l'honneur de vous entretenir. [129] Je me borne donc à faire mille souhaits heureux pour votre santé et à vous prier de présenter au savant et excellent Monsieur [illeg] l'hommage sincère de mon attachement et de mon respect. Il est votre digne collègue, c'est tout dire.

Agréez, Monsieur l'Inspecteur, pour vous-même l'hommage du respect et de l'affection avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur, [illisible] Proviseur du collège d'Avignon.

[133] Notes pour une lettre à Monsieur Ampère, Inspecteur général de l'Université
Monsieur l'Inspecteur,

J'admets comme vous que les sciences, les véritables sciences doivent se diviser d'après leur objet ; et si les objets des sciences étaient des êtres, il ne s'agirait que de savoir combien on admet d'espèces d'êtres pour savoir[combien] d'espèces de sciences il faudrait reconnaître. Vous, par exemple, vous n'admettez que deux règnes d'êtres, pour être conséquent vous ne devriez admettre que deux grandes divisions primitives des sciences.

Mais vous me représenterez sans doute que les sciences ont pour objet non des êtres concrets pris dans leur complexité mais des modes d'êtres, des qualités, des faits, et j'admettrai cette base. Puisque l'objet des sciences se compose de faits, de qualités, de modes d'êtres, au moins le plus ordinairement, il ne s'agit que de savoir combien nous devons distinguer d'espèces de faits. Ceci mérite attention. Nous aurons le choix d'établir qu'un fait appartient à une espèce particulière lorsqu'il sera reconnu que ce fait ne peut se résoudre en un autre fait quelque transformation qu'on lui fasse subir, en un mot lorsqu'il y a diversité de nature.

Or tels sont les faits de la vie par rapport à tous les faits qui se manifestent dans les corps inorganiques avec de la solidité, de l'étendue, de la pesanteur, etc. Nous concevons qu'il est impossible de produire les phénomènes de la vie. L'homme croit instinctivement que dans un être vivant, il y a un élément de plus que dans un être inorganique. Donc deux espèces de faits : les faits physiques et les faits physiologiques. Nous croyons encore involontairement qu'avec tout le jeu de la nutrition, de l'assimilation, de la digestion, de la circulation du sang, etc., il est impossible de faire la sensation ou l'idée. De là les faits psychologiques.

Ces trois espèces de faits sont l'ouvrage de la nature et peuvent s'appeler des faits naturels d'un nom commun. Il est d'autres faits dont l'homme est l'auteur et que l'on peut, que l'on doit même étudier. L'homme, créature, effet du créateur, devient cause à son tour, cause libre, cause première dans un certain sens. Ces faits parmi lesquels se trouvent les faits dits historiques peuvent prendre le nom commun de faits anthropogéniques.

Il est évident que je suis amené à reconnaître forcément trois espèces de sciences naturelles. Dans le dernier que vous avez eu la bonté de m'envoyer, Monsieur l'inspecteur, [135] vous en distinguez cinq. Aujourd'hui peut-être par esprit de transaction vous vous réduisez à 4, en prenant le juste milieu. Je ne sais si le principe de juste milieu, de transaction, peut arranger les affaires en politique, mais dans les sciences, vous nous apprenez tous les jours que la logique est impitoyable. Il faut à chacun son droit et tout son droit. Il faut s'appuyer sur la nature des choses. S'il y a 4 espèces de faits naturels, mettons 4 sciences, s'il n'y en a que trois, n'en supposons que trois. Or le genre humain n'en reconnaît que trois et l'on doit suivre les idées du genre humain en prenant un point de départ, comme le sont les classifications. J'admettrai une nouvelle espèce de sciences pour celles qui roulent sur les faits, ouvrages de l'homme.

Je reconnaîtrai donc des sciences physiques physiologiques psychologiques et anthropogéniques. J'hésiterais à adopter l'expression cosmologiques parce que ordinairement le mot désigne l'ordre, l'ensemble. La chimie s'occupe de la base, des éléments, elle décompose, elle détruit, et le rappelle l'idée de [composition], d'harmonie. Ce n'est pas que je tienne beaucoup à ce terme de physique. Je préfèrerais un mot tiré de , matière, par ex. hyléiques. Les sciences hyléiques comprendraient les sciences phyiques et les mathématiques, les sciences anthropogéniques contiendraient les sciences historiques et [illisible].

[136] Les sciences se rattachent nécessairement toutes à l'une de ces divisions car je veux restreindre le mot Science à ce sens rigoureux et je le distingue entièrement des Arts. La science est spéculative, l'art est pratique. La science étudie ce qui est, l'art après avoir supposé que l'on a étudié ce qui est, cherche à faire de nouvelles applications de principes découverts dans une ou plusieurs sciences, l'art tend à[reproduire] autre chose que ce qui est. La science n'étudie que les objets, l'art s'appuie sur l'objet de plusieurs sciences, et son objet est souvent multiple. Les sciences précèdent les arts et peuvent seules leur donner une base solide et assurer leur perfectionnement. Le rapport est extrême entre les sciences et les arts, mais les unes ne doivent pas être confondues avec les autres. Si les sciences se divisent par l'objet, les arts se classeront par le but qu'ils se proposent d'atteindre. Les uns s'adressent aux besoins physiques, d'autres aux besoins intellectuels, d'autres à l'intérêt moral ; de là peut être prise une division des arts.

[132] Monsieur le Proviseur du collège royal, pour remettre à Monsieur Ampère, Inspecteur général de l'université en tournée, hôtel des Princes, Aix. "pressée"

Please cite as “L962,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L962