From Frédéric Maurice (baron)   5 juillet 1822

5 juillet 1822

[227] Je reçois de Genève, mon cher Confrère, une lettre d'une personne qui s'occupe de sciences et où je lis ce qui suit : Je ne suis pas encore aussi satisfait que vous des développements de la théorie de M. Ampère. Je voudrais de tout mon cœur que les déductions du principe se simplifiassent, et devinssent plus rigoureuses, parce que ce principe est lui-même brillant de simplicité à côté des hypothèses compliquées des Anglais et des Allemands. Ce n'est pas tant la contention d'esprit nécessaire pour saisir les actions des courants qui me répugne dans cette théorie, que le grand nombre d'hypothèses toutes gratuites, l'abus de la considération des inf[iniment] petits avec lesquels on peut dire tout ce qu'on veut, et le mélange de certaines idées dynamiques dont l'introduction n'est pas suffisamment motivée ni l'influence nettement caractérisée. Il paraît même que l'auteur a fait récemment quelques modifications à son hypothèse sur la disposition des courants dans les barreaux aimantés, afin de pouvoir expliquer certain phénomène observés par M. De la Rive. [228] C'est ce que m'a dit ce dernier, qui vient de faire encore une expérience qui contredit fortement l'hypothèse du courant de l'E. à l'O. dans le globe ; ajoutant qu'il se propose d'envoyer à M. Ampère l'expérience et l'objection, et de les communiquer en même temps à M. Arago, avant que d'en rien dire dans la Bibl. Universelle. ... On ne peut nier que tout ce qu'a fait M. Ampère soit très ingénieux, mais j'ai peine à croire que cela tienne longtemps tel quel ; et il faudra vivement regretter cette théorie, si elle tombe : car toutes les autres, celles des Allemands surtout, sont d'une effrayante complication.

Je vous ai transcrit ce passage d'un inconnu pour vous rendre le petit mais vrai service de vous montrer comment vous êtes jugé et apprécié par ceux que vous ne connaissez pas et qui forment pourtant à la longue le tribunal de tout auteur. Vous y verrez le mauvais tour que vous a joué, comme je vous le disais, l'essai d'explication de l'action diverse des courants tenté par M. Babinet : ces choses délicates, aujourd'hui que beaucoup de lecteurs sont plus ou moins géomètres, ne doivent être exposées qu'avec toute la rigueur que permet le calcul seul.

Voyez s'il n'y a pas là de quoi vous faire prendre courageusement la plume durant les loisirs de votre voyage et des vacances, pour présenter un exposé synthétique et rigoureux de toutes vos idées, en renvoyant pour la description des expériences, citées seulement comme appui de vos déductions théoriques, aux divers endroits où elles ont été décrites et figurées ; ce qui procurerait une grande économie de temps, de papier, et de planches, et réduirait l'écrit en question à la teneur d'un mémoire de physique générale et mathématiques. Mais si vous m'en croyez, procédez synthétiquement, ce sera plus court, plus clair et plus complet, et on embrassera plus aisément l'ensemble.

Adieu, mon cher confrère, tout à vous. Maurice.

[229] A Monsieur Ampère, membre de l'Institut &c, rue des Fossés-S[ain]t-Victor n°19, à Paris

Please cite as “L967,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L967