From Antoine Masson   9 avril 1836

Caen le 9 avril 1836
[2] Monsieur,

Je ne sais comment vous témoigner ma reconnaissance pour les nouveaux actes de bienveillance dont vous venez de m'honorer. J'étais bien persuadé en vous priant d'examiner ma thèse, que vous ne laisseriez pas un de vos élèves, seul et sans guide, sur une route aussi difficile que celle que je me propose de parcourir. Il s'agit de donner une nouvelle impulsion aux théories dont vous êtes le créateur, de détruire jusqu'aux plus légères objections et de prouver de nouveau aux plus incrédules que vous avez fait un grand pas vers la vérité tout en simplifiant la science. Quelques physiciens hésitent encore à abandonner la théorie de Coulomb, des mathématiciens craignent de voir leurs travaux perdre de l'importance. Dans la partie dont je m'occupe en ce moment, je tacherai de convaincre les premiers, et d'assurer l'existence aux calculs des seconds. J'ai besoin dans un travail qui pourra éveiller quelques susceptibilités de toute la justice et la sévérité de votre jugement. Aussi je ne publierai rien que vous ne l'ayez examiné et j'attendrai votre retour d'inspection pour vous envoyer le reste de mon travail.

J'arrive actuellement à mon mémoire qui a été adressé à l'Institut dans le mois de juin dernier. Je vais vous donner quelques détails à ce sujet afin de vous mettre à même de juger en parfaite connaissance de cause. Plus d'un an avant d'adresser mon mémoire à l'Institut, j'avais communiqué à mes élèves, ainsi que vous pourrez l'apprendre de M. Fleury, la plupart des phénomènes qui y sont contenus. La difficulté d'avoir des ouvriers, le peu de temps que me laissent mes classes ne me permettaient pas d'aller vite en recherches, et j'étais fort peu avancé dans mes travaux lorsque parut dans l'Écho du monde savant une note indiquant que Faraday s'occupait du même sujet. Ne voulant pas perdre le fruit de mes découvertes, je me hâtai de rédiger et d'adresser à M. Savary le travail très incomplet dont vous avez à rendre compte. Votre collègue, qui m'a toujours honoré de son amitié, le présenta à l'Institut après en avoir pris connaissance comme je l'en avais prié ; depuis je n'en ai plus entendu parler. On vous nomma pour commissaire avec M.M. Becquerel et Savary, je n'ai jamais su qui devait être chargé du rapport ! J'ai pensé un instant que ce pouvait être M. Becquerel.

[3] Quelque temps après il publia dans les Annales de Poggendorf une note de Faraday sur une expérience de [William] Jenkin analogue à celle que j'avais faite. Les explications que Faraday donna alors étaient fausses ; je me proposai de les réfuter, lorsqu'on publia dans Poggendorf et ensuite dans la Bibliothèque de Genève (1835) un nouveau mémoire de Faraday. Si vous prenez la peine de le lire, vous y trouverez des faits et des expériences analogues aux miennes, vous pourrez voir comment guidés par les mêmes idées nous sommes arrivés au même résultat. Mes expériences ont été faites sur une plus grande échelle, mes explications plus explicites, car c'est un défaut que je crois avoir reconnu dans ce savant anglais, d'être souvent obscur dans ses explications.

J'ai ensuite rédigé un extrait qu'on a tronqué dans l'Institut de 1835 et que vous pourriez voir. Mais je prie M. Fleury de le réclamer et de vous le remettre. Outre qu'il est mieux écrit que le mémoire principal, il renferme des explications nouvelles. Enfin guidé par de nouvelles recherches, j'ai modifié l'appareil imparfait, qui était destiné à donner des commotions continues, je l'ai remplacé par le suivant dont je vous donne un mauvais dessin, qui je pense suffira pour vous le faire comprendre.

[diag] Figurez-vous une petite enclume en cuivre sur laquelle frappe un petit marteau très aigu, mobile autour d'un axe O. bc est un ressort qui appuyant sur la petite branche appuie le marteau contre l'enclume. En d on attache deux conducteurs, [4] ainsi qu'en c. Un conducteur de d et un de c communiquent aux pôles de la pile et ferment le circuit. Les deux autres sont attachés aux [illisible] et font le courant secondaire. L'appareil est mis en jeu au moyen d'une roue dentée qui frappe en m. On pourra compter exactement les vibrations. Je n'ose pas vous dire les recherches nouvelles vers lesquelles je me suis tourné. J'attendrai quelque résultat pour vous en faire part. Si je suis assez heureux pour découvrir de nouveaux faits en les réunissant à ceux dont vous allez prendre connaissance j'en ferai une seconde thèse que j'aurai l'honneur de vous remettre plus tard. En attendant je ne saurais trop vous prier de voir M. Becquerel et M. Savary pour vous entendre avec eux sur mon travail. En province on a singulièrement les yeux fixés sur vous et un silence de votre part est pour le public une désapprobation qui peut avoir pour nous les[suites] les plus fâcheuses. Je vous aurais aussi beaucoup d'obligation[de prier] M. Becquerel, s'il croit mes découvertes intéressantes, d'en[dire] quelques mots dans le dernier volume qu'il va publier de son ouvrage sur l'électricité *.

Recevez de nouveau l'assurance de mon sincère attachement et du respect avec lequel j'ai l'honneur d'être votre dévoué et reconnaissant serviteur et élève, Masson.

[5] Monsieur Ampère, membre de l'Institut et inspecteur général de l'Université, rue des fossés S[ain]t Victor n°19, Paris

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