To ?   7 septembre 1821

[2] Eaubonne près Paris le 7 7bre [septembre] 1821
Monsieur,

J'étais ici par ordonnance de mon médecin pour me remettre d'une affection de poitrine dont je craignais alors beaucoup les suites, mais qui paraît à présent se dissiper, lorsque la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire est arrivée à Paris. Je ne sais comment on a négligé de me la faire passer, et je n'en ai eu connaissance que dans un séjour de quelques jours que je fis dernièrement à Paris. Revenu ici, je m'empresse d'y répondre et je dois commencer par vous remercier de votre lettre et de la promesse que vous me faites de m'envoyer le mémoire sur la vitesse du son dont vous me parlez dans votre lettre. Quoiqu'on ait beaucoup travaillé sur ce sujet, il me semble que la matière est loin d'être épuisée, et il en est peu d'aussi intéressante, surtout depuis qu'on a prouvé que les phénomènes de la lumière étaient aussi produits par les vibrations d'un fluide, et que les recherches [3] sur ces deux ordres de phénomènes qu'on croyait tout à fait hétérogènes, et qui se trouvent si intimement liés aujourd'hui, peuvent s'éclairer mutuellement.

Je suis bien surpris de ce que vous me dites qu'à Göttingen on n'a pas réussi à répéter mes expériences, car elles ne sont point difficiles en utilisant pour le mode de suspension des conducteurs mobiles ce que j'en ai dit dans mon mémoire. D'autres physiciens les ont faites en divers lieux avec tout le succès qu'on pouvait désirer, dans votre pays même comme vous me le dites, à Genève, à Grenoble, &c. d'après ce qu'on m'en a rapporté ou écrit. A Paris je ne suis pas le seul, dès le commencement de cette année M. Dulong les répéta toutes au cours de physique qu'il fait à l’École polytechnique devant tous les élèves, M. Thillaye professeur au Collège royal de Louis-le-Grand à Paris, les a également répétées à ses élèves, il a obtenu comme M. Dulong les attractions et répulsions entre deux portions de fils conducteurs, [4] et la direction d'une portion de circuit voltaïque par l'action de la terre en employant une pile de dix couples seulement dont les plaques n'avaient que 6 pouces de haut et 4 de large.

Dès le mois de novembre 1820 je répétai ces expériences plusieurs fois devant plusieurs membres de l'Académie royale des sciences de Paris, de M.M. le baron de Humboldt, le comte de Bournon, et un grand nombre d'autres personnes, tous peuvent en rendre témoignage. M. Fourier, de l'Institut, constata entre autres choses avec soin l'action du globe terrestre sur le circuit voltaïque mobile, pour le diriger tant en déclinaison qu'en inclinaison.

M. Delambre fut également témoin de mes expériences, il n'a inséré dans le compte qu'il a rendu des travaux de l'Académie des sciences pendant l'année 1820, relativement à ces expériences, que ce qu'il avait vu lui-même.

La vérité des faits dont nous parlons a tellement été constatée dans tous leurs détails, tels que je les ai publiés, par des expériences si souvent répétées en [5] présence des personnes les plus faites pour en bien juger, me fait penser que le non succès des expériences que vous me dites avoir été tentées à Göttingen ne peut venir que d'une des deux causes suivantes : que les communications n'étaient pas bien établies, ayant remarqué que le contact des fils ne suffit pas, et qu'il faut qu'ils soient soudés ou qu'on place du mercure aux points où ils se touchent, encore en ayant soin que les fils ne soient pas oxydés, surtout quand il n'y a qu'une tension faible à cause du petit nombre des couples ; que dans les appareils à rotation où deux pointes d'acier situées dans une même verticale doivent, pour les communications, plonger dans deux coupes de métal pleines de mercure, on aura fait toucher les deux pointes au fond des deux coupes, tandis qu'il faut qu'une seule s'y appuie pour servir d'un pivot unique sur lequel tourne l'appareil. Quand [6] elles touchent toutes les deux le fond de leurs coupes respectives, cet appareil ne peut tourner qu'autour de la ligne qui passe par les deux points de contact, et comme il est impossible dans la pratique de faire en sorte que cette ligne passe exactement par le centre de gravité de l'appareil, la pesanteur de celui-ci le fait rester immobile, malgré l'action électromagnétique de la terre, dans la situation où son centre de gravité se trouve dans le plan vertical qui passe par cette ligne, au-dessous d'elle, ce qui s'oppose absolument au succès de l'expérience.

Mes premiers travaux sur ce sujet avaient eu pour but de ramener à deux règles générales toutes les circonstances des phénomènes découverts par M. Œrsted, à montrer que la pile elle-même agit sur l'aimant comme le fil conducteur, sauf le sens opposé dans lequel elle [7] est parcourue par le courant électrique, cette action de la pile était alors positivement niée par un habile physicien dans un mémoire lu à l'Institut et plein d'ailleurs d'observations très intéressantes, enfin de soustraire, ce qu'on avait point encore fait, l'aiguille aimantée à l'action du globe terrestre, pour qu'elle ne fût plus soumise qu'à celle du conducteur voltaïque, et prouver ainsi que cette dernière tend à la placer dans une direction exactement perpendiculaire à la sienne.

Je crois que ces résultats n'étaient pas inutiles aux progrès de cette branche de la physique, mais les expériences que je publiai le 25 septembre et le trente octobre 1820 étaient tout à fait différentes. Elles faisaient connaître un ordre de faits nouveaux dont l'admirable découverte de M. Œrsted n'a été que l'occasion.

Ce sont ceux qui montrent que les conducteurs voltaïques agissent [8] les uns sur les autres pour s'attirer, se repousser, se diriger, comme je l'ai exposé, et vérifié nombre de fois, et que ces mêmes conducteurs sont dirigés de l'est à l'ouest par l'action de la terre, sans que les aimants entrent pour rien dans ces expériences. C'est par elles que je crois surtout avoir contribué aux progrès de la physique, parce que je suis persuadé que toutes les fois qu'on commencera par étudier les phénomènes qu'elles établissent, sans s'occuper de l'action mutuelle des aimants et des conducteurs voltaïques, et de celle des aimants entre eux, on verra ensuite que ces dernières actions se ramènent à celle plus simple des fils conducteurs les uns sur les autres, comme je l'ai fait, et qu'il n'y a là qu'un seul fait primitif, d'où il est aisé de déduire tous les autres, savoir : l'attraction et la répulsion de deux petites portions de courants électriques, suivant la distance qui se trouve entre elles [9] et suivant les angles qui déterminent leur position respective dans l'espace, conformément à la formule représentant cette action que j'ai donnée dans le cahier de septembre du Journal de physique.

Tandis que quand on commence par étudier l'action mutuelle des aimants, puis celle que M. Œrsted a découverte, l'esprit s'accoutume à partir des phénomènes qui en résultent, quoique plus compliqués que ceux que présente l'action mutuelle de deux fils conducteurs, parce que l'on n'a aucune idée précise de la manière dont les fluides différents de l'électricité, par lesquels on cherche à expliquer les phénomènes magnétiques, doivent être distribués dans un aimant de figure donnée, et qu'on a une idée bien plus nette de ce qui arrive aux deux fluides électriques dans le conducteur ; parce que les deux corps qui agissent l'un sur l'autre dans les expériences de M. Œrsted, ne sont point identiques, et ont chacun une manière d'agir différente, en sorte que leur action mutuelle dépend de deux causes également inconnues quand [10] on n'admet pas les courants électriques dont j'ai cherché à établir, par l'ensemble des faits, l'existence dans les aimants. Une fois que l'esprit a pris cette habitude, on n'examine plus l'action mutuelle des conducteurs en elle-même, mais seulement comme un accessoire d'un ensemble de faits, dont, en suivant la marche que j'ai cru devoir préférer, on verrait aisément qu'elle est au contraire le premier principe. Mais je sens toute la difficulté que l'on éprouve à rompre ainsi la marche à laquelle on s'est accoutumé, d'après l'ordre où les faits ont été découverts, quoique cet ordre ne fasse réellement rien à leur mutuelle dépendance.

Le hasard aurait pu faire qu'on découvrît l'action que les conducteurs voltaïques exercent les uns sur les autres avant celle qu'ils exercent sur les aimants, et alors on aurait naturellement considéré la première comme le principe de la seconde, et on serait arrivé immédiatement à ma manière de voir sur ce sujet, [11] ou du moins on aurait éprouvé moins de peine à l'admettre. Encore à présent je n'espère la voir adopter que par ceux qui étudieront, abstraction faite des phénomènes que présentent les aimants, les nouvelles propriétés que j'ai reconnues dans les conducteurs voltaïques, mais aussi je ne doute guère que les physiciens qui s'occuperont d'abord de ces propriétés, et qui suivront avec attention les circonstances qu'offre l'action des fils conducteurs pliés en hélice et en spirale, ne finissent par être presque aussi frappés que moi de leur identité parfaite avec les circonstances qui accompagnent l'action de deux aimants ou d'un conducteur et d'un aimant, et n'en tirent les mêmes conséquences que moi.

Je n'ai jamais prétendu expliquer le fait primitif de l'attraction et de la répulsion de deux petites portions de courants électriques, conformément à ma formule, quelque explication qu'on en donne, tout ce que j'ai fait reste le même, comme les diverses [12] tentatives qu'on pourrait faire pour assigner une cause physique à l'attraction newtonienne, ne font rien au système du monde. Mais prenant ces attractions et répulsions comme des faits donnés par l'expérience, je me suis attaché à montrer qu'en en partant on trouvait que tous les phénomènes magnétiques, anciennement connus ou découverts par M. Œrsted, en étaient des conséquences immédiates, dès qu'on admettait, d'après les analogies les plus sensibles et les plus multipliées, que la même disposition, quelle qu'elle soit, des deux fluides électriques dans la pile ou le fil conducteur, existait aussi dans notre globe, de l'est à l'ouest, avec d'autant plus d'intensité que les lieux où elle est établie sont plus voisins de l'équateur, et dans des plans perpendiculaires à l'axe des aimants, suivant la direction que je lui ai assignée, soit autour de cet axe, soit autour de chaque particule de l'acier aimanté. Cette manière de ramener une multitude de faits à un fait unique constaté par l'expérience, et dont [13] la loi mathématique se trouve vérifiée par son accord avec l'ensemble des phénomènes, est ce que j'appelle expliquer, quand même la cause du fait primitif d'où l'on part est absolument inconnue.

J'écrivis il y a environ un mois au savant professeur à la faculté de Leyde, monsieur Speyert van der Eyk, qui m'avait envoyé un mémoire où se trouvaient des faits très intéressants, qu'il a observés le premier et qui ont été publiés dans le Journal de physique. Expériences dont les résultats sont d'ailleurs les conséquences nécessaires de ma théorie, comme M. van Eyk m'en prévenait lui-même dans sa lettre. Ma réponse contenait un précis des faits sur lesquels repose cette théorie, dans l'ordre où il me paraît qu'il convient de les ranger, tandis que dans le mémoire que j'ai publié ils se succèdent à peu près au hasard, ce qui rend plus difficiles à saisir les conséquences que j'en ai déduites. Je crois ce précis très propre à servir à la fois de résumé et de complément à ce que je viens de décrire, et c'est ce qui m'engage à l'insérer ici, voici les réflexions dont il se composait. [illeg]

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