From Jean-Stanislas Couppier   27 avril [cachet postal 1806]

Lyon dimanche 27 avril [cachet postal 1806]

[1] Vous devez être bien mécontent de moi, mon cher ami ; voici la quatrième lettre que je reçois de vous avant de répondre ; ce n'est pas qu'elles ne renferment pas toutes des nouvelles bien intéressantes pour moi : mais j'avais d'abord répondu à la seconde par une lettre de quatre pages que je n'avais pas encore mise à la poste, lorsque je reçus la troisième. Vous comprenez bien que je ne la fis pas partir. Je commençai une autre réponse que je brûlai n'étant pas content de ce qu'elle contenait ; j'ai fait depuis quelques petits voyages qui m'ont pris tout mon temps ; enfin, je viens de recevoir la dernière de vos lettres à laquelle je suis bien empressé de répondre, pour vous faire connaître tout le plaisir que j'ai éprouvé depuis quelque temps. Vos premières lettres, mon cher ami, me faisaient une grande peine, à cause de l'état malheureux qu'elles me dépeignaient et dont je[ne] soupçonnais pas même la cause : la lettre où vous m'annonciez que vous aviez été nommé au Bureau consultatif me fit un bien grand plaisir, tant à cause de la nouvelle qu'elle me donnait qu'à cause de votre état de tristesse [2] qui paraissait bien changé, enfin la troisième mit le comble à ma joie en m'apprenant tout votre bonheur, que la dernière n'a fait que confirmer : vous voilà donc, mon cher ami, prêt à vous engager pour la vie, et il paraît que vous trouvez dans cet engagement tout ce qui peut assurer votre bonheur : il est bien temps que vous sortiez enfin de cette suite de chagrins que vous éprouvez depuis plusieurs années. Il paraît qu'autant ils ont été vifs, autant la joie qui leur succède est grande. J'y prends la plus grande part et je fais des vœux bien ardents pour qu'elle dure. J'espère que vous avez bien fait toutes les réflexions nécessaires pour vous assurer qu'il y a dans cet engagement tout ce qu'il faut pour vous promettre une vie heureuse ; une seule chose me fait beaucoup de peine, c'est la promesse de ne point quitter la famille dans laquelle vous entrez : il paraît qu'elle est fixée à Paris. Je n'aurai donc presque jamais le plaisir de vous revoir, dans votre état de bonheur. Malgré tout le chagrin que j'en ressens, j'aime encore bien mieux vous savoir heureux loin de moi que de vous voir aussi malheureux que vous l'avez été jusqu'à présent. J'aurai d'ailleurs la consolation de pouvoir vous [3] écrire et recevoir de vos nouvelles.

Ne craignez pas, mon cher ami, que je parle à qui que ce soit du secret que vous m'avez confié. J'ai commencé par brûler les lettres qui le renfermaient, ce qui m'a un peu coûté parce que j'avais un bien grand plaisir à les relire.

J'espère, mon ami, que séparés pour longtemps ou non notre amitié ne diminuera point, et que votre nouvel état n'y apportera aucun changement. Je crois connaître assez votre constance en amitié[pour] m'en flatter. Adieu, mon cher ami, votre sort m'occupe presque continuellement. Toute ma famille est bien sensible à votre souvenir et m'a chargé de vous témoigner la joie qu'elle ressentait de votre nomination à la place du Bureau consultatif. Avez-vous des nouvelles de M. Nolhac ? Je vous embrasse de tout mon cœur.

[4] A Monsieur Ampère, répétiteur d'analyse à l’École polytechnique, à Paris Rue du Faubourg-Poissonnière n° 10

Please cite as “L975,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L975