From Jean-Stanislas Couppier    [26 avril 1793]

[26 avril 1793]

[47] J'ai reçu, Monsieur, les deux lettres que vous avez eue la bonté de m'écrire. Monsieur votre père s'est donné lui-même la peine de me les apporter. J'ai admiré la manière dont vous avez résolu le problème du cerf-volant en y faisant entrer le choc du vent contre la ficelle. J'en aurais cru la solution bien plus compliquée ; ainsi que celle de la courbure de la corde, les conclusions que vous en tirez sont intéressantes. Quant à celle que le cerf-volant est à sa plus grande hauteur lorsque la partie inférieure de la corde est horizontale, je l'avais soupçonné depuis longtemps, mais je n'avais pas aperçu la raison simple que vous en donnez. Elle est certainement de la dernière évidence et le calcul algébrique s'accorde parfaitement avec le raisonnement. En ce point, d'après la théorie complète que vous avez donnée sur toute cette matière, on peut faire servir le cerf-volant à mesurer exactement la vitesse du vent à différentes hauteurs au-dessus de la Terre.

En relisant tout votre travail, je me suis arrêté sur un point sur lequel je ne me trouve pas d'accord avec vous. Je pense que cela vient de ce que je ne l'ai pas compris, mais je prends la hardiesse de vous faire mes observations là-dessus, dans l'espérance que vous voudrez bien me tirer de l'incertitude où je suis. Soit le cerf-volant [diag] vous prétendez que si le point c, centre de figure et par conséquent de choc, se trouvait confondu avec le point g centre de gravité, l'impulsion [48] du vent ferait tourner le cerf-volant autour du point d de manière à le culbuter. Il me paraît au contraire que pourvu que le point d soit plus près de la tête que le point c, le cerf-volant gardera toujours une position moyenne entre la direction du vent, ou l'horizon, et la perpendiculaire. D'abord il ne restera pas perpendiculaire à l'horizon, à cause de l'impulsion du vent dans la direction cc qui tend à l'éloigner de la perpendiculaire. Il ne pourrait pas non plus suivre la direction du vent, c'est-à-dire l'horizontale, car alors il ne serait plus exposé à l'action du vent et par conséquent la force gg qui vient de la pesanteur abaisserait la queue jusqu'à ce qu'elle se trouvât en équilibre avec la force cc, donc etc. Il me paraît donc que quelque position qu'aient entre eux les centres de gravité et de figure, il y a toujours un point ou en y attachant la ficelle, le cerf-volant s'élèvera et s'élèvera même le plus haut possible.

Aussitôt votre lettre reçue, je me suis occupé à résoudre les problèmes que vous avez eu la bonté de m'y proposer. Je n'ai pas eu beaucoup de peine à résoudre les deux derniers, mais j'ai échoué au premier parce qu'après avoir différencié, il me restait une équation du second degré dont je n'ai pu venir à bout, tant j'ai oublié les mathématiques, et je vous avouerai que je n'ai pas le courage de les repasser, parce que je suis perpétuellement dérangé. Pour cela il faudrait que je fus comme vous tranquille à la campagne ; je trouve l'air de la ville mauvais pour les mathématiques. Solution du 2d problème. [49] [diag] Soit bc la hauteur du cylindre inscrit, égale [à] x. Dans le triangle rectangle abc, nous aurons a b 2 = 1 x 2, appelant 1 le diamètre. C'est donc le produit de x par 1 x 2 qui doit être un maximum, c'est-à-dire x x 3. La différentielle est d x 3 x 2 dx qui égale 0. Effaçant dx, nous aurons 1 3 x 2 = 0 ou 1 = 3 x 2 dégageant x, x = V 1 3.

Troisième problème. [diag] Soit ad la hauteur du cône que nous nommerons algébriquement x. Dans le triangle rectangle cdf formé par le rayon = 1, par dc moitié de la base, et par df différence dx au rayon = 1, nous aurons d c 2 = 1 le carré de df qui estx 2 2 x + 1 , donc d c 2 égale 1 1 x 2 + 2 x ou bien 2 x x 2, qui est l'expression de la moitié de la base. Multipliant par x la hauteur, nous aurons 2 x 2 x 3 qui doit être un maximum ; par conséquent 4 x d x 3 x 2 d x = 0 ; effaçant d x 4 x 3 x 2 = 0, ou 4 x = 3 x 2 ; faisant la réduction il vient x = 4 3.

Depuis que j'ai commencé ma lettre je suis revenu à votre premier problème dont je crois avoir trouvé la solution. Je ne la donne cependant qu'en tremblant car je suis si peu apprivoisé aux différentielles, que je me suis égaré je ne sais combien de fois.

Solution du 1er problème. [diag] Soit abc le cône, df le plan coupant dont nous appellerons la longueur x algébriquement, c'est-à-dire la ligne df. A cause des triangles semblables abc, cdf, nous aurons ab : ac :: df : fc . Appelant h la ligne ab, et faisant [50] ac égale à 2 à cause du rayon que nous faisons égal à 1, notre proportion deviendra h 2 x 2 x h. Or dans la seconde figure qui représente la base du cône, nous avons le triangle rectangle formé par le rayon o g = 1, la ligne f c = 2 x h 1 et la ligne fg dont le carré égale o g 2 f c 2 c'est-à-dire 1 4 x 2 h 2 + 4 x h 1 = 4 x h 4 x 2 h 2, donc f g = 4 x h 4 x 2 h 2. Pour avoir le maximum que nous cherchons, il faut multiplier cette valeur par x et nous auronsx 4 x h 4 x 2 h 2 [En] différenciant : x 2 ( 4 x h 4 x 2 h 2 1 2 d ( 4 x h 4 x 2 h 2 ) + 4 x h 4 x 2 h 2 ( d x ) = 4 x 2 h 4 x h 4 x 2 h 2 d x 8 x 2 2 h 2 4 x h 4 x 2 h 2 ( d x ) + 4 x h 4 x 2 h 2 ( d x ) = 0 [En] réduisant, il vient 4 x 2 h 8 x 2 2 h 2 + 4 x h 4 x 2 h 2 = 6 x h 8 x 2 h 2 ou G h x = 8 x 2 ou G h = 8 x ou x = G h 8 = 3 h 4. C'est-à-dire que la ligne fd est les trois quarts de la ligne ab. Il en est de même de la ligne fc par rapport à ac. En parlant de problèmes, il m'en est venu un dans l'esprit dont je suis bien aise de vous faire part. La figure suivante [diag] représente une section verticale d'un vase rectangulaire. Or il s'agit de savoir quelle proportion il faut mettre entre les côtés et le fond pour qu'il tienne la plus grande quantité de liquide sous la plus petite surface. J'ai essayé pour cela un grand nombre de moyens qui m'ont amené à des résultats absurdes, sans doute parce [51] qu'au lieu de maximum, j'amenais des minimum, et vice-versa. Enfin je crois l'avoir résolu de cette manière. Appelant [a] la solidité [le volume] de l'intérieur du vase abcd, c'est-à-dire le produit du carré de la base que j'appelle x par la hauteur, l'expression de cette hauteur sera a x. Puisque la solidité est déterminée, il s'agit de faire un minimum de la surface. Or la surface du fond est x 2, celle des quatre côtés est 4x multipliant a x 2. Donc la surface totale est x 2 + 4 a x x 2 = x 2 + 4 a x = x 2 + 4 a x 1 différenciant on a 2 x d x 4 a x 2 d x = 0 effaçant dx et transposant2 x = 4 a x 2 ou 2 x = 4 a x 2 ou 2 x 3 = 4 a ou x = 2 a 3. C'est là l'expression de la ligne bc. Pour avoir celle de la hauteur ab, il n'y a qu'à diviser a par le carré de cette expression. Un problème de ce genre qui serait sans doute plus intéressant serait de ne supposer aucune forme déterminée et de chercher par le calcul quelle est celle que doit avoir le vase pour contenir le plus de fluide sous la plus petite surface. Je suis bien fâché, Monsieur, de ne pas pouvoir vous proposer des problèmes comme vous avez eu la bonté de le faire pour moi, mais malheureusement j'ai très peu de livres de mathématiques qui en contiennent d'intéressants et je ne suis point en état d'en tirer de mon propre fond. Excusez-moi donc si j'entretiens avec vous un commerce de lettres dont je retire seul les avantages et permettez que je vous fasse encore quelques questions sur des objets sur lesquels je vous ai déjà peut-être ennuyé. Je me rappelle que dans le commencement que j'étais occupé des ailes de moulin à vent, j'avais trouvé une expression pour la quantité de mouvement qui était fausse, mais j'ai beau eu l'examiner depuis, je [52] n'ai jamais pu en découvrir la raison, et comme je n'aime point à rester dans l'erreur, j'espère que vous voudrez bien me montrer en quoi je me suis trompé. Je supposais pour cela toute l'aile réunie en un point afin de n'avoir point à considérer les différentes vitesses de rotation aux différents points de l'aile. Tel serait le cas d'une aile dont la longueur ab [diag] serait infiniment petite, mais qui serait placée à une certaine distance du centre c de rotation, distance qu'il n'est point nécessaire de supposer donnée dans ce cas parce qu'elle est indifférente au maximum que nous cherchons. Quoique cette supposition d'une aile infiniment petite vous paraisse absurde, elle simplifierait beaucoup la solution de notre problème et peut-être pourrait-on l'appliquer à la pratique en déterminant, suivant la forme de l'aile, un point dans lequel on peut considérer l'aile toute réunie. Je sais bien que le résultat de l'expérience serait au-dessous du résultat du calcul fait pour ce point, parce que tous les autres points sont placés moins avantageusement que celui-là, ayant ou une trop grande vitesse de rotation, ou une trop petite pour avoir le maximum de quantité de mouvement. Mais peut-être viendrait-on à bout de déterminer l'impulsion des autres points.

Quoiqu'il en soit de ces suppositions que je soumets à votre jugement, en cherchant l'expression de la quantité de mouvement pour ce cas, je vis qu'il fallait chercher l'expression de l'impulsion tendant à faire tourner l'aile et la multiplier par celle de la vitesse pour avoir la quantité de mouvement. Ce produit devait être un maximum. Pour qu'il soit un maximum, il faut qu'il y ait les deux tiers de la vitesse du vent occupée à choquer. Faisant cette vitesse = 1, nous aurons à cause de l'obliquité de l'aile 2 3 pour l'expression de la vitesse choquante prise dans une direction perpendiculaire à la surface de [53] l'aile, et comme les chocs suivent la proportion du carré des vitesses, l'expression du choc sera ( 2 3 sin y ) 2 = 4 sin 2 y. Telle est l'impulsion perpendiculaire à sa surface que reçoit l'aile. Mais pour avoir égard à la 2ème décomposition, il faut multiplier cette expression par cos y. Nous aurons 4 9 sin 2 y cos y. Telle est donc l'impulsion tendant à faire tourner l'aile. Il ne reste qu'à la multiplier par la vitesse. Or dans la figure suivante [diag] abcb représentant l'aile dont on ne voit que l'épaisseur, ab représente la direction du vent, par conséquent l'angle abc est l'angle d'incidence. Supposons que la longueur ab soit la quantité dont l'aile fuit le vent, c'est-à-dire que pendant un temps déterminé le point b se soit transporté de a en b, puisque suivant notre hypothèse la vitesse du vent pour choquer n'est que les deux tiers de la vitesse totale. La longueur ab sera donc = 1 3 de l'espace parcouru par le vent pendant le même temps. Or la ligne ab est à la ligne ac comme le rayon est à la tangente, c'est-à-dire algébriquement 1 3 x :: 1 tang y, en appelant x la ligne ac. Donc x = 1 3 tang y 1 = tang 3 y qui est l'expression de la vitesse de rotation, c'est-à-dire l'espace parcouru par l'aile pendant que le vent parcourt un espace = 1. Il ne s'agit donc plus que de multiplier cette vitesse par la force que nous avons trouvée être 4 9 sin 2 y cos 2 y. Nous aurons 4 27 sin 2 y cos y tang y pour l'expression de la quantité de mouvement qui doit être un maximum. J'ai vu du premier coup d'œil qu'il y avait une erreur et qu'avec cette expression le maximum se trouvait à 90 degrés ce qui serait absurde. Je me suis encore assuré de cette erreur par le calcul différentiel, mais je n'ai jamais pu découvrir d'où elle provenait. C'est pourquoi [54] je serais charmé que vous voulussiez bien relever mes inepties sur ce point et me donner la solution du problème dans cette hypothèse qui le rend beaucoup plus simple. Il m'est venu un scrupule sur l'expression de la résistance qu'on trouve à tirer un bateau directement, c'est-à-dire dans le sens de la quille. Supposant pour plus de simplicité [diag] que les côtés ca et cb forment une ligne droite et appelant y l'angle acf ou bcf, égal à l'angle d'incidence, il me paraît qu'il faut multiplier le choc qu'éprouverait la surface ac si elle était perpendiculaire par sin 3 y ou bien multiplier le choc qu'éprouverait la surface af par sin 2 y, ce qui revient au même . En effet dans cette dernière supposition la ligne af qui est véritablement le sin y exprime la largeur de la partie de la rivière qui choque. Il ne reste plus qu'à avoir égard aux deux décompositions qui diminuent chacune l'effet de l'impulsion dans le rapport du rayon au sinus y, donc etc. Ce qui m'avait fait douter que cette expression fût la véritable, c'est que dans le cas où l'angle d'incidence est très petit, l'expérience ne s'accorde point avec la théorie, mais j'ai pensé depuis que la résistance qu'on éprouve dans ce cas vient du frottement. J'aurais voulu pouvoir faire partir cette lettre plus tôt mais j'ai demeuré très longtemps à l'écrire parce que je suis perpétuellement détourné. Je vous prie d'excuser le peu de suite qui y règne, et de vouloir bien agréer l'assurance du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. J. S. Couppier

Finie le 26 avril.

Please cite as “L978,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L978