To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   22 mars 1802

[1285] Du lundi [22 mars 1802]

Je n'ai pas pu t'écrire hier, ma bonne amie, parce que, profitant de la vacance du decadi [30 ventôse], M. Clerc et moi avons passé toute la journée à des expériences de chimie. Je ne fus souper qu'à dix heures, bien las d'avoir pilé, broyé, porté du charbon et soufflé le feu pendant 12h[eures] ou 13 h[eures], mais bien content d'avoir réussi à quelques expériences et de m'être lié de plus en plus avec M. Clerc. C'est ce qui vaut le mieux sans comparaison de tout ce qui se trouve ici près de moi, sans prétendre au reste attaquer en rien le mérite des autres.

J'ai été ce matin chez Pochon, qui m'a remis 4 lettres, bien précieuses pour moi. Si tu en vois les auteurs, dis-leur que je leur répondrai dès que j'aurai un moment. Je dois aussi depuis longtemps une[1286] réponse à Périsse ; dis-lui que je pense souvent à lui et que je regrette, en voyant mes élèves de Bourg, de n'y point trouver les dispositions que j'avais rencontrées dans mon premier élève  ! Je suis bien inquiet, ma bonne amie, de tout ce que j'apprends par ta lettre. J'espère que ta maman est remise à présent, mais que tu as dû être triste. Et ta maman fatiguée, à la fois de son mal, de celui que tu te faisais et de l'état habituel qui n'est pas trop rassurant 1. Je n'ai pas encore pu savoir l'état où tu te trouves précisément, si cette grosseur est toujours de même. Je vois, par ta lettre de ce matin, que tu es toujours à un certain égard dans une fâcheuse position ; mais je voudrais savoir depuis quel temps tu es dérangée. N'attendais[1287] tu pas la fin de février, et je ne crois pas que rien ait paru. Nous voilà bientôt à celle de mars. Pense un peu, ma petite, à la nécessité de veiller sur ta santé, pour moi, pour ton petit, ta maman et tout ce qui t'entoure ! Consulte qui tu voudras, mais ne reste pas comme ça sans rien faire de ce qui peut t'être nécessaire ! Il faut bien que tu n'aies rien fait depuis que je suis ici, puisque tu ne m'as parlé de rien. Ma bonne amie, je ne voudrais pas t'ennuyer ni te fatiguer ; mais pense quel bonheur ce serait pour nous tous si tu pouvais rétablir parfaitement ta santé !

Du mardi [23 mars] Je me suis informé du prix de la voiture par Mâcon. On prétend qu'une diligence nouvelle y conduit pour 40 s[ols] et M. Beauregard m'a dit qu'il était allé de Lyon [1288] à Mâcon par l'ancienne diligence pour 3 l[ivre]s 10 s[ols]. Il y a ensuite une voiture très commode de Mâcon ici qui ne coûte que 3 l[ivre]s et qui fait le trajet en 6 ou 7 h[eures] à ce qu'on dit ; tu vois que cette route est assez facile, mais ton état t'empêchera peutêtre de faire ce petit voyage. Il faudra sur le tout consulter tes forces et ta santé, et penser un peu au bonheur de ton mari ! Si tu pouvais passer quelque temps auprès de lui, tu te rentournerais {sic} dès que tu t' ennuierais  ; mais tu aurais consolé mon exil et peuplé Bourg pour moi de jolis souvenirs.

Du mercredi [24 mars] Sais-tu, ma bonne amie, que j'ai manqué aller hier à la[1289] comédie ? J'aurais voulu voir la salle et juger du mérite des acteurs pour t'en faire part. Cette troupe joue ici la moitié de l'année et à Mâcon l'autre moitié ; elle y était pendant le carnaval \2 mars/ et n'est revenue que depuis 10 à 12 jours. Ce qui m'a été [dit], c'est que M. Mermet et M[ada]me Beauregard qui ont vu jouer à Paris prétendent qu'on joue bien ici. Il m'en aurait coûté 12 s[ols] pour le parterre ; les loges sont à 18 s[ols] et à 30 s[ols]. Si tu veux des billets d'entrée, je t'en porterai à Pâques. Je voudrais bien qu'après avoir tout combiné, l'état de ta santé et le plaisir que me ferait ton voyage, tu me susses dire si tu le[1290] regardes comme facile, parce qu'il faudrait bien alors que tu m'envoyasses un lit jaune, des chaises et tout ce dont tu prévoirais avoir besoin. Quant à la permission, M. Riboud, à qui j'en ai parlé, m'a dit que le préfet me la donnerait par écrit dès que je la lui demanderais.

Les mêmes occupations qui m'ont empêché d'aller hier à la comédie ne m'ont pas laissé le temps d'écrire à ta maman ; ce sera pour la première occasion. Je te prie, en attendant, de lui dire de ma part tout ce que tu sais que je pense propre à suppléer à une lettre. J'attends de ses nouvelles et des tiennes avec la plus grande impatience. J'espère en recevoir aujourd'hui[1291] ou demain ; car tu sais qu'une petite lettre de ma Julie, entre les deux qu'apporte Pochon, vient chaque semaine interrompre l'uniforme ennui de ma vie. N'oublie pas, ma charmante amie, de me faire part de ta décision au sujet du petit voyage ; car, si elle était favorable à ton mari, nous n'aurions que le temps tout juste de faire les envois et les préparatifs nécessaires. Pense que nous viendrons tous deu[x] en passant par Mâcon à meilleur marché que je ne suis, moi tout seul, venu ici !

J'ai fait un arrangement avec la Perrin, par lequel, à compter d'aujourd'hui, elle me fournira à déjeuner tous les jours pour 2 s[ols] [1292] par jour, ce qui fait 3 l[ivre]s par mois. M[ada]me Beauregard fournit le vin pour mes déjeuners  ; cela a été réglé dans les 40 l[ivre]s de pension. Adieu, ma bonne amie, je vais vite porter cette lettre chez Pochon, car voilà dix heures. J'embrasse le petit et sa maman, à qui je recommande de lui parler souvent du papa qui est à Bou[rg] et qui lui portera du bon à Pâques. A. AMPÈRE

A Madame Ampère née Carron, maison Rosset, grande rue Mercière Maison Rosset n° 18, , à Lyon.
(2) Réponse à la lettre du 16-19 mars.

Please cite as “L99,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L99