From Sollier    [8 octobre 1826]

Du 8 8bre [octobre] 1826
[1] Monsieur,

Je vous l'ai dit, en fait de sciences physiques je suis un barbare, un vrai Kalmuck. J'en avais peut-être l'instinct comme vous en avez le génie, mais il m'eût fallu de l'instruction et à vingt ans je ne savais pas écrire ; eh puis imaginez une vie tourmentée par tous les orages du cœur et les douleurs de la misère... J'aimais surtout les choses d'invention, il m'a souvent semblé qu'on m'avait volé mes idées... Cela n'est pas étonnant, puisque la Science s'accroît de ses propres progrès. Je vais vous donner celle dont je vous ai parlé, et dont je me serais déjà occupé il y a longtemps si ma situation eût été stationnaire.

[2] Il s'agit de faire un cerf-volant de taffetas ; d'avoir un cordon de passementerie en cuivre qui ne peut manquer d'être un bon conducteur ; de placer à la distance de 200 ou 300 toises de l'instrument, des crochets en verre qui intercepteront le fluide pour le faire entrer dans des condensateurs, assez faibles pour faire explosion, et donner la mesure de l'intensité du fluide dans la [nuée].

Je vois qu'on pourrait élever le rayon d'inclinaison de la corde, qui ordinairement n'est guère au dessus de 45 degrés en admettant qu'il soit possible d'adapter un second cerf-volant à une grande distance du premier et au même cordon. Mais maintenu dans une position qui déterminât l'élévation du rayon de quelques degrés, il est évident qu'en obtenant le résultat, on pourrait plonger, dans la nuée en temps d'orage et apprécier le degré d'intensité électrique.

C'est monsieur Robertson qui m'a invité à vous prier de me faire assister à l'une de vos expériences. Je n'osais point supposer que vous eussiez eu l'extrême bonté de venir me prendre dans ma Chartreuse pour me faire cet honneur et ce plaisir. J'en ai été vivement touché et je ne l'oublierai jamais. A propos de Robertson, je lui ai dit que s'il trouvait un moyen de donner une action horizontale au ballon, le problème des voyages aériens était résolu. J'ai ajouté que je ne trouvais rien de plus facile... et je persiste après plus d'un examen.

Je crois donc qu'il peut exister un moteur pour voyager en temps calme. Il est constant qu'ici, ni les voiles, ni les rames, ni les rouages à aubes ou à engrenages mécaniques ne nous peuvent être d'aucune utilité parce que nous manquons de base et que nos moyens s'appuient sur un moteur dont nous sommes le jouet. Mais l'oiseau vole bien, et presque toujours dans le sens horizontal ? Eh bien, faisons comme lui. Il ne présente à l'air, dans son action de progression, que le tranchant de sa voile, ayons aussi une [3] voile dont nous ne présentions que le tranchant, pendant la reprise d'action, et qui se déploie par un mouvement régulier et alternatif de va-et-vient, soit que cette voile soit en forme de parachute, ou par un déploiement carré.

Je ne fais nul doute qu'il ne soit très praticable d'établir ce mécanisme d'une manière très simple et d'une exécution facile, car je ne conçois guère que des choses possibles, malgré mon inquiétude d'esprit.

J'aurai peut-être encore l'honneur de vous présenter mes respects et mon admiration un de ces jours que vous fructifiez en rivalisant avec le Créateur...

Sollier, employé au bureau de la fourrière, Rue Mazarine n°29.

Please cite as “L997,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L997