From Ampère André-Marie to dit Couppier Viry Couppier Jean-Stanislas   4 janvier 1796

[1] Ce 4 janvier [1796]

Je viens enfin, Monsieur, de recevoir la lettre que j'attendais avec tant d'impatience depuis mercredi. Je me mets tout de suite à y répondre, quoique celle-ci ne doive partir que dimanche, mais sitôt que je reçois de vos lettres je ne peux plus penser à autre chose jusqu'à ce que ma réponse soit partie. Vous me demandez d'abord le détail des observations marines pour découvrir la position d'un vaisseau 1. Je vais tâcher de vous en donner une idée.

D'abord, quoique l'horlogerie ait eu tant de peine à réussir dans la construction des montres marines qui devaient aller sans se déranger pendant plusieurs mois malgré les secousses de la mer, que je ne sais même pas si elle y est parvenue, on a des montres marines qui sont assez exactes pendant vingt quatre heures, pour qu'on n'ait aucune erreur à craindre de leur part dans un si petit intervalle. On suppose aussi le pilote garni de tables des mouvements célestes, et capable de faire tous les calculs nécessaires à leur usage, au moyen de quoi la situation des astres lui est parfaitement connue.

Dans cette supposition, vous concevez facilement qu'en mesurant la hauteur d'un astre dont la déclinaison est connue à un instant connu, on en peut conclure la latitude du lieu. Car dans le triangle sphérique PZS, formé [diag] par l'arc du méridien ZP, celui du vertical ZS et du cercle de déclinaison PS de l'astre, on connaîtra les deux [2] côtés ZS, PS, compléments de la hauteur observée et de la décl[inaison] de l'astre et l'angle horaire ZPS, qui est égal à la diff[érence] du temps de l'observation, et de celui de l'astre par le méridien dont le passage se calcule par les tables. Ce qui donnera par les règles de trigonométrie sphérique le côté inconnu ZP, complément de la latitude qui est toujours égale à la hauteur HP du pôle.

Au reste cette méthode ne peut servir que quand la montre marine vient d'être réglée pour le lieu où l'on est. Mais l'on peut se passer de cette condition en observant le même jour deux hauteurs du même astre. Alors la montre ne sert qu'à indiquer l'intervalle des deux observations. Avec cet intervalle et les deux hauteurs, on peut déterminer à la fois la latitude et l'intervalle des observations au passage de l'astre par le méridien. Ajoutant cet intervalle à l'heure que marquait pour lors la montre, on a celle qu'elle montrait à ce passage, et comme on sait par les tables celles qu'elle devait montrer, on peut aisément la régler.

Avec trois hauteurs du même astre à des intervalles connus, on pourrait déterminer à la fois la hauteur du pôle, l'heure du passage de l'astre suivant la montre, pour la comparer à celle des tables, et la décl[inaison] de l'astre. Mais ce problème est inutile aux marins qui trouvent toujours cette dernière quantité dans leurs tables. Il ne sert qu'à trouver par trois observations d'une même tâche du Soleil ou de la Lune, le temps de leurs révolutions, le lieu de leur pôle, et la situation de la tache sur leur surface en y supposant des long. et lat. solaires et lunaires comme sont les terrestres sur notre globe. [3] Quant à la long., pour sentir toute la difficulté de sa détermination, il faut faire attention que le mouvement diurne qui détermine la latitude ne peut point y servir, puisqu'il ne fait que faire passer successivement les mêmes dispositions des astres par rapport à l'horizon, du moins en les supposant fixes. D'où il résulte que ce n'est que dans les mouvements propres des astres planétaires qu'on peut en chercher la solution. En effet si une planète couvrait une étoile lors de son passage au méridien d'un lieu et qu'elle s'en éloignât par ex. d'un degré en deux heures (comme ferait la Lune), dans l'instant où cette étoile passerait au méridien d'un autre lieu qui aurait une long. diff[érence] de 4 heures, ou 60°, la disposition générale du ciel y serait diff[érence] de celle qui avait lieu au premier passage en ce que la Lune serait à 2° de l'étoile qu'elle cachait dans le premier cas. Et c'est cette différence qui pourrait faire connaître celle des longitudes.

C'est ainsi que si on sait qu'une éclipse doit arriver un certain jour à 4h à Paris, et qu'on ne l'observe qu'à 6, on sera sûr d'être à 30° de long. orientale du méridien de Paris. En effet, quand il était 4h dans cet endroit, l'état du ciel différait de celui qui avait lieu à Paris aussi à 4h (c.à.d. deux heures après) en ce que l'éclipse n'existait pas encore. Et puisqu'il a fallu attendre encore deux heures pour qu'elle eût lieu, il est nécessaire qu'il soit 6h dans cet endroit quand il en est 4 à Paris, et qu'ainsi la diff[érence] en long. soit de 30°. Cela suppose que l'éclipse doive s'apercevoir au même instant dans tous les lieux de la Terre où elle est visible, comme il arrive quand le corps éclipsé perd réellement sa lumière, ainsi que pour la Lune et les satellites de Jupiter. Pour les éclipses du Soleil et [4] des étoiles par la Lune, elles paraissent différemment en différents pays par l'effet de la parallaxe. Mais comme on la connaît parfaitement, cela ne fait qu'allonger le calcul sans le rendre moins exact. Il l'est même davantage à cause de l'exactitude de l'observation, où l'on voit par exemple une étoile se cacher derrière la Lune et reparaître avec la rapidité d'un éclair, tandis que l'ombre de la Terre est très mal terminée et environnée d'une vaste pénombre qui gêne beaucoup, et que celle de Jupiter ne cache que peu à peu ses satellites qui paraissent plus ou moins longtemps suivant la bonté des lunettes et même celle des yeux.

On ne peut point en mer observer ces satellites dont les éclipses journalières seraient si commodes, à cause des oscillations du navire. Et comme celles de la Lune, et même des étoiles par cet astre, sont trop rares, on se contente d'observer une distance de la Lune à une étoile ou au Soleil, dont la position est parfaitement connue, avec l'octant. On calcule ensuite, par les tables qui sont faites pour le méridien de Paris, l'heure qu'il était dans cette ville quand la Lune était à cette distance. On prend la différence de cette heure et de celle du lieu où l'on est, donnée par la montre marine réglée par deux hauteurs observées comme je l'ai déjà dit. La diff[érence] de ces deux heures donne celle des long. à raison de quinze degrés par heure. La position du lieu exactement déterminée par cette long. et la lat. déjà observée, on est à même de refaire plus exactement les calculs de la parallaxe, et l'on recommence le calcul sur ces nouveaux éléments quand on y veut mettre toute l'exactitude possible, ce qu'on ne fait que pour les éclipses d'étoiles [5] observées sur la terre pour connaître les longitudes des villes avec la dernière précision. Ces éclipses sont ce qu'il y a de plus exact parce qu'on en voit l'instant de la fin et du commencement, dont celui-ci ne peut s’observer dans les éclipses de soleil. Il faut seulement choisir des observations faites dans le décours, parce que l'immersion, qui arrive pour lors dans la partie éclairée, est toujours assez visible puisque l'on voit l'étoile, tandis que l'œil fatigué de la lumière de la Lune ne s'apercevrait pas de l'instant de l'émersion si l'étoile ne sortait pas de derrière un corps obscur.

Vous voyez que les méthodes astronomiques ne peuvent servir qu'à des pilotes instruits. Quant aux autres 2, je ne sais point d'autre manière que d'observer à la boussole l'angle de leur route et du méridien, d'en observer la vitesse par la force du choc de l'eau de la mer sur la planche du trochomètre 3, dont vous avez pu voir la description dans l'Encyclopédie, de tirer ensuite sur leur carte une ligne sous ce même angle, et dont la longueur depuis le point de départ, et ensuite depuis le bout de la ligne précédente quand on change de route, soit égale au produit de cette vitesse par la durée du trajet, ce qui leur donne à peu près leur position, dans les voyages d'une petite étendue. Mais les erreurs du trochomètre quand on rencontre des courants, et les autres défauts d'une pareille méthode me persuadent que les ignorants ne se chargent de voyages de long cours qu'en exposant leur vie et celle des passagers, d'autant mieux qu'après une tempête je ne vois aucun moyen de se reconnaître sans recourir aux calculs astronomiques tels que je viens de vous les expliquer.

[6] La nutation n'est point la grande période de 26 600 ans, mais l'inégalité de cette période qui s'appelle précession des équinoxes. Cette inégalité a, comme je vous l'ai déjà dit, une période de dix-huit ans qui dépend de celle des nœuds de la Lune. Il s'agit maintenant de vous expliquer cette précession et son inégalité, avec la cause du mouvement des nœuds qui y est intimement liée (fig. 2) [diag].

Soit T, V, deux planètes qui tournent autour du point S, et cherchons ce qui résulte de l'attraction de T sur V. Si l'on décompose cette force VZ en deux autres VY dans le plan de l'orbite de V, et VX perpendiculaire à ce plan, il est clair que la première ne fera qu'altérer la forme de l'orbite et changer son aphélie, tandis que l'autre changera la position du plan de l'orbite sans toucher à sa forme. La force VX, qui est la seule que nous devons considérer ici, tend toujours à rapprocher la planète V du plan de l'orbite de T. Et c'est ce qui vous a fait penser qu'elle devait diminuer l'inclinaison des orbites jusqu'à les confondre, ou, ce qui revient au même, détruire peu à peu l'inclinaison de notre équateur sur l'écliptique. Mais il en va bien autrement, l'inclinaison reste constante et le nœud change de place.

En effet quand la planète V a passé son nœud, la force VX, combinée avec sa vitesse actuelle, lui fait prendre une direction VQ, qui, prolongée [7] [diag] en M, donne la nouvelle position du nœud en vertu de cette action, qui le fait évidemment rétrograder sur l'orbite de T dans la direction NM qui est contre l'ordre des signes suivant lequel se meuvent les planètes. Elle diminue aussi l'inclinaison puisqu'au lieu de l'angle VNR, c'est l'angle VMR visiblement plus petit.

Mais quand l'astre est parvenu en υ et qu'il se rapproche du nœud, la même force [nu]x lui donne la direction [nu]q qui augmente l'inclinaison [nu]nr en la changeant en un plus grand angle [nu]mr, tandis que le nœud venant de n en m continue à rétrograder. Par ce moyen, l'inclinaison augmentant et diminuant tour à tour de quantités insensibles (si ce n'est dans la Lune dont l'inclinaison, à cause de l'attraction du Soleil et de ce qu'il est beaucoup plus gros que la Terre, a un petit balancement) ne paraît point varier sur le plan de l'autre planète T. Et l'action de la force VX se réduit à faire rétrograder les nœuds sur cette orbite parce que ce mouvement étant toujours dans le même sens, quelque soit la position des planètes, s'additionne sans cesse.

[8] Observez que ce mouvement, en laissant subsister la même inclinaison sur l'orbite de T, peut faire varier celle de l'orbite de V sur tout autre cercle [diag]. En effet, supposons que le cercle FG, dont le pôle est en R, se meuve de façon que ses nœuds M, N, sur le cercle DE dont le pôle est en Q, rétrogradent dans la direction NS, de manière que l'inclinaison GNS = la distance PQ des pôles, reste constante. Il est clair que ce pôle R, toujours à la même distance de Q, décrira un cercle autour de ce point Q. Mais que si l'on veut mesurer l'inclinaison GOB sur un autre cercle AB dont le pôle est en P, et qu'on suppose fixe aussi bien que DE, cette inclinaison toujours égale à PR, diminuera nécessairement par le mouvement de R autour de Q, pour augmenter ensuite quand le pôle R aura passé de l'autre côté du grand cercle QPT. On pourra même calculer cette inclinaison GOB = PR, pour chaque valeur de l'angle PQR par le moyen du triangle sphérique PQR dans lequel on connaît, outre cet angle, les deux côtés PQ, QR.

C'est ainsi que l'attraction des planètes entre elles fait varier leur inclinaison sur l'écliptique mais d'une quantité très petite, de sorte que si FG est l'orbite de Mars par ex., son inclinaison sur l'orbite DE de Jupiter reste constante, quant à l'action de cette planète, mais ne laisse pas de varier sur l'écliptique AB. Quand on calcule le mouvement des nœuds de la Lune, on suppose que le Soleil tourne avec elle autour de la Terre et dans l'écliptique, ce qui revient au même pour le mouvement des nœuds de la Lune. Et l'on conclut de ce qui précède que l'inclinaison de l'orbite [9] lunaire sur l'écliptique est constante quant à sa quantité moyenne, c.à.d. sauf le balancement dont je vous ai déjà parlé, mais que le mouvement rétrograde des nœuds doit faire varier cette inclinaison sur l'équateur, et que ce mouvement doit être considérable à cause de la masse du Soleil. Vous savez qu'il achève le tour du ciel en 18 ans 228 jours 4 heures 52'52''.

L'attraction des planètes, et surtout de ♃ et de ♀ , fait tourner le pôle de l'écliptique qui est le pôle de l'orbite de la ♁, autour de ceux des orbites de ♃ et de ♀ . Il en résulte un changement de position dans ce cercle, qui fait diminuer maintenant de 44'' par siècle son inclinaison sur l'équateur. Ce cercle n'étant point affecté par l'action des planètes du moins sensiblement, malgré le renflement de la Terre, à cause de leur distance, vous verrez que dans 18 ans 228 j. la nutation fait augmenter et diminuer cette inclinaison. Mais son effet la rétablirait au même point sans cette diminution constante. Voyons maintenant comment l'action du Soleil et de la Lune sur le renflement de l'équateur terrestre fait reculer le point équinoxial qui est proprement son nœud sur l'orbite du soleil.

Vous croiriez que cette action devrait diminuer l'obliquité dans changer l'équinoxe. Cela pourrait être sans la rotation de la Terre. Mais il faut raisonner ici comme sur les nœuds des orbites planétaires et considérer ce renflement comme composé d'un grand nombre de satellites qui tournent autour de la Terre en 24 heures. On voit aussitôt que ces satellites supposés séparés les uns des autres, ne doivent point changer leur inclinaison sur l'orbite du Soleil par l'attraction de cet astre, mais voir reculer leurs nœuds le long de l'écliptique. La même chose aura encore lieu en supposant ces astres enchaînés [10] comme un chapelet, puisque dès qu'ils suivaient la même route séparés, rien ne peut les empêcher de la suivre encore, et même en les supposant réunis en une couronne circulaire semblable au renflement de la Terre, dont le pôle doit par cons. tourner autour de celui de l'écliptique comme il fait en 26 600 ans. Si la Lune faisait, comme le Soleil, sa route dans l'écliptique, et toujours à même distance de l'équateur, son effet sur ce renflement se joignant à celui du Soleil ne ferait qu'augmenter la précession qu'il produit, sans la rendre inégale, et sans changer l'inclinaison de l'écliptique. Mais quand le nœud ascend[ant] de la Lune est dans le Bélier, son orbite fait avec l'équateur un angle = 23 1 2 ° + 5 ° = 28 1 2 °, et son action est bien plus grande que quand il est dans la Balance, et qu'elle ne fait plus qu'un angle de = 23 1 2 ° 5 ° = 18 1 2 °. D'où résulte premièrement une inégalité dans la précession dont la période est de 18 ans 228 jours comme le mouvement des nœuds, et en second lieu un changement dans l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique. D'où résulte le petit balancement de l'axe de la Terre qu'on appelle proprement nutation, parce que le petit changement de cette inclinaison qui se fait dans une demi révolution ne peut être corrigé dans la suivante où la force a changé, et qu'en un mot l'action de la Lune laissant l'inclinaison de l'équateur constante sur son orbite, ne peut manquer en faisant rétrograder ses nœuds de la rendre variable sur l'écliptique. Il est clair que la période de cette nutation doit encore être égale à celle des nœuds de la Lune.

Je ne sais, Monsieur, comment j'ai fait de me jeter dans une telle dissertation qui doit vous [11] paraître d'une excessive longueur, mais je ne m'aperçois jamais de ma prolixité, quand je me livre au plaisir de vous écrire, qu'après avoir abusé entièrement de votre patience. Au reste, si vous vous donnez la peine de l'étudier, et de la transcrire dans votre cahier astronomique, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'interrompre la suite de vos constellations. Et je vous conseillerais même d'attendre pour cela que nous ayons passé le chapitre des planètes dont cette théorie, et celle de toutes les inégalités que produisent dans le mouvement des planètes, et surtout de la Lune, leurs attractions mutuelles, doit couronner la fin.

Vous me disiez dans votre lettre que le mouvement de 26 600 ans était exécuté par le pôle de l'écliptique autour du pôle de l'équateur. J'aimerais mieux dire que c'est celui-ci qui tourne autour de l'autre, puisqu'il répond successivement à différentes étoiles, et que celui de l'écliptique ne varie point par la précession mais seulement par le petit mouvement de 44'' par siècle autour des pôles de ♃ et de ♀ .

Je me suis disputé un jour avec un sot qui prétendait que la précession ne pouvait faire répondre le pôle de la Terre à différentes étoiles, sans en changer la position sur notre globe. Il s'attendait en conséquence à voir (après sa mort) Paris ou Lyon sous le pôle. Je tâchais de lui expliquer que le pôle ne pouvait se déplacer sur la Terre, ne fut-ce qu'à cause du renflement de l'équateur ; mais comme à l'ordinaire chacun garda son opinion. Je n'avais pas encore M. de Lalande où je lui aurais fait lire sa condamnation.

Pour suivre l'ordre de votre lettre, je retombe du haut du ciel sur quelques petits morceaux [12] de cartons peints de noir et de rouge[des cartes à jouer]. Vous vouliez savoir quelle partie peut durer plusieurs semaines. Il faut donc vous avouer que les miennes ne durent pas trois minutes. Je préférerais sans doute un jeu comme le vôtre où l'esprit peut se développer, mais je ne trouverais pas de joueurs, et maman qui serait assez habile pour cela de grand reste, ne s'en occupe jamais. En conséquence, nous jouons une quantité de petits jeux enfantins que nous ont appris différentes personnes, entre autres Morandy qui jouait de même quand elle était chez les demoiselles Trollier, parentes des demoiselles Millières 4, et chez lesquelles elle passait avec Goua une partie de la belle saison. Bien loin que ces parties soient si longues, elles finissent la moitié du temps dès le premier coup. Vous comprenez combien il serait fastidieux de compter sans cesse des fiches. Nous ne le faisions d'abord qu'à la fin de la soirée. Bientôt nous avons remis ce calcul au temps où l'un des joueurs sera ruiné, c.à.d. quand il aura perdu toutes ses fiches. Nous en avions fait quatre paniers de deux ou trois coffres de 6 paniers, et en établissant les contrats pour dix fiches, et de certains jetons pour cent, nous avons commencé avec 800 ou 900 fiches chacun. Depuis 4 ou 6 mois personne n'est encore ruiné. Mais je me suis trouvé réduit un jour à trente et par cons. sur le bord du précipice. J'en ai été pourtant quitte pour la peur et la fortune, par inconstance ou pour me donner des étrennes, m'a porté à quatre cents le jour de l'an. Sa faveur n'a pas duré : hier dimanche je suis retombé à deux cents, il faut bien compter sur votre amitié pour un pareil détail, mais j'ai tant d'envie de pouvoir partager la joie de vos [13] succès ou la peine de vos revers dans tous les genres que je l'ai fait exprès, pour que vous ne puissiez me refuser de me faire part des décisions de la fortune à votre égard.

Une comète a été visible par extraordinaire pendant 7 mois. Je ne sais si vous pourrez voir l'anneau de Saturne puisque vous ne distinguez point le diamètre apparent des planètes. Je me souviens que le télescope qui me découvrait l'anneau donnait un diamètre très sensible à Jupiter. Je l'estimais à la vue d'une demi ligne. Le diamètre apparent des planètes devient bien plus grand dans de grands télescopes ou de grandes lunettes. Le télescope de l'Observatoire de Lyon, où M. Mollet a eu la bonté de me laisser entrer deux fois, m'a fait voir Vénus en quadrature aussi large que la Lune à la vue simple, et l'anneau de Saturne de la grandeur d'un œuf. Vénus est encore plus large près de sa conjonction inférieure, où son croissant est très étroit. Vous la verrez pour lors avec votre lunette au moins d'une ligne de diamètre, ce qui répond complètement à l'objection que vous me faites au sujet de l'héliomètre, qu'on n'applique jamais qu'à une lunette simple, pour mesurer ces diamètres. Je ne crois pas que vous puissiez trop espérer de voir, après celle d'Orion 5, d'autres nébuleuses que celle d'Andromède. Mais pour celle-ci, il faut d'autant moins se décourager qu'elle paraît très bien à la vue simple pour ceux qui ont de bons yeux 6, et qu'elle est deux fois et demie plus large que celle d'Orion.

Comme Andromède ne peut se voir dans le mois de Xbre [décembre] qu'en se couchant sur le dos, je [14] ne l'ai point cherchée. Je m'en suis dédommagé sur celle d'Orion. Il y a un mois que je la cherchai, et que je vous écrivis 7 que j'avais vu une figure jaune de cette forme que la couleur m'empêchait de prendre pour la nébuleuse. J'ai cherché et recherché depuis ; j'ai toujours revu la même chose, il faut bien enfin que ce soit la nébuleuse. Pour m'en assurer davantage je vous dirai que je l'ai vue placée entre six étoiles assez brillantes qui faisaient à peu près cette figure 4 dans la lunette.

[diag] La nébuleuse du Cancer n'est qu'un amas d'étoiles, comme les Pléiades, qui ne mérite plus ce nom. Je l'ai vue et revue à la vue simple, mais mes yeux sont si mauvais que je ne saurais la distinguer des Ânes, le tout me semble, de même que la tête de l'Hydre et celle du Lynx, une grande tache brillante. Quand les étoiles de 4ème grandeur, telles que la première étoile γ du Bélier, qui est auprès de la corne occidentale β ♈, α et β ♋, etc. sont dispersées et séparées les unes des autres, j'ai beaucoup de peine à bien les distinguer, et j'en ai encore plus à apercevoir quelques traces de celles de 5ème grandeur.

Il n'y a pas grand'peine à prendre sur un globe les alignements que je vous ai envoyés, et quand il y en aurait eu davantage je n'aurais pas laissé davantage l'occasion de pouvoir vous faire plaisir. Quant aux asc[ensions] dr[oites] et aux décl[inaisons] des étoiles de première grandeur je les ai prises dans ce catalogue où elles sont avec les long. et lat. mais sans aucun [15] alignement, comme on le voit à la seule inspection de ce catalogue, dont vous avez un petit extrait dans cette table des étoiles de 1ère grandeur J'ai aussi pris dans ce catalogue la liste de celles de 2de et des douteuses, ne voulant m'en rapporter sur cela ni à mes yeux, ni à mon globe.

Ce n'est pas que M. de Lalande ne donne aussi quelques alignements, mais en petit nombre, à la fin de son 3ème livre. Je ne m'en suis jamais servi depuis que j'ai un globe, parce que je trouve plus commode de les y prendre. Vous verrez quand vous en aurez un que le seul moyen de reconnaître ces étoiles dans le ciel est d'y prendre vous-même ces alignements, ne fut-ce qu'à cause de ce que leur disposition est renversée sur le globe, et qu'on prendrait continuellement la droite pour la gauche sans le secours des alignements. Je crois comme vous que quand les étoiles étaient sensiblement de même grandeur, on y a mis les lettres dans un certain ordre assez arbitraire, mais déterminé au gré de l'inventeur, et qui n'est peut-être bien souvent que celui des passages au méridien. Je ne sais d'où vient le nom de Gardes de la Petite Ourse aux deux roues γ et β de derrière.

Mon globe et M. de Lalande appellent la Lyre Véga. Je n'ai pas mis Castor dans la liste des secondes grandeurs, parce qu'il est marqué 1.2 dans le catalogue c.à.d. douteuse entre la première et la 2de. Je devais en conséquence le mettre dans la liste des étoiles de 1ère grandeur. Si je l'avais oublié, vous devriez l'y joindre avec une asc[ension] droite de 110°21'38'' et une décl[inaison] de 39°19'33''. B.

Pollux est marqué dans ce même catalogue comme dans ma liste 2.3. Peut-être que son éclat a augmenté [16] puisque votre auteur place son [ceginus ]à une épaule. Ce ne peut guère être la tête β, d'autant qu'il y a deux étoiles aux deux épaules presque aussi brillantes, γ occidentale et δ orientale - la droite et la gauche ne peuvent décider laquelle des deux, car comme je crois vous l'avoir déjà écrit, cela dépend de la fantaisie du graveur qui peut tourner ses figures comme il lui plaît.

Vous étiez, à ce que je crois, dans l'erreur au sujet des cornes ♉. La plus brillante β est à la fois boréale ou occidentale. On la voit sur la ligne qui va des Pléiades à Pollux. L'autre corne ζ est sur le prolongement de la ligne de la mâchoire α de la Baleine par Aldébaran. Il y a apparence que vous preniez pour une de ces cornes le pied ι du Cocher qui est au milieu de la ligne qui va de la Chèvre à Aldébaran. Au reste cette erreur ne doit être imputée qu'à moi, et à ma fig. qui était, si je m'en souviens bien, un peu défectueuse dans la position de ces cornes. [diag]

fig. 5 Vous verrez par cette figure du Lion que vous ne vous êtes trompé dans aucune de vos conjectures sur cette constellation, et que vous en aviez deviné cinq lettres avec une exactitude singulière. Vous y apprendrez aussi les noms de toutes ces étoiles, jusqu'à γ où elles commencent à devenir invisibles. Ce qu'il y a de singulier c'est que vous m'avez marqué de 3ème grandeur l'étoile ψ qui est une des dernières lettres de l'alphabet, et que mon globe ne marque que de la 6ème ; d'où il suit que c'est une étoile changeante.

[17] Pour ce qui est du rapport d'Herschel 8 et de la platine, je ne voulais 9 pas ravir à Herschel l'honneur si bien mérité de nommer sa planète, mais fournir aux alchimistes un nom mystérieux pour la platine, et aux chimistes un signe pour la représenter d'une manière analogue aux autres métaux.

Pour l'origine des signes du Zodiaque et des planètes, elle se perd dans l'obscurité des temps. M. de Lalande rapporte l'invention des signes au temps de la mort de Jacob [en ]1700 avant Jésus-Christ, et il dit qu'avant l'ère de Nabonassar 10 [en ]746 avant J.-C., les Chaldéens avaient déjà une idée approchée des révolutions des planètes, qui ne furent cependant déterminées avec précision, ainsi que les inégalités de leurs mouvements, que par Ptolémée qui travailla depuis l'an 125 jusqu'à 140 après J.-C.

Il faut maintenant vous décrire le micromètre 11 dont on se servait avant l'invention de l'héliomètre par M. Bouguer 12, pour mesurer les diamètres planétaires et dont on se sert encore pour mesurer les secondes des quarts de cercle. [diag] Il est composé [d’une ]plaque XY, avec un trou ovale TV traversé des deux fils fixes AB, CD, comme il y en a toujours au foyer des lunettes (où l'on met le micromètre). Mais il y a en outre un fil mobile EF parallèle à DC, et porté sur une espèce de fourche MOQPN, qu'on approche ou qu'on éloigne au moyen de la vis KH, dont l'aiguille L marque la distance des deux fils DC, EF, sur le cadran G.

Vous concevez que cet instrument peut servir à mesurer le diamètre apparent des astres en en renfermant l'image entre ces deux fils, et qu'en [18] supposant qu'ils sont perpendiculaires au plan d'un quart de cercle, qui ne soit divisé par ex. que de 5' en 5', on mettra la lunette sur la division la plus proche de l'astre, et on fera mouvoir le fil mobile jusqu'à ce qu'il rencontre l'astre. Arès quoi l'on ajoute la distance des deux fils, marquée sur le cadran G, à l'arc marqué sur le limbe de l'instrument, en supposant comme cela doit être que cet arc réponde exactement au fil fixe.

[diag] Au reste comme on s'est aperçu que l'image était plus irrégulière quand elle n'était pas au centre de la lunette, on préfère aujourd'hui la division de Vernier 13 de la fig. 7, où l'arc A qui répond par ex. à l'arc EF de 10 parties du limbe est divisé en 11, ce qui [fait ]que les distances des divisions correspondantes sont de 1 11, 2 11, 3 11, etc. de EF. Je me rappelle d'une erreur où je vous ai jeté d'après mon globe, quand je vous ai dit que la petite const[ellation] qui est entre les Pléiades et le Triangle, et que vous appeliez avec raison la Fleur de lys, s'appelait maintenant la Mouche. Mon globe la nomme en effet de cette manière, mais cela est d'autant plus ridicule qu'il place une autre const[ellation] sous le même nom au pied de la Croix du sud. Pour savoir quelle était la véritable Mouche, j'ai consulté le catalogue de M. de Lalande et j'ai vu qu'il ne donnait ce nom qu'à cette dernière const[ellation] et qu'il appelait le Lys celle qui est entre les Pléiades et le Triangle.

J'ai entendu dire comme vous qu'on voyait les étoiles du fond d'un puits. Je le crois facilement mais non pas qu'on se serve jamais de cet [19] expédient pour faire des observations. Ce sont les lunettes qui procurent cet avantage aux astronomes, et particulièrement la lunette parallactique. Car s'il fallait chercher à la lunette une étoile qu'on ne voit pas par le simple tâtonnement, je doute qu'on en vînt à bout. Mais rien n'est plus aisé avec la lunette parallactique : on l'incline sur l'axe d'une quantité égale à la décl[inaison] de l'étoile, par le moyen du demi cercle des décl[inaisons] et on le fait tourner d'une quantité égale à l'angle horaire de l'étoile, calculé au moyen de son asc[ension] dr[oite] pour le moment de l'observation. Si l'on ne s'est point trompé, on voit aussitôt l'astre au milieu de la lunette. Ce n'est même que pour trouver ainsi les astres en plein jour qu'on joint ces deux cercles à la lunette parallactique, et vous sentez bien qu'il suffit de les faire en bois, et sans beaucoup de recherches.

Il paraît, par ce que M. de Lalande dit des étoiles, que Bradley observait le jour comme la nuit pour en découvrir les petits mouvements, qu'il n'y a que les étoiles d'une certaine grandeur qu'on peut voir de cette manière. Mais il ne dit rien qui puisse la déterminer. Ces observations diurnes servent particulièrement à déterminer l'orbite de Mercure. C'est aussi avec des lunettes qu'on a observé les conjonctions de ♀ pour en connaître le mouvement avant de l'avoir vu passer sur le soleil, ce que vous comprendrez mieux quand je vous aurai expliqué la méthode dont on se sert pour déterminer le temps des révolutions planétaires, où l'on est obligé d'employer les oppositions ou les conjonctions des planètes.

[20] De tous les instruments d'astronomie, il n'y a que l'héliomètre où l'on ait jamais appliqué le télescope. Cela ne pourrait jamais réussir, parce que si le miroir n'était pas bien centré, il en résulterait une erreur prodigieuse. Au point qu'un pareil instrument dont l'axe optique fût exact, me paraît un être de raison, tandis que les verres mal cintrés ne le changent pas sensiblement, le rayon qui traverse les faces dans la partie où elles sont parallèles sortant toujours dans la même direction qu'il est entré, comme vous le pourrez voir dans cette figure 8. [diag]

D'ailleurs il serait plus embarrassant d'attacher les fils, le micromètre, ou les réticules au foyer d'un télescope, dont ils ne pourraient manquer de cacher une partie du miroir. Je vois bien que vous cherchez un peu à vous moquer de moi quand vous me traitez de naturaliste 14. Je ne connais pas du tout l'histoire des insectes, si ce n'est des petits fragments que j'en ai trouvé dans Le spectacle de la nature, l'Encyclopédie, et pour les abeilles dans les notes de M. de l'Isle sur le 4ème livre des Géorgiques, tout cela sans liaisons et sans tant de détails que vous avez eu la bonté de me faire, et qui m'ont bien payé de tous ceux que j'ai pu vous offrir sur d'autres matières. J'espère bien que vous ne manquerez pas de m'en écrire de pareils sur tant de choses que j'ignore, pour me donner aussi le plaisir d'étudier des leçons dictées par l'amitié. Je me ressouviens d'avoir vu des bourdons et des ouvrières, et d'en avoir même suivi les combats, toujours [21] suivis de la défaite des pauvres bourdons, mais je n'ai jamais vu de reine.

J'avais oublié de vous dire qu'après avoir perdu toutes mes abeilles l'hiver passé 15, on avait laissé une ruche encore pleine de cire sur le banc où elles étaient établies, et qu'il y est venu un petit essaim au mois de juillet, qui y a travaillé sans que personne s'en mêlât tout le reste de l'été. Quel bonheur ce serait si elles pouvaient passer l'hiver. Mais je l'espère si peu que je ne m'en occupais plus et que je l'avais presque entièrement oublié quand maman me les rappela l'autre jour. Pour ma muse, elle est tout à fait glacée. Et pour le grec, je n'y pense guère depuis que je goûte le plaisir de vous écrire plus souvent et que je donne le reste de mon temps à l'astronomie. J'en ai cependant acheté un dictionnaire à mon dernier voyage à Lyon à la Toussaint, avec tous les livres grecs que je trouvai chez ce libraire, ce qui se borne aux poèmes d'Homère et à deux autres petits poèmes d'auteurs dont je n'avais jamais entendu parler. D'abord je faisais tous les jours quelques versions avec l'aide de mon dictionnaire et sans regarder la traduction latine, mais comme je viens de vous dire l'astronomie m'a fait suspendre ce travail que je compte pourtant reprendre. Au reste quoi qu'on en dise je trouve cette langue, quant aux articulations, bien moins harmonieuse que le latin, apparemment faute d'habitude, cependant ceux qui n'entendent pas plus l'une que l'autre, et à qui j'en ai récité des deux, en ont jugé de même. Enfin il y a si souvent[22] 3 et 4 voyelles de suite dans le même mot que [cela ]ne peut manquer d'en devenir un peu dur. Je suis bien aise que vous n'ayez plus rien à craindre des voleurs. Mais je suis bien fâché que des êtres, que j'avais crus fabuleux, s'avisent de revenir de la Thessalie dans le Beaujolais, chercher de nouveaux Thésées et de nouveaux Hercules qui sachent punir ceux qui le méritent et leur arracher leur proie.

Votre heliocoma est précisément ce que M. de Lalande appelle la lumière zodiacale dont je vous avais déjà parlé. Il dit que sous l'équateur, où le crépuscule est moins long et l'air plus pur, on la voit continuellement, et quelquefois de plus de cent degrés de longueur ; mais qu'elle est plus difficile à voir en Europe, où on la voit cependant assez communément, surtout au commencement de mars à 7 ¼ heures du soir, le crépuscule finissant, et le point équinoxial étant dans l'horizon, parce que sa direction (qui est la même que celle de l'équateur du Soleil) fait pour lors avec l'horizon un angle de 64°. Elle s'étend pour lors jusque vers Aldébaran dans la direction du Zodiaque, et on ne peut guère manquer, suivant M. de Lalande, de la voir quand le ciel est serein et la Lune sous l'horizon. M. de Lalande ne paraît pas douter que cette lumière ne soit due à l'atmosphère du Soleil très aplatie par la force centrifuge. Il en détaille un grand nombre de raisons qui me paraissent assez concluantes.

Pour lire les caractères énigmatiques 16 j'ai été obligé de supposer que [illisible] signifiait [23] ne valent pas mieux. Était-ce pour mieux m'embarrasser que vous aviez supprimé 4 lettres ? Comme je n'ai pas reconnu votre Oreille de Judas 17 et qu'il paraît que vous en avez plusieurs, vous me feriez bien plaisir d'en mettre un morceau dans votre lettre, si cela n'entraîne aucun inconvénient. Pour l'horloge qui irait par le moyen du pendule, je ne crois pas qu'elle pût aller seulement dix minutes à cause des frottements. D'ailleurs, si elle pouvait aller si longtemps, elle irait encore plus longtemps en n'y joignant que deux ressorts A, B, fig. 9 [diag], contre lesquels le pendule frapperait toutes les secondes, ce qui serait bien suffisant pourvu qu'on eût la patience de les compter.

Il reste encore dans le ciel quelques places vides où l'on voit des étoiles, même de 4ème grandeur, mais elles sont en petit nombre et il serait facile de les remplir. Je vous en ai parlé dans ma dernière lettre 18. Je vous prie aussi, Monsieur, de me marquer, si cela ne vous ennuie pas, quels livres d'astronomie vont être à votre disposition, et si votre globe n'a réellement point de lettres. Quand même cela serait, il simplifierait beaucoup mes descriptions. Il suffirait même, à ce que je crois, de vous marquer dans chaque constellation les étoiles dans l'ordre de leur passage au méridien, avec une idée de leurs déclinaisons qui vous suffirait pour les trouver sur votre globe et ensuite dans le ciel. Voici en attendant quelques nouvelles descriptions.

On voit maintenant toute la Grande Ourse que vous ne connaissez que jusqu'à l'y. Voici la fin de son alphabet. En tirant une ligne de β à Castor, on passe d'abord sur θ, et ensuite sur une patte de devant composée de deux étoiles ι, κ. En prolongeant la ligne de β du Cocher par cette patte, on passe sur deux [24] autres composées de même des étoiles λ, μ, et ν, ξ. Ces 6 étoiles sont dans l'ordre du passage au méridien. De là, on trouve le bout du nez ο en prolongeant la ligne de λ par θ d'une quantité égale à leur distance. La ligne de Pollux par cet ο va passer prolongée d'abord sur π puis sur deux étoiles qui se touchent ρ, σ, dont la pre passe la 1ère au méridien. τ est sur la ligne de π à β, et aussi sur la ligne de δ par α prolongée. υ est au milieu de la ligne de ο à β. Enfin ψ est sur la ligne de γ à ζ du Lion, ces deux dernières sont plus brillantes que ne l'indiquent leurs noms.

On voit près du ν que je viens de vous expliquer, sur la ligne qui va à Castor, une étoile du Petit Lion que je trouve plus brillante que celle qui est sur la ligne qui va du même ν à l'Âne boréal γ ♋, quoique celle-ci soit marquée de 2ème grandeur et l'autre seulement de 4ème. Ou mon globe est dans l'erreur, ou cette étoile de 2de a changé furieusement puisqu'elle me paraît tout au plus de la 5ème.

Cette même ligne qui va de ν de la Grande Ourse à Castor, passe à son milieu à peu près, sur la queue du Lynx (tas d'étoiles très visible). En tirant une ligne de la Chèvre à α de la Grande Ourse, on passe d'abord sur la tête δ du Cocher et ensuite sur celle du Lynx (autre tas d'étoiles très visible). On voit le cœur du Lynx entre ι de la Grande Ourse et Castor.

Au milieu de la ligne des Gardes de la Petite Ourse à β du Cocher, on voit la jambe de devant de la Girafe composée de deux petites étoiles, et sur la ligne de ce β à Cassiopée sur le même méridien que α de Persée, on voit sa queue composée de même. Toutes ces constellations étant nouvelles n'ont point de lettres grecques.

Je ne sais pas, Monsieur, si la pauvre Mérope 19 est toujours si timide. Je n'en peux pas juger puisque [25] tout le chœur des Pléiades ne me paraît qu'une grande tache brillante. Mais tout le monde ici prétend en distinguer 7, mon globe en marque autant, et M. de Lalande dit simplement à l'article des étoiles changeantes, qu'on prétend que la 7ème ne paraît que depuis la prise de Troie, sans qu'elle soit disparue depuis, ce que j'ai pourtant vu dans un autre livre qui ne parle d'astronomie que par occasion. Voici la figure qu'en donne mon globe, fig. 10. La plus brillante est l'η du Taureau. M. de Lalande donne aux autres des lettres de notre alphabet, mais il n'en indique que deux : b, f. La seule étoile qui soit visible dans la Licorne, du moins pour mes mauvais yeux, est sur son ventre, dans le prolongement de la ligne de γ ♌ par la tête de l'Hydre.

Je vis hier, sur les 7 ou 8 heures du soir, une lumière semblable à celle de la Voie lactée qui s'étendait depuis l'horizon au couchant jusqu'entre la queue de la Baleine et le carré de Pégase. C'est bien la direction du Zodiaque et je croirais volontiers que c'est l'héliocoma, si elle ne m'avait pas semblé avoir plus de 30° de largeur, que lui donne M. de Lalande dans son maximum. Peut-être cela venait-il de ce qu'elle se confondait à sa base avec la Voie lactée. C'est probablement la même lumière dont vous m'avez parlé plusieurs fois et que vous avez fini par attribuer à la galaxie, explication qui ne peut s'appliquer à ma lumière puisque jamais la galaxie n'a passé dans cette partie du ciel. Elle m'a semblé, du moins à son extrémité, prendre assez la forme d'un fuseau, et je crois que ce qui vous a empêché de distinguer cette forme quand vous l'avez vue, c'est qu'elle se confondait alors avec la Voie lactée. Je voudrais bien que vous me disiez au juste ce que vous voyez en braquant votre lunette achromatique contre la galaxie, s'il y a plus d'étoiles qu'ailleurs, et si le fond du ciel y est blanc. [26] A propos de votre lunette, je ne crois pas qu'elle puisse manquer de vous faire voir les satellites de ♃, puisqu'ils ont été découverts très peu de temps après les lunettes, et lorsqu'elles étaient encore bien imparfaites. Si je n'ai fait que les entrevoir avec le télescope qui me découvrait l'anneau de ♄, c'est que dans l'empressement où j'étais de les voir, je l'observai dès qu'il commença à apparaître, et par conséquent dans le temps où il était encore trop près de l'horizon pour avoir tout son éclat. Comme c'est aujourd'hui jeudi, l'hier dont je viens de vous parler était le jour des rois. Il fit ici le plus beau temps du monde, et je vis le soir la proue du Navire Argo, qui est derrière le Grand Chien dans la Voie lactée. Quoique vous m'écriviez que vous n'y aviez pas fait attention dans vos premières observations, elle me paraît assez brillante pour que vous l'ayez reconnue facilement. Les deux étoiles qui la composent n'ont point de lettres parce que Bayer, après avoir mis α à Canopus, y avait placé β et γ, qu'on a transportés à deux étoiles infiniment plus brillantes mais invisibles en Europe, et inconnues à Bayer.

Depuis que j'ai fait attention que, quoique la période qui ramène à peu près les éclipses soit de 18 ans et 10 jours, celle des nœuds est de 18 ans 228 jours, qui approche beaucoup de 19 ans, j'ai un peu plus de [de foi en ]votre méthode de prédire le temps qu'il doit faire 20. L'atmosphère doit être renflée sous l'équateur comme la Terre, et cette masse d'air soumise à l'attraction du Soleil et de la Lune doit avoir sa précession et sa nutation qui influent peut-être sur les vents. Il est temps, Monsieur, de fermer cette lettre dont la longueur doit vous montrer que notre correspondance me devient tous les jours plus agréable. Pour mon amitié vous savez bien qu'elle ne peut plus augmenter.

A. Ampère

Le sujet de la navigation a été évoqué pour la première fois par Couppier dans sa lettre du 30 novembre 1795, p. 4.
cf. question posée par Couppier dans sa lettre du 30 novembre 1795, p. 4.
"Instrument propre à mesurer la vitesse d'un corps. Ce mot a été appliqué à une machine proposée en 1772 pour mesurer le sillage ou la vitesse des vaisseaux en mer, etc. à laquelle l'auteur a ajouté depuis la propriété d'indiquer en tout temps l'angle de la dérive" in : article TROCHOMETRE, Supplément à l’Encyclopédie. t. IV, 1777, p. 977-979.
La Terrière où se rend parfois Couppier est la maison de campagne de ces "Demoiselles Millières", non identifiées ; cf. la lettre de Couppier du 23 août 1795, p. 8.
Ampère souffrait d'une grave myopie à laquelle il fait plusieurs fois référence dans cette lettre.
La découverte de la planète Uranus fut annoncée le 13 mars 1781 par William Herschel. Elle ne fut communément appelée Uranus qu'après 1850.
cf. lettre d'Ampère du 17 décembre 1795, p. 9.
Nabonassar ; roi de Babylone de 747 à 734, n'est célèbre que par l'ère qui porte son nom
Bouguer Pierre ; 1698-1758 ; mathématicien, physicien et hydrographe français.
Vernier Pierre ; c. 1580-1637 ; mathématicien français
cf. lettre d'Ampère du 11 décembre 1795, p. 8.
Dans sa première lettre (échange 1795-1796), aujourd'hui inconnue, Couppier proposait à Ampère une énigme à laquelle il est plusieurs fois fait référence par l'un ou l'autre.
l'Oreille de Judas est un champignon.
étoile de la constellation du Taureau

Please cite as “L1204,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1204